Les Grenades

Le milieu de la bière, un entre-soi masculin et blanc ?

© Getty Images

Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

L’équipe du site d'actualité zythologique Beer.be a mené l’enquête pour visibiliser les disparités en matière de genre dans les brasseries belges. En exclusivité pour Les Grenades, nous avons reçu les premiers chiffres concernant Bruxelles...

La discipline qui se consacre à l’étude de la bière constitue la zythologie (mot composé de zythos – bière et logos – étude en grec ancien). Sensible aux questions de féminisme et d’intersectionnalité, l’équipe de Beer.be a cherché à quantifier la représentativité des acteurs et actrices du secteur brassicole belge. "Nous nous sommes rendu compte que traiter de sujets liés à l’inclusion sans chiffres devenait problématique. Plutôt que de partir sur des postulats sans preuve concrète, nous nous sommes associé·es à Brussels Beer City pour créer la première base de données belge de nos brasseries artisanales", explique Cédric Dautinger, rédacteur en chef du projet Beer.be.

Des chiffres qui en disent long

Dans un article préambule, le journaliste explique la démarche de cette recherche statistique. Voici quelques points d’attention : la sélection de l’étude est basée sur la liste des brasseries belges, établie en 2021 par le site belge Zythos. Les près de 400 brasseries ont été divisées par région (Bruxelles, Flandres et Wallonie), et n’ont été gardées que les brasseries artisanales. Les statistiques concernent les dirigeant·es d'entreprise (personnes physiques inscrites comme administrateur·rices à la BCE) ainsi que les travailleurs et travailleuses (employé·es et ouvrièr·es) équivalents à des temps pleins dans les brasseries.

C’est important également d’avoir une nomenclature adaptée, notre fédération s'appelle la ‘Fédération des brasseurs belges’ et pas ‘des brasseries belges’...

L’étude porte sur le genre, mais aussi sur le pourcentage de personnes racisées au sein des équipes. Beer.be a récolté et continue de recueillir ces données directement auprès des brasseries, et ce de façon anonyme. "Quand j’ai publié l’article d’introduction à la démarche, j’ai reçu beaucoup de critiques. Je dois bien dire que 100% des messages provenaient d’hommes blancs. Aussi, je pense que si j’avais été une femme on m’aurait beaucoup plus attaqué...", commente Cédric Dautinger.

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Les Grenades publient aujourd’hui en exclusivité les premiers chiffres concernant Bruxelles. 20 brasseries bruxelloises ont été étudiées. Celles-ci comptent 84% dhommes et 96% de personnes blanches parmi les propriétaires. Du côté des travailleurs et travailleuses : 72% d’hommes et 93% de personnes blanches. À savoir, Bruxelles ne compte "que" 5 brasseries entièrement masculines sur 20, soit 75% des brasseries comptent au moins une femme dans leur équipe.

"Ces chiffres permettent d’objectifier la situation et d’observer les potentielles évolutions. Récemment, de nouvelles brasseries ont ouvert avec en leur sein des équipes plus mixtes. On est sur une bonne pente en tous cas en ce qui concerne le genre", clarifie Cédric Dautinger.

Les femmes dans le milieu brassicole, une longue histoire

Si elles sont aujourd’hui en minorité, il est important de rappeler que par le passé, les femmes ont joué un rôle prépondérant dans la fabrication de la bière. Comme l’expliquent nos consœurs Lucy Dricot et Cindya Izzarelli dans cet article, longtemps ce sont d’abord les femmes qui ont brassé tandis que les hommes, eux ne sont arrivés que bien plus tard. Les journalistes nous apprennent notamment que les premières traces de la bière remontent à 14 500 avant notre ère. Et que son invention serait liée à la fabrication du pain et à la conservation des céréales, deux tâches domestiques alors principalement réservées aux femmes.

"Chez les Celtes et les autres peuples nordiques, les femmes ont continué de brasser même si les hommes ont commencé à s’en mêler. En Angleterre, il y a eu des ‘Alewifes’ jusqu’à la fin du Moyen Âge. Ce qui a surtout dérangé les hommes, c'était l'impossibilité d'avoir un monopole d'état et/ou religieux sur la bière, mais aussi l'indépendance que la bière fournissait aux femmes qui travaillaient et gagnaient parfois plus que leurs maris", complète Cédric Dautinger.

Au XIVe siècle, les brasseuses sont diabolisées et considérées comme des sorcières. Petit à petit, les femmes disparaissent des brasseries. Elles continuent néanmoins de boire de la bière jusqu’au XXe siècle, jusqu’à ce que le marketing genré les évince pour de bon. Sans parler des stéréotypes autour de la consommation d'alcool par les femmes.

Bonne nouvelle, un essai vient de sortir sur le sujet. À travers "Maltriarcat", la journaliste Anaïs Lecoq nous éclaire sur le rôle des femmes dans l’histoire de la bière et sur les mécanismes qui les ont écartées du milieu brassicole. Passionnant !

Quand j’ai publié l’article d’introduction à la démarche, j’ai reçu beaucoup de critiques. Je dois bien dire que 100% des messages provenaient d’hommes blancs. Aussi, je pense que si j’avais été une femme on m’aurait beaucoup plus attaqué...

Les efforts à entreprendre

Il est temps de redonner leur place aux femmes auprès des cuves. Cédric Dautinger se dit confiant quant à l’avenir ; les nouvelles brasseries semblent s’inscrire dans une vision plus inclusive. Cependant, ne crions pas victoire trop rapidement. Les stéréotypes autour du travail manuel des femmes sont à déconstruire. Selon une étude de l’Université Stanford, les produits fabriqués par des femmes et destinés à la vente sur des marchés à caractère plus masculin (comme celui de la bière artisanale) sont pénalisés sans autre raison que le fait qu'ils soient fabriqués par des femmes.

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Pour attirer différents publics au cœur des brasseries, dric Dautinger ajoute la nécessité d’en finir avec la logique de boy's club. "Que ce soient les remarques déplacées, les blagues sexistes et bien entendu le harcèlement ou les agressions... Il faut pouvoir en parler. C’est important également d’avoir une nomenclature adaptée, notre fédération s'appelle la ‘Fédération des brasseurs belges’ et pas ‘des brasseries belges’..."

Le chemin est encore long. En espérant que ce travail statistique mené par Beer.be, additionné à la valorisation du matrimoine brassicole ouvre des discussions sereines pour plus d’inclusion, et ce, sous toutes ces formes. Santé à toutes et tous !

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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