Guerre en Ukraine

Le premier procès pour crime de guerre démarre ce mercredi à Kiev : pourquoi "l’immunité du soldat" ne devrait pas jouer ?

Par Xavier Lambert via

Vadim, jeune soldat russe de 21 ans, se retrouve sur les bancs des accusés à Kiev ce mercredi. Il est accusé d’avoir abattu un civil non armé. La justice ukrainienne entame là son premier procès pour crimes de guerre depuis l’entrée des troupes de Moscou sur son territoire.

Olivier Corten, professeur de droit international à l’ULB, rappelait sur la Première ce matin que le tribunal de Kiev était compétent pour juger un crime de guerre : "Les tribunaux sont en général compétents pour juger ce qui se passe sur le territoire de l’État où il se situe. Ici, il y a une compétence territoriale de toute façon qui est établie pour les tribunaux ukrainiens. Par ailleurs, il s’agit aussi de victimes ukrainiennes, donc c’est une deuxième base de compétence. Et en tout état de cause, pour les crimes de guerre, il y a en général quand même une compétence assez élargie. Mais ici, de toute façon, ça ne pose pas de problème particulier".

Complémentarité avec les tribunaux nationaux

La Cour pénale internationale, qui a commencé ses activités en 2002, n’a pas été établie pour remplacer les tribunaux nationaux, a-t-il rappelé, "mais plutôt dans une perspective de complémentarité. Et donc, le but de la Cour pénale internationale, c’est d’être là en deuxième ligne, lorsque les tribunaux nationaux ne peuvent pas ou ne veulent pas juger les crimes de droit international et en particulier les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou les crimes de génocide. A ce moment-là, la Cour pénale internationale peut se prononcer, mais elle ne va pas se prononcer en première ligne. L’idée, c’est quand même que c’est à chaque État qu’il revient de juger ce qu’il se passe sur son territoire. Et de ce point de vue là, la politique pénale ukrainienne est tout à fait conforme en réalité au système établi par la Cour pénale internationale".

La CPI annonce par ailleurs le déploiement en Ukraine de 42 enquêteurs et experts qui vont enquêter sur les crimes commis depuis le début de l’invasion russe.

"La Cour pénale internationale déjà est saisie de la situation en Ukraine depuis plusieurs années, parce que dans un certain nombre de cas, les autorités ukrainiennes ne sont pas à même de juger, et notamment dans l’est de l’Ukraine où les zones qui sont contrôlées par les séparatistes russes rendent très, très difficiles les jugements de ce qui s’y passe. Et selon les premiers éléments qui avaient déjà été révélés par la Cour pénale avant cette guerre-ci, qui a commencé en février dernier, il y avait aussi des accusations portées contre des Ukrainiens dans le Donbass".

Pour les crimes les plus graves

Par contre, pour le jeune soldat russe jugé à Kiev, "Il n’y a pas vraiment de problème : c’est un crime très spécifique, très limité. C’est dramatique évidemment pour la victime, mais c’est UNE victime civile, ce n’est pas cela que la Cour pénale internationale va juger. Elle ne va juger que les crimes les plus graves, parce que la Cour n’a pas les moyens, tout simplement, de juger tous les crimes qui se passent dans le monde, même lorsque les États ne les jugent pas. Et on parle ici des États qui ont accepté par ailleurs sa compétence, ce qui est le cas pour l’Ukraine, en tout cas, pour ce conflit-ci. C’est un peu compliqué, mais en tout cas c’est possible dans ce conflit".

Un procès alors que la guerre est toujours en cours, c’est une manière de montrer finalement que la guerre n’est pas un moment suspendu où tout est permis ? "L’esprit des règles, c’est effectivement de respecter le droit de la guerre et aussi de le faire respecter. Donc, il y a non seulement un droit, mais une obligation pour les États de s’assurer que leurs troupes, en réalité, respectent le droit de la guerre. Ce qui suppose effectivement que si des crimes sont commis pendant la guerre, ils soient jugés aussi vite que possible. Et c’est ce que prévoit le texte".

Pourquoi l'immunité ne devrait pas jouer

Le jeune soldat est inculpé de crime de guerre, mais la défense pourrait plaider l’immunité pour un soldat comme pour un diplomate : "le problème des immunités se pose ici, puisqu’on n’est pas, dans le cas de figure idéal qui était prévu à l’origine par les textes, c’est-à-dire que c’est l’État qui juge ses propres soldats. Si l’État juge ses propres soldats, il n’y a pas de problème d’immunité. Par contre, lorsque vous voulez juger un officiel d’un autre État, là il se peut se poser un problème d’immunité. Ça pourrait être plaidé par la défense. Cela étant, à mon avis, l’argument pourrait être dépassé pour deux raisons".

"D’abord, les immunités sont surtout reconnues pour les hauts représentants de l’État, les chefs d’État par exemple. Donc, si on voulait juger Poutine, par exemple, ce ne serait pas possible devant les juridictions ukrainiennes, ne fût-ce que parce qu’il y a l’immunité qui lui est reconnue. Par contre, ce serait possible devant la Cour pénale internationale, les immunités ne jouant qu’entre les États, pas devant des juridictions internationales. Par contre, pour les soldats, là c’est beaucoup plus contesté. Le droit international n’est pas très clair, il y a des débats à ce sujet. Par ailleurs, ici, visiblement, la personne a agi dans le cadre apparemment d’un vol de voiture. Donc là il semble que cette personne ait aussi agi non pas tellement en tant que soldat, mais peut-être aussi à des fins privées, pour voler un véhicule. Alors là, les immunités ne couvrent pas les actes commis à titre privé. Et donc c’est un autre élément peut-être qui pourrait être évoqué dans ce procès pour dépasser ce problème de l’immunité".

C’est un procès qui aura valeur de test pour le système judiciaire ukrainien, mais aussi toute une valeur symbolique : "Dans ce type de procès pénal et en particulier pour les crimes de guerre, c’est surtout symbolique parce que malheureusement, on sait bien que la plupart des crimes ne seront jamais réprimés. Donc ça montre quand même qu’il y a des limites et qu’on tient à réaffirmer l’existence de cette protection des civils, y compris dans les conflits armés".

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