Le nightcore, ce sous-genre musical ultra-rapide et viral

Jarred Jermaine n’est pas le seul à surfer sur la tendance des sons en accéléré. Le hashtag associé à cette tendance, #spedupsounds, comptabilise plus de 9 millions de vues sur TikTok. Il a contribué à remettre au goût du jour des morceaux vieux de plusieurs années tels que Cool for the Summer de Demi Lovato. Cette chanson, issue du cinquième album de la chanteuse américaine, figure à la quatrième place des morceaux les plus populaires sur le réseau social cette année, bien qu’elle soit sortie en 2015.

Cette viralité inspire des jeunes artistes, comme Steve Lacy, à sortir eux-mêmes des versions accélérées de certains de leurs hits. Le but ? Les rendre les plus "TikTok compatibles" possible et, ainsi, gonfler leur nombre d’écoutes sur les plateformes de streaming musical. La preuve avec le remix de Roses que le producteur kazakh Imanbek a conçu en 2019. Cette version sous stéroïdes du morceau de Saint Jhn est devenue un véritable succès commercial après avoir trouvé son public sur TikTok, ce qui lui a permis de rester 23 semaines à la tête du classement "Hot Dance/Electronic Songs" de Billboard en 2020. De quoi pousser le musicien Jaime Brooks à se demander sur Twitter si Imanbek n’avait pas donné naissance, par inadvertance, au "premier hit nightcore".

Si la récente montée en puissance des chansons en accéléré semble lui donner raison, ce sous-genre musical est, en réalité, apparu en 2002. Il est sorti tout droit de l’imagination des Norvégiens Thomas S. Nilsen et Steffen Ojala Soderholm. Les deux hommes étaient encore au lycée quand on leur a demandé de créer leur propre chanson, selon le New York Times. Ils ont alors puisé l’inspiration dans le morceau Nessaja du groupe allemand Scooter et dans le répertoire happy hardcore, un genre de musique électronique né au début des années 90. Le résultat : un morceau au rythme contagieux que Thomas S. Nilsen et Steffen Ojala Soderholm ont créé à l’aide du logiciel eJay Dance 3.

Il n’a toutefois pas convaincu leur professeur puisque le duo a reçu la note "C + " pour leur composition, comme le révèle le Times. Mais cela les a poussés à composer un disque entier de titres tout aussi exaltés, et d’en donner des copies à leurs proches. Mais, par un heureux hasard, leurs morceaux se sont retrouvés en ligne et ont donné naissance au mouvement "nightcore".

Mais comment expliquer la résurgence de ce sous-genre musical, deux décennies après sa création ? Pour Emma Winston, une ethnomusicologue qui a étudié le "nightcore" en 2017, l’attrait réside dans l’aspect ludique et profondément communautaire de cette sous-culture. "C’était presque comme si l’idée même de faire de la bonne musique avait été remplacée par la valorisation de la participation", a-t-elle déclaré au Times.

En effet, n’importe qui est libre de contribuer au mouvement "nightcore" en remixant, plus ou moins habilement, le morceau de son choix. Cet esprit DIY ("do it yourself") fonctionne à merveille sur TikTok, une plateforme où tout le monde peut devenir un créateur de contenus. Toutefois, en bon sous-genre alternatif, le "nightcore" soulève des interrogations en termes de copyright et droits d’auteur. Des questionnements que les adeptes de cette sous-culture balaient du revers de la main. Ils sont avant tout mus par une volonté de découvrir sous un nouveau jour des morceaux qu’ils connaissent parfois depuis des années. Une fois remixés à la sauce "nightcore", ces mêmes titres leur semblent tout aussi inédits que la première fois qu’ils les ont écoutés, mais en même temps étrangement familiers.

C’est sur cette corde nostalgique que joue le "nightcore", comme tout le reste de l’industrie musicale pour Simon Reynolds. Le critique musical anglais a consacré un long essai, intitulé "Rétromania" (Le mot et le reste, 2011), à ce phénomène qui fait tourner le secteur culturel. "Au lieu de nous déposer sur le seuil du futur, les dix premières années du XXIe siècle ont été la décennie du "re" : revivals, rééditions, remakes, réinterpréta­tions", y explique-t-il. Le "nightcore" est l’une des manifestations de cette nostalgie entretenue par l’art de la revisite. Mais à vitesse grand V.