Entrez sans frapper

'Le paquebot' de Pierre Assouline, un voyage dans l’entre-deux-guerres

Voyage en mer dans les années trente à bord d’un paquebot.

© Corbis via Getty Images – Dr. Paul Wolff &Tritschler

Par Bénédicte Beauloye via

Enfant, son père l’emmenait au port assister au départ des bateaux depuis Casablanca. L’activité maritime le fascinait. "Le fait de regarder les bateaux partir, déjà le rêve se mettait en marche. J’étais subjugué tellement c’était grand, moi si petit. C’est chargé de tous les imaginaires, ils allaient très loin, ramenaient beaucoup de choses. Et puis il y a la lenteur."

Pierre Assouline est un raconteur. Journaliste de formation, biographe, romancier, passionné d’Histoire. On lui doit le récit de la vie de grands hommes comme Georges Simenon, Hergé, Marcel Dassault, L’éditeur Gaston Gallimard, ou le journaliste reporter Albert Londres que l’on retrouve passager de son paquebot. Des romans toujours documentés comme Sigmaringen, ou Lutecia qui traitent également de la seconde guerre mondiale. Assouline programme le départ de son paquebot à une époque charnière pour l’Europe. Le roman aux éditions Gallimard prend une dimension allégorique. Il nous explique tout dans l’émission Entrez sans frapper.

"Au printemps de 1932, ce sont les élections législatives en Allemagne, et c’est l’arrivée en deuxième position du parti nazi. C’est l’annonce de la nomination d’Hitler quelques mois plus tard comme chancelier du Reich. Tout de suite m’est apparu qu’il y avait un parallèle formidable imposé par l’histoire entre le naufrage d’un paquebot et le naufrage de l’Europe. C’est la double trame de ce roman."

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Le scénario est historique, il s’agit d’un naufrage. Le Georges Philippar sur lequel Assouline développe son intrigue est sorti des usines de Saint-Nazaire en 1932. Pour son premier voyage commercial, Il rallie Saïgon. C’est sur le chemin du retour de Chine qu’il sombre dans la nuit du 15 au 16 mai, vingt ans après le naufrage du Titanic. C’est dans ce décor flottant isolé du monde, à une période charnière, que la trame du roman se tisse.

"J’ai une passion du huis clos. J’avais écrit un livre qui était les invités qui se passait dans un appartement à Paris, ensuite Lutecia qui est un huis clos dans un palace, ensuite Sigmaringen qui est un huis clos dans un château. Je m’étais toujours dit un jour je raconterai une croisière car pour moi un paquebot c’est un huis clos, mais qui se déplace sur l’eau. J’ai cherché de beaux paquebots de l’entre-deux-guerres. Mais pourquoi chercher ? Je connais très bien un paquebot, le Georges Philippar et la temporalité est formidable."

Le complotisme est une paranoïa qui est universelle et intemporelle

Le Philippar a déjà été au centre d’une des biographies écrites par l’auteur consacrée à Albert Londres, le père du journalisme de reportage. Il est l’un des cinquante-deux morts dans le naufrage du Georges Philippar. Au vu des informations sensibles qu’il avait récoltées lors de sa dernière enquête sur le trafic d’opium en Asie, ou des révélations sur les abus de la colonisation en Afrique, sa mort, dans ces circonstances spectaculaires, a initié toutes sortes de théories du complot sur son possible assassinat. "Le complotisme est une paranoïa qui est universelle et intemporelleconclut Pierre Assouline.

Des 'packet boat' aux paquebots de villégiature

A l’entre-deux-guerres, les trajets en avion sont encore minoritaires. Les voyages intercontinentaux s’effectuent en bateaux. Les paquebots mythiques parcourent les océans, avec du rêve dans leur sillage. Pourtant le nom paquebot vient de ‘packet boat’, les bateaux paquets. Dès le dix-septième siècle des marchandises sont expédiées d’un continent à l’autre. En 1839, le transport du courrier et des paquets postaux est assuré par les premiers bateaux à vapeur qui permettent une régularité des temps de trajets, impossible à tenir avec les bateaux à voile. Si des passagers sont du voyage, c’est dans des conditions rudimentaires.

Un armateur Allemand va avoir l’idée de consacrer une partie de ses navires au transport de personnes. Des cabines sont aménagées, la première classe devient une forme de villégiature pour voyageurs fortunés. Luxe, calme et volupté. Iode et embruns. Les compagnies se livrent à une rude concurrence. A chaque nouveau navire, c’est l’excellence qui rutile dans ces vitrines flottantes du savoir-faire national. Certains vestiges sont encore visibles comme les éléments d’art décoratifs de l’ 'Île de France' qui donne l’ambiance des années folles des croisières transatlantiques.

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Les circonstances du drame du Georges Philippar sont connues. Un problème électrique a suffi à mettre en danger les 767 passagers dont cinquante-deux sont portés disparus. Le paquebot n’avait pas été assez vérifié, on avait signalé un problème dans le tableau électrique, qui va être réparé, mais pas suffisamment. Il y avait régulièrement des courts-circuits. Mme Valentin, une passagère des cabines de luxe, appelle le garde de nuit pour signaler que sa liseuse avait encore sauté. Peu rassurée, elle décide d’aller dormir sur le pont. Quand l’électricien arrive pour intervenir, la cabine est déjà en feu. Toutes les cabines et le pont-promenade étaient en chêne et acajou, recouverts d’un vernis hautement inflammable. Certaines portes coupe-feu étaient bloquées, ce qui aura pris au piège les malheureuses victimes. Heureusement, les autres passagers ont été secourus par des cargos russes et anglais, ce qui a grandement limité le nombre de victimes.

 

A écouter également, l'émission "Un jour dans l'histoire" qui recevait Pierre Assouline pour son roman 'Le paquebot'. Une séquence en deux parties réalisée par Jean-Marc Panis.

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