Le Maroc se prépare à légaliser l'usage thérapeutique du cannabis

Un champ de cannabis à Elkolla, à 100 kilomètres de Larache dans le nord des montagnes du Rif

© ABDELHAK SENNA - AFP

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Par Jean-François Herbecq avec AFP

Premier producteur mondial de haschich, le Maroc va bientôt légaliser l’usage thérapeutique du cannabis. Pour l’instant, la lucrative culture du haschich est aux mains des trafiquants et le gouvernement voudrait "reconvertir les cultures illicites destructrices de l’environnement en activités légales durables et génératrices de valeur et d’emploi".

Le gouvernement marocain vient d’adopter ce jeudi un projet de loi autorisant un usage "médical, cosmétique et industriel", pas l’usage récréatif donc qui restera interdit. Le texte doit encore être validé par le Parlement.

L’utilisation thérapeutique du cannabis est millénaire pour traiter les tremblements, comme antiépileptique, anti-nauséeux. Il était utilisé en Europe jusqu’à ce qu’il soit prohibé au niveau mondial dans les années 1920.

"C’est la fin d’un tabou politique, l’aboutissement d’une dynamique lancée il y a une dizaine d’années au plus haut niveau de l’Etat", estime le sociologue Khaled Mouna.

"Savoir-faire ancestral"

L’enjeu est de taille pour ce pays d’Afrique du Nord classé premier producteur mondial de résine de cannabis (haschich) par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime dans son rapport 2020. Bien supérieurs aux estimations de ce rapport, 47.500 hectares en 2018, les chiffres officiels dévoilés cette semaine à Rabat font état de 55.000 hectares cultivés en 2019.

"De l’avis des experts, les atouts du royaume en la matière sont pour le moins indéniables : un écosystème propice, la proximité du marché européen en plein essor et un savoir-faire ancestral des agriculteurs", selon l’agence officielle MAP.

Il suffit de se promener sur les routes du Rif, dans le nord du pays, pour voir de vastes étendues de champs soigneusement cultivés et irrigués – en toute illégalité. Et "sur le plan pratique ; ce n’est pas compliqué, il suffit d’utiliser des semences adaptées et les planter à la prochaine saison" si la loi est votée dans les temps, souligne le botaniste Ismaïl Azza.

Les données officielles ne dévoilent pas la production actuelle qui s’élève, selon une étude publiée en 2020 par le réseau indépendant "Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée", à plus de 700 tonnes par an, pour une valeur d’environ 19 milliards d’euros.

Le projet de loi prévoit de créer une agence de régulation chargée de "développer un circuit agricole et industriel" et de contrôler toute la "chaîne de production", de l’importation des semences jusqu’à la commercialisation avec "périmètres réglementaires", "coopératives d’agriculteurs autorisés", "plants certifiés" et contrôle des teneurs en THC, la principale molécule psychoactive du cannabis.

La région de "Ketama qui a toujours fait la réputation de 'la marocaine', comme est surnommée la résine de cannabis à l’étranger, devrait forcément figurer dans la liste des zones autorisées", prédit le site semi-officiel 360.

Développement économique

Le Maroc table sur le développement soutenu du marché mondial du cannabis médical, avec des prévisions de croissance moyenne annuelle de l’ordre de 60% en Europe, son marché cible, selon une note du ministère de l’Intérieur. Les professionnels estiment à 0,8 milliard d’euros le marché du cannabis légal en Europe.

Mais "tout retard pris dans la mise en œuvre du projet pourrait se traduire par des risques de perte des opportunités économiques au profit de pays concurrents", avertit la MAP.

Signe de volontarisme, le projet de loi a été présenté "moins de trois mois après la décision des Nations unies de retirer le cannabis de la liste des drogues les plus dangereuses", débloquant ainsi l’usage thérapeutique de cette plante psychoactive, souligne Khaled Mouna.

Les cultures licites "amélioreront le bien-être" de la population du Rif et contribueront au développement économique de cette région montagneuse enclavée, pauvre et historiquement frondeuse, selon la MAP.

Jusqu’à présent, les petits cultivateurs du Nord ne profitaient guère de la manne puisqu’ils touchaient "4% du chiffre d’affaires final dans le circuit illégal" contre potentiellement "12% dans le marché légal", selon la même source.

Traditionnellement cultivé depuis des siècles, autorisé sous le protectorat français, interdit en 1954 mais toléré depuis, le "kif" fait vivre entre 80.000 et 120.00 familles, selon les estimations.

Autorisé en Belgique

Le cannabis utilisé à des fins thérapeutiques est autorisé à certaines conditions en Belgique depuis 2001 mais pas la culture qui est interdite chez nous pour l’instant.

Le cannabis produit la THC, psychoactive, ainsi que d’autres substances chimiques, plus de 80 cannabinoïdes, qui ont des effets thérapeutiques extrêmement larges, comme pour le glaucome, le sida, la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson.

Les études montrent les effets antidouleurs et anti-inflammatoires du cannabidiol (CBD). Pour le traitement de la sclérose en plaques, un médicament à base de cannabis est autorisé, le sativex qui reste très onéreux. Le CBD a un effet légèrement antidépresseur, anxiolytique, apaisant. Le THC, dans une concentration limitée, augmente l’appétit et le sommeil chez les malades.

En Thaïlande, le cannabis est au menu d'un restaurant (JT 16/01/2021)

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