Justice

Le procès de Nizar Trabelsi s’ouvre aux États-Unis : ses avocats demandent son retour en Belgique

Nizar Trabelsi

© RTBF

Par Melanie Joris du service judiciaire

Aujourd’hui, le procès de Nizar Trabelsi s’ouvre à Washington avec la composition du jury. L’homme est connu pour sa tentative d’attentat contre la base militaire belgo-américaine de Kleine-Brogel. Des faits pour lesquels il a été jugé et condamné en Belgique à 10 ans de prison, peine qu’il a purgé jusqu’au bout. En 2013, il est extradé aux États-Unis alors que tous les recours ne sont pas encore épuisés. À l’entame de ce nouveau procès, ses avocats belges dénoncent une situation qui viole le droit.

En droit, il existe un principe fondamental : un même fait ne peut être jugé deux fois. Dans le jargon, on parle de "non bis in idem". Pour les avocats de Nizar Trabelsi, cela ne fait aucun doute, leur client va être jugé aux États-Unis pour les mêmes faits que lors de son procès à Bruxelles. Et c’est illégal.

Retour en arrière

Nizar Trabesli est arrêté à Uccle deux jours après les attentats du 11 septembre 2001. Lors des perquisitions, les enquêteurs retrouvent des armes, des faux papiers ainsi que du soufre et de l’acétone. Le Tunisien s’apprêtait à commettre un attentat suicide contre la base militaire de Kleine-Brogel dans le Limbourg.

Pour ces faits, la Belgique le condamne à dix ans de prison. Nizar Trabelsi purge sa peine en entier. À l’issue de cette peine, il reste toutefois incarcéré en attendant une décision d’extradition vers les États-Unis. Le 3 octobre 2013, il est extrait de sa cellule. Il pense qu’il va être transféré vers une autre prison. Il est, en fait, conduit jusqu’à l’aéroport et mis dans un vol vers les États-Unis.

Pour empêcher cette extradition, une requête unilatérale est introduite. Le juge valide cette demande et ordonne à l’avion dans lequel se trouve Nizar Trabelsi de faire demi-tour. Mais rien n’y fait. Nizar Trabelsi atterrit bien dans une prison américaine en vue d’y être jugé.

Pour Me Dounia Alamat, ce jour-là, en permettant l’extradition de son client, l’État belge a sciemment violé l’État de droit. Une position confirmée par la Cour européenne des droits de l’Homme et par la cour d’appel de Bruxelles l’année dernière : "L’État belge a fait délibérément et consciemment le choix de céder aux instances des autorités américaines et de méconnaître ses obligations envers Nizar Trabelsi".

La cour d’appel a, par ailleurs, ordonné l’indemnisation de Nizar Trabelsi pour ses années de détention aux États-Unis, passées et à venir, à hauteur de 10.000€ par an.

L’état de santé psychologique et physique de Trabelsi

Le dernier contact téléphonique entre Nizar Trabelsi et ses avocats remonte à la mi-avril. Me Alamat et Me Marchand s’inquiètent de son état de santé physique. L’homme est en prison depuis vingt ans dont seize années passées à l’isolement. Me Alamat parle de torture blanche : "Il est enfermé dans une cellule où une lumière artificielle est allumée 24h/24. Il y a des vérifications de présence de jour comme de nuit. L’activité physique est réduite à néant. Il souffre de diabète et a développé des ulcères". Me Marchand complète le tableau : "il commence à avoir des gonflements de ses membres, il se tape la tête contre les murs".

Les deux avocats soulignent également les problèmes psychiques de leur client. Me Alamat : "Au bout de 10 ans dans une petite pièce, il n’arrive plus à réfléchir normalement. Il est tout le temps seul avec ses pensées, des pensées qui ne sont pas joyeuses et qui tournent en rond. Il est devenu paranoïaque".

Il se tape la tête contre les murs

Notamment à cause de cette paranoïa, Nizar Trabelsi a refusé d’être assisté d’un avocat pour son nouveau procès. Me Marchand : "Cette paranoïa a entraîné des problèmes de communication et une rupture de confiance avec ses avocats américains. Résultat : il a décidé de se défendre seul. Pourtant, il ne connaît pas le système judiciaire américain et ne comprend pas l’anglais".

Cet état de santé délabré est confirmé par une évaluation médicale. Le docteur Amy Kossoff déclare dans son rapport : "M. Trabelsi présente un certain nombre de problèmes médicaux qui sont exacerbés par le stress". Avant de lister les problèmes : "privation de sommeil, absence d’exercice physique, carence en vitamine D (un niveau jamais vu en 35 ans d’expérience), obésité, hypertension".

Principe de Non bis in idem

Nizar Trabelsi a été condamné en Belgique pour sa tentative d’attentat contre la base militaire de Kleine Brogel dans le Limbourg. Les arguments repris par l’accusation américaine sont les mêmes que ceux retenus lors du procès belge. Me Dounia Alamat : "La base factuelle est la même et les preuves sont les mêmes. Ce sont les explosifs qui ont été trouvés en Belgique qui vont être utilisés pour essayer de démontrer qu’il y avait cette tentative d’usage d’armes de destruction massive. Et on voit bien que c’est le même procès puisqu’on a besoin du chef d’enquête belge et de l’ex-juge d’instruction qui sont des témoins jugés essentiels par l’accusation américaine".

C’est une fabrique de la honte

La cour d’appel de Bruxelles et la Cour européenne des droits de l’homme ont confirmé cette position. Les avocats se sentent aujourd’hui impuissants. Me Marchand : "C’est un dossier où on sent que la Belgique est aux pieds des États-Unis. C’est une honte totale. La cour d’appel a dit : "Vous devez dire aux États-Unis que vous ne pouvez pas le poursuivre pour les mêmes faits", mais le gouvernement n’a pas communiqué dans les bonnes formes". Et de s’interroger : "Pourquoi veut-on continuer à faire souffrir cet homme alors qu’il a purgé sa peine, qu’il était en aveux et qu’il a été condamné ? C’est une fabrique de la honte".

Les avocats appellent aujourd’hui le gouvernement à prendre ses responsabilités. De son côté, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, nous affirme avoir transmis les informations nécessaires aux États-Unis. Il se refuse à plus de commentaire tant que l’affaire est en cours.

Ce nouveau procès est prévu pour durer huit à dix semaines. Nizar Trabelsi encourt une peine de réclusion à perpétuité.

Pour en savoir plus, écoutez cet épisode de L’histoire continue du 6/04/2023

L'Histoire continue

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Sur le même sujet : Extrait JT (07/05/2023)

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