On n'est pas des pigeons

Le ras-le-bol des parents face au travail exigé par certaines écoles : "Stop ! Nous ne parvenons pas à suivre !"

Wesh Wesh Prof a détourné le célèbre tableau de Magritte pour dénoncer la fracture sociale

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Par Sofia Cotsoglou

Faire quinze pages d’exercices en mathématiques, résumer un texte de vingt pages sur la préhistoire en néerlandais, suivre une leçon de latin par PowerPoint et composer un morceau de musique avec un gobelet en plastique. Voilà une partie du programme aujourd’hui pour Vittorio, élève en deuxième secondaire. Pour sa maman Valérie, qui est pourtant institutrice, "c’est du délire". "Malgré mon aide, il y passe quand même toute la journée. Ce n’est pas tenable !"


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Sur les réseaux sociaux, les témoignages d’indignation se multiplient. "J’ai déjà imprimé 241 feuilles d’exercices pour Zoé. A ce rythme-là, c’est pas le papier toilette qui va s’arracher dans les supermarchés mais le papier tout court !" "Brahim est en troisième primaire et il doit bosser quatre heures par jour. Ça crée beaucoup de stress et de tensions." "Si les piscines étaient fermées vous n’envisageriez pas l’urgence d’apprendre à nager avec des exercices de natation en ligne."

Voici la masse de travail reçue par un enfant de première primaire

Mail reçu par Theo le premier jour de confinement : "Mon fils est en première primaire, pas en dernière année à l'unif'!"

"Quand j’ai vu le premier mail de l’institutrice avec la liste de travail demandé, j’ai d’abord cru que c’était une blague", ironise Theo. "Mon fils est en première primaire, pas en dernière année à l’unif' !". D’autant qu’à côté du suivi scolaire, cet employé administratif doit aussi télétravailler. Et il ne peut pas compter sur l’aide de son épouse mobilisée sur le front de la crise sanitaire. "Heureusement, après les interpellations de plusieurs parents, la maîtresse a considérablement réduit le catalogue."

Mon fils est en première primaire, pas en dernière année à l’unif' !

Télétravail et enseignement à distance, une équation impossible. Même pour les pros de l’organisation. A moins d’avoir quatre bras et deux cerveaux. "Sans oublier qu’il faut aussi gérer les repas, le ménage, les courses et des enfants débordants d’énergie", précise encore Theo.

Autre souci rencontré par de nombreuses familles : le manque d’équipement informatique. "On fait comment quand on n’a qu’un seul ordinateur portable, qu’on doit l’utiliser pour travailler et que l’enfant en a besoin pour faire ses exercices ?", s’interroge Kevin. Sans oublier que certaines familles n’ont pas de connexion internet.

Au-delà du temps et du matériel qu’elle nécessite, l’école à domicile pose aussi d’autres questions. Même s’il peut enseigner quantité d’apprentissages à sa progéniture, un parent n’est pas un enseignant. Il n’a ni la formation, ni les outils, ni le cadre, ni la légitimité.

Ce sont les enfants qui en ont le moins besoin qui travaillent le plus

"Certaines écoles sont dans une course au travail", s’insurge Joëlle Lacroix, secrétaire générale de la FAPEO, Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel. Conséquence : les inégalités sociales se creusent encore plus. Pour atteindre les objectifs fixés par l’école, les parents qui ont les moyens financiers paient des profs particuliers à distance. "Le pire, c’est que ce sont les enfants qui en ont le moins besoin qui travaillent le plus", s’inquiète la secrétaire générale de la FAPEO.

Certains parents réclament encore plus de travail

Il n’y a pas que les écoles qui sont en cause. Certains parents aussi sont pointés du doigt. "J’ai des appels de parents hyper anxieux qui s’inquiètent car leur enfant ne reçoit pas assez de travail", confie Frédérique Biesemans, responsable pédagogique du service enseignement à Anderlecht. "Ils craignent que leur enfant régresse. J'ai beau leur expliquer qu'il y a plein de formes d'apprentissages : bricolage, cuisine, jeux de société,... mais certains ne veulent rien entendre", dit-elle.

"J’ai mis le groupe WhatsApp de la classe de ma fille en sourdine", explique Sabrina. "Certains parents complètement déconnectés de la réalité demandaient du travail supplémentaire pour leurs enfants alors que moi, avec trois mioches à gérer, je n’ai même pas le temps d’ouvrir le mail que l’instit' envoie le matin."

Que demande exactement la Ministre de l’enseignement aux écoles ?

Dans sa circulaire, la Ministre de l’enseignement officiel Caroline Désir autorise mais n’oblige pas les écoles à donner du travail en cette période particulière de confinement. Pour la Ministre, ce travail doit être de la remédiation ou des révisions. Mais elle insiste : pas de nouvelle matière, le temps de travail doit être raisonnable et l’aide des parents ne doit en aucun cas être nécessaire. Enfin, l’école doit s’assurer que tous les enfants disposent des technologies nécessaires pour réaliser les tâches demandées à domicile.

Or, il semble que de nombreuses écoles fassent de l’excès de zèle. La Ministre doit-elle, comme l’ont fait les autorités suisses, lancer un appel au calme pour que les écoles lèvent le pied ?

Pour évaluer l’ampleur du phénomène, la FAPEO vient de lancer une enquête en ligne auprès des parents afin de déterminer si la gronde est généralisée ou si elle concerne uniquement certaines écoles dites "élitistes". L'occasion aussi de vérifier si les établissements scolaires respectent les consignes de la Ministre. Il semblerait que certains envoient de la nouvelle matière aux élèves alors que c'est interdit.

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