Guerre en Ukraine

Le plan de paix chinois peut-il réellement mettre fin à la Guerre en Ukraine ?

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Les autorités chinoises l’avaient annoncé à l’occasion du premier anniversaire de l’invasion de la Russie en Ukraine. Un "plan pour la paix", présenté par les chinois pour régler "la crise" en Ukraine. Plus précisément, il s’agit d’un document composé de 12 points.

Douze points, et autant de principes permettant d’arrêter la guerre selon les autorités chinoises. Voici le résumé de ce plan.

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Ce plan pourrait-il vraiment stopper la guerre ? Dans l’histoire, ce n’est pas la première fois que des négociations sont chapeautées par des pays extérieurs au conflit. En ce moment même, le président chinois Xi Jinping est à Moscou. Il est arrivé ce lundi pour une visite officielle et une rencontre avec son homologue russe Vladimir Poutine.

Des principes parfois contradictoires

Le président chinois Xi Jinping a présenté un plan pour la paix, mais ce dernier n’en est pas vraiment un relève d’emblée Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur à l’Institut des sciences politiques Louvain Europe de l’UCLouvain : "La Chine pratique elle-même l’ambiguïté en disant que c’est la position de la Chine pour un règlement de la crise ukrainienne ",

Ce n’est pas un plan de paix qui prend à bras-le-corps le problème

"Position", "règlement" et "crise". Trois mots à priori banals, mais avec un sens plus profond que ce qu’ils laissent paraître : "La Chine émet des option pour ce qu’ils imaginent être un règlement politique d'une crise. Ils l’appellent une crise et non pas une guerre. Donc je dirais qu’il y a déjà un élément qui édulcore le problème", détaille l'expert.

Et de préciser : "C’est une déclaration de principes qui correspond aux options de politique étrangère de la Chine. Ce n’est pas un plan de paix qui prend à bras-le-corps le problème, en disant : 'il y a une guerre, il y a des affrontements, il y a des positions et nous proposons ceci et cela', non. Il y a une déclaration de grands principes où la Chine se met au-dessus de la mêlée en distribuant les bons et les mauvais points des deux côtés".

Pour autant, ces douze points brassent tout une série de principes dont certains sont presque antinomiques. "On mélange un peu tout", appuie Tanguy de Wilde.

"Quand on lit le premier point (ndlr : Respecter la souveraineté de tous les pays), on se dit que c’est une critique à l’égard de la Russie. Mais dès le deuxième point (ndlr : Abandonner la mentalité de "guerre froide"), on voit que c’est déjà différent", indique l'expert.

"La mobilisation de l’OTAN et la possibilité d’extension à la Suède et à la Finlande sont aussi critiquées sans être jamais citées. Cette critique vise à dire que polariser le conflit en se mettant derrière l’Ukraine et en stigmatisant la Russie comme le font les Occidentaux n'est pas une manière de régler l’affaire. Les Chinois jouent sur le chaud et le froid", précise le professeur.

À travers ces 12 points, la Chine rappelle ce qu’elle est

D’autres points, comme celui sur l’aide humanitaire ou encore l’échange de prisonniers de guerre restent classiques.

Mais certains points se contredisent, comme le point 1 et le point 10 : "Les Chinois expliquent être pour le respect de l’intégrité territoriale, mais sont contre l'application du chapitre 7 de la Charte de l’ONU qui permet au conseil de sécurité de prendre des sanctions", indique le professeur. 

La Chine n'oublie pas ses intérêts

La Chine adopte une position de sauveur ou de pays neutre, sans oublier ses propres intérêts : "Il y a quelques petits rappels en faveur de la Chine. Quand elle parle de céréales ou de chaîne d’approvisionnement, elle parle de ce qui l’intéresse : c'est à dire un monde où tous les Etats sont des clients et des fournisseurs potentiels, un monde de flux commerciaux. Et on sait bien que c’est le grand objectif de la Chine : assurer la connectivité de l’Asie, pour un développement de la Chine".

Le point n°9 concerne d’ailleurs l’accord sur les exportations de céréales ukrainiennes. La Russie a annoncé il y a quelques jours qu’elle acceptait la prolongation pour 60 jours de l’accord international sur l’exportation des céréales ukrainiennes. Auparavant, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait annoncé cette prolongation lors d’un discours télévisé, sans en préciser la durée.

Selon Tanguy de Wilde, à travers ces 12 points, la Chine rappelle simplement ce qu’elle est : "Elle se met dans une posture dans laquelle elle ne se serait pas mise il y a 20 ans : une posture de puissance responsable qui serait bienveillante et à disposition pour trouver une solution. Ce n’est pas vraiment un plan de paix, mais plutôt un prélude menant à des négociations pouvant y mener".

La Chine en médiateur, crédible ?

Lors de sa visite à Moscou, Xi Jinping a directement affiché la "priorité" qu’il accordait aux relations "stratégiques" entre Moscou et Pékin. Un lien entre deux "grandes puissances", signifiant ainsi son entente avec Vladimir Poutine face aux Occidentaux.

Mais la solution de paix pourrait-elle venir du côté chinois ? "Au tout début du conflit, je me suis dit que la solution pourrait venir de chez eux, parce que la Chine s’entendait bien avec les deux pays, Ukraine et Russie avant le conflit", se rappelle Tanguy de Wilde.

Il y a peu de points de pression

Si la Russie et la Chine semblent bons amis actuellement, la Chine aurait peut-être pu avoir un autre rôle au tout début du conflit:  "La Chine pouvait peut-être tempérer la Russie. Depuis lors, le conflit s’est enlisé. Que reste-t-il au niveau des possibilités de médiation ? Ce sont les États qui ont gardé des liens avec l'Ukraine et la Russie, comme la Turquie ou la Chine. Est-ce que la Chine est crédible ? Elle l’est par le poids qu’elle a sur la scène internationale, son poids économique", raconte le professeur.

Avant de poursuivre : "elle peut apparaître comme étant un soutien de la Russie, mais elle est supérieure avec une force économique plus importante et une capacité de pression sous-jacente. Ici, il y a peu de points de pression dans ceux proposés. Je ne vois pas ce qu’il pourrait ressortir d’opérationnel immédiatement après cette rencontre par rapport à ces principes-là".

Le président russe Vladimir Poutine a de son côté affirmé avoir eu des discussions "très importantes et franches" avec son homologue chinois Xi Jinping, se disant confiant que les relations entre Pékin et Moscou allaient "se renforcer". "Un échange de points de vue très important et franc sur les perspectives de développement des relations russo-chinoise vient de se tenir", a déclaré le président russe à l’issue de discussions avec Xi Jinping au Kremlin. "Je suis convaincu que notre coopération variée et mutuellement bénéfique continuera de se renforcer" a-t-il encore déclaré.

Pourquoi ni les Européens ni les Américains ne proposent un plan de paix ?

Le moment des négociations de paix venu, il faudra "que la Chine soit autour de la table, comme les Européens et les Américains", estime Tanguy de Wilde.

Les Occidentaux montrent un soutien indéfectible à l’Ukraine : envois d’armes, de tanks, d’obus ou de munitions… l'Europe est d'ailleurs tombée d'accord sur un plan d'aide de deux milliards d’euros approuvé par l’Union Européenne, pour livrer de nouveaux équipements à Kiev et pour reconstituer les stocks stratégiques des pays de l’UE, dont certains sont proches de l’épuisement.

L’histoire nous l’enseigne, toutes les guerres se terminent

Pourtant, aucun plan de paix n’est proposé de leur côté. Même si des discussions ont eu lieu entre le président français Emmanuel Macron et le président américain Joe Biden.

"Ils se sont mis dans la posture de dire que tant que l’Ukraine n’est pas prête à négocier, il n’y aura pas de négociation", éclaire le professeur Tanguy de Wilde. "On n’a pas encore réglé côté occidental ce que veut vraiment dire gagner la guerre ou ne pas la perdre. On n’a pas réglé le moment où on pourrait commencer des négociations. Pourtant, l’histoire nous l’enseigne. Toutes les guerres se terminent, souvent avec des négociations. La guerre Iran-Irak a duré 8 ans. Au début, personne ne voulait se parler ".

Les guerres ne résolvent pas les problèmes, elles les transforment

Bien que ce plan chinois comprenne des points plus favorables à la Russie, le premier point est cependant une critique de l’invasion de l’Ukraine. La Chine a jusqu’ici tenté de se positionner en pays neutre, sans jamais approuver la Russie mais sans non plus la condamner, à l’instar de nombreux pays de la scène internationale

Mais alors comment Vladimir Poutine considère-t-il ce plan, lui qui se réunit ce mardi avec Xi Jinping à Moscou ? "Le plus intéressant, c’est ce qu’on ne sait pas. L’avantage du contact direct, c’est qu’il est hors caméras et hors témoin. Xi Jinping va peut-être faire des propositions dont on aura le fin mot d’ici quelques semaines, mois ou années".

Si l’on appliquait ces principes au pied de la lettre, ils permettraient peut-être d’arrêter la guerre dans un monde idéal et parfait. "Mais les guerres ne résolvent pas les problèmes, elles les transforment", note le professeur. "Croire que l’on peut, revenir à un statut quo territorial d’avant-guerre, cela me paraît très peu probable. Et quand je dis d’avant-guerre, cela veut dire avec les régions séparatistes du Donbass et la Crimée. Le point de départ d’une négociation à cet égard-là, on en est nulle part. Peut-être que l’on pourrait avoir un statut provisoire pour ces régions. Mais c’est trop concret pour être présent dans ces 12 points". 

Les chinois, seuls sauveurs ?

Côté ukrainien, l’idée même d’un compromis a été réfutée dès le début de l’invasion russe. Volodymyr Zelensky a cependant demandé à rencontrer Xi Jinping.

"Les Ukrainiens peuvent retirer des éléments qui les intéressent. C’est-à-dire, la souveraineté, la fin des hostilités ou encore les négociations puisqu’il n’y a pas d’éléments concrets en leur défaveur. Rien n’est envisageable sans qu’un vrai cessez-le-feu ne soit respecté".

De son côté, le président russe Vladimir Poutine a annoncé ne pas voir de "disposition" des autorités ukrainiennes à trouver une issue au conflit en Ukraine sur la base du plan de paix proposé par la Chine.

"Nous estimons que de nombreux points du plan de paix proposé par la Chine peuvent servir de base pour un règlement pacifique, quand l'Occident et Kiev seront prêts. Toutefois, nous n'observons pas pour l'heure une telle disposition de leur côté", a dit Vladimir Poutine, à l'issue de discussions avec son homologue chinois Xi Jinping.

Jens Stoltenberg, le Secrétaire général de l'OTAN, est de son côté plutôt favorable à des discussions entre Pékin et Kiev. "Il appartient à l'Ukraine de décider quelles sont les conditions acceptables pour toute solution pacifique", a rappelé Jens Stoltenberg au cours d'un point de presse au siège de l'Alliance atlantique à Bruxelles pour la présentation du rapport d'activités de l'Otan en 2022. "La Chine doit comprendre le point de vue de l'Ukraine et dialoguer directement avec le président Zelensky", a-t-il soutenu.

"Toute solution de paix pour l'Ukraine doit être fondée sur le respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de l'Ukraine", a-t-il insisté.  

"Un cessez-le-feu ou toute solution qui ne respecte pas la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine ne sera qu'un moyen de geler la guerre et de permettre à la Russie de reconstituer ses forces et d'attaquer à nouveau. Ce ne sera pas une paix juste et durable", a-t-il averti.

Jens Stoltenberg a par ailleurs une nouvelle fois exhorté Pékin à ne pas fournir d'armes à la Russie.

La solution viendrait-elle donc uniquement du côté des chinois ? "Les Européens ont compris que nous ne vivions plus dans un monde avec une centralité occidentale. À partir du moment où les Chinois ont une influence dans la résolution du conflit, il y a une volonté occidentale de participer à ce processus", conclut le professeur Tanguy de Wilde.

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