Le rap a souvent été taxé de milieu "violent" ou "dur" par ses détracteurs. Parfois à raison, souvent à tort. Entre les clashs historiques des rappeurs qui se terminent au mieux en punchlines et sons iconiques, au pire en séjour en prison, les raccourcis ont souvent été faciles concernant le rap game.
Sauf que ces derniers temps on remarque aussi comme un climat affiché de bienveillance et de solidarité. Pour preuve, le projet du classico organisé de Jul, qui réunit 157 rappeurs de Marseille et de Paris, où chaque artiste sera rémunéré à parts égales.
A l’heure où le rap est devenu la musique la plus écoutée, on s’est posé la question : est-ce que le rap est devenu gentil ?
La réponse va surprendre… Il se pourrait bien que cela a toujours été le cas.
Un milieu violent ?
On se souvient évidemment des clashs légendaires de Booba, Kaaris, Rhoff ou encore La Fouine. Disons que les clashs, les freestyles, la compétition voire l’égotrip ont toujours fait partie de la culture rap. Mais ça n’a jamais été que ça.
Le problème c’est que c’est souvent cette image du rap qui est véhiculée. "Le clash est par essence dans la culture hip-hop, c’est l’idée de rentrer et de s’installer dans le rap game… Mais c’est pour ça qu’on parle de jeu", ajoute Narjes Bahhar, responsable éditoriale rap chez Deezer.
Alors certes, il existe "une émulation basée sur la compétition. Mais c’est une compétition saine où l’art du clash est parfois est au cœur", indique Dolores Bakela, "et ça permet de créer un vrai contexte avec plein d’artistes qui peuvent émerger", pointe la journaliste.
Rival, le rappeur du groupe belge CNN 199 va dans le même sens :"dans la culture hip-hop, il y a toujours eu un climat de concurrence mais ça a toujours été une concurrence saine, ça fait partie du truc, il y a toujours eu des battles etc… Mais ça a toujours été positif. Tu dois trouver quelqu’un qui est plus fort que toi, pour toi te pousser à aller plus loin. Te dire : 'si lui, il est là, ça veut dire que je peux me dépasser et aller encore plus loin'".
Et ce n’était pas forcément mauvais pour le business, au contraire. D’ailleurs certains s’en sont largement servis. Combien de morceaux qui font aujourd’hui partie de l’histoire du rap sont nés dans cette culture du clash ?
Un contexte différent
Pourtant, à côté de cette culture du clash et de la compétition, la solidarité entre artistes a aussi toujours fait partie du "jeu".
"C’est quelque chose qui a toujours existé. Si on remonte aux valeurs du hip-hop, c’était "Unity, love and having fun". Et donc ces valeurs-là ont été portées par la culture hip-hop dès ses débuts et, par certaines formations, dans le rap francophone", indique Narjes Bahhar. De son côté Dolores Bakela ajoute que "la solidarité a toujours existé dans le rap mais c’est peut-être plus vibrant aujourd’hui. Il y a aussi une histoire de génération. […] Il y a parfois des alliances de fan base avec des projets collectifs".
"Après, il est clair qu’il y a eu une sorte d’accélération du temps liée notamment à la professionnalisation du rap, à l’entrée du streaming et aussi la façon dont tout est allé très vite sur les réseaux sociaux. Et c’est vrai que ça a transformé ce game", analyse Narjes Bahhar.
Il y a d’un côté, "des choses qui sont aujourd’hui plus visibles que ça ne l’était auparavant, de par le fait qu’on ait accès à des artistes qui sont, en quelque sorte, leurs propres médias". Et de l’autre, "on arrive peut-être à un moment où les artistes ont dépassé un peu le cadre du clash, qui a pu, à un moment, être important dans la culture rap. Ça ne veut pas dire qu’il n’y en a plus. Mais on sent quand même que c’est beaucoup moins présent. Il y a d’autres valeurs qui sont effectivement portées et notamment plus de solidarité et de gentillesse et d’attention positive envers les autres", ajoute la responsable éditoriale rap de Deezer.
C’est dans ce contexte plus enclin à valoriser la bienveillance que l’émergence de projets tels que "Bande organisée" puis "Classico organisé", drillé par Jul, ont pu voir le jour.
Y a personne qui joue la star, ça fait du bien de voir ça
Ce qui permet aussi, de la part des artistes, d’exprimer plus librement leur admiration, leur solidarité à l’égard des autres artistes et leur bienveillance. Chez Tarmac on s’est ému face à Guy2Besbar qui nous raconte les différentes collab' qu’il a pu faire et qui l’ont aidé à faire de lui, la pointure qu’il est aujourd’hui. Comme de nombreux autres artistes, il a posé sur le projet titanesque de Jul, Classico organisé. Il parle de son admiration pour ses pairs et aussi de cette bienveillance : "Jul c’est vraiment un vrai, vrai, vrai bon gars […], y a personne qui joue la star, ça fait du bien de voir ça. Tout le monde se félicite, tout le monde suit l’actualité de tout le monde, ça fait plaiz".
Peut-être que c’est plus cool d’être le bon gars plutôt que le méchant
"Peut-être que les gens ont gagné en maturité, peut-être que c’est plus cool d’être le bon gars plutôt que le méchant. C’est tellement plus gai d’être en studio et de partager la musique. C’est comme une invitation à la maison", indique Rival du groupe CNN 199.
Une nouvelle génération qui, comme les anciennes, sait faire des passes à ses collègues. Mais qui évolue dans un contexte peut-être plus propice à ce climat plus bienveillant.
Industrie musicale et révolution technologique
L’industrie musicale a énormément changé et le rap est aujourd’hui le genre musical le plus streamé.
L’avènement des réseaux sociaux ou encore des plateformes comme spotify, Apple music ou encore Deezer permettent encore plus de mettre en avant l’ampleur du phénomène.
Un projet comme "Bande organisée" puis "Classico organisé" s’inscrit en quelque sorte dans une "tradition" de pratiques bienveillantes, de coup de pouce et de solidarité. Mais c’est, d’une certaine façon, "le stade ultime". C’est un projet purement pour "l’amour du rap" , pointe Narjes Bahhar.
Et par leur fonctionnement, les plateformes de streaming boostent cette solidarité. "Le projet "Bande organisée" a permis de booster certains artistes. Même tous les artistes de ce projet, qu’ils soient en phase montante ou au tout début de leur carrière", confirme Narjes Bahhar. Le principe est simple, sur un titre comme "Bande organisée" on retrouve de nombreux artistes, de SCH en passant par SoSo Manes, Jul ou encore Kofs. Résultat, ce titre apparaîtra sur les pages de chacun des artistes. Ce morceau entre donc dans la discographie, à la fois de Jul mais aussi de tous les artistes invités.
"Le fait que ce soit porté par un artiste comme Jul qui est l’artiste le plus streamé, ça va être profitable aux autres artistes. On a pu voir que, grâce à "Bande organisée", notamment SoSo Manes derrière a pu clairement en bénéficier même d’un point de vue médiatique. Au même titre que SCH ou des artistes en développement […]", souligne Narjes Bahhar. "Quand on a un gros titre qui sort, ça rebooste la discographie des artistes" sur les plateformes.
Dolores Bakela abonde dans le même sens : "sur le projet de "Classico organisé", il y a des anciens, comme Lacrim, il est lourd. Ca s'inscrit dans une séquence promotionnelle dont il peut profiter pour son projet perso".
A cela s’ajoute un travail d’éditorialisation de la part des plateformes qui peuvent aussi décider d’aller rechercher des gros titres de ces artistes et de les ajouter à différentes playlists. Une opération win-win.
Les rapS ont leur place
Ce nouveau contexte permet de mettre en lumière la diversité que le rap a à offrir. Du rap et du hip-hop par tous et toutes pour tous et toutes. "A la fin ce sont LES raps qui gagnent", dit la journaliste Dolores Bakela qui ajoute "ça n’enlève rien à Jul que des SCH continuent de faire leur rooftop et leur Julius. C’est juste une question de variété et de diversité du rap". En d’autres termes, "tout le monde a sa place et surtout tout le monde peut briller ensemble", ajoute la journaliste.
Et si la bienveillance avait toujours existé ?
En effet, la bienveillance et la solidarité c’est, contrairement aux idées reçues, l’essence même de la culture hip-hop. Les anciens ont toujours fait des passes aux plus jeunes pour leur permettre de se développer, même si ça a pris plus d’ampleur aujourd’hui. Comme l’explique Dolores Bakela, "il y a toujours eu des mixtapes, contre le racisme par exemple". Mais ici, "avec les plateformes c’est possible de produire plus rapidement".
"Il y a toujours eu des passerelles et c’est pensé pour cela, c’est pour élever la musique et la créativité mais aussi pour satisfaire et faire profiter le public", ajoute Dolores Bakela.