Le jeans est un incontournable dans notre garde-robe depuis bien longtemps. Mais sa fabrication est particulièrement polluante. Face à ce constat, certains industriels se battent pour proposer un jeans plus éthique et plus vert. Exemples.
Le jeans est le pantalon le plus vendu au monde : 2 milliards chaque année ! Mais sa fabrication est l'une des plus néfastes à l'environnement : il faut compter entre 7 et 10 000 litres d'eau pour fabriquer un jeans. Sans compter qu'il a souvent parcouru plus de 60 000 km avant de finir dans notre armoire. C'est l'ensemble de la production du jeans qui requiert ces milliers de litres d'eau : la culture du coton, le tissage, la teinture, le délavage... Aujourd'hui, les choses changent, de nouvelles technologiques permettent par exemple de délaver le denim avec juste une tasse d'eau, soit 30 cl.
Vrai changement de paradigmes ou greenwashing ?
Cela fait environ 5 ans que la transition est en route pour le denim, explique Marina Coutelan, responsable mode du département Smart Creation, dédié à l'écoresponsabilité, au Salon textile Première Vision de Paris. D'abord avec l'utilisation du coton bio, puis du coton bio mélangé à du coton recyclé, puis des nouveaux procédés de teinture et de délavage.
"Ce marché de la Smart Creation prend de plus en plus de place : cela fait deux ans que l'on sent une accélération et un an que l'on sent un changement quasi systémique dans l'industrie de la mode. Quand on s'engage dans cette voie-là, cela implique des investissements dans de nouvelles machines, et quand on fait un pas vers cela, on ne va jamais revenir en arrière. Par ailleurs, on a des normes, des régulations qui sont en route, des accords au niveau de la filière, avec le Fashion Pact, qui fait que tout le monde se mobilise sur la question.
On peut parler d'un vrai changement parce que de nouveaux business models apparaissent, comme le leasing ou location de vêtements, même de la part de géants de la mode. Il y a bien sûr aussi une part de greenwashing, parce que ces questions sont brûlantes."
Le changement se fait petit à petit car les investissements sont importants : on va d'abord travailler sur la fibre, puis sur la teinture, le finissage... Il faut accepter que cette transition prenne du temps, d'autant que des innovations apparaissent chaque année.
Le recyclage, c'est encore mieux que le coton bio
C'est de Turquie que proviennent 42% des jeans qui arrivent en Europe. Le pays a été pointé du doigt pour sa pratique du sablage pour éclaircir le jeans, qui aurait causé la mort de plus de 2000 ouvriers et qui a été interdite en 2009. Depuis, plusieurs entreprises essaient de développer des méthodes plus écologiques, comme la manufacture de denim Bossa, à Adana, qui pratique le recyclage de la matière pour en faire de nouvelles fibres : "Le recyclage, c'est encore mieux que le coton bio", clame Besim Osek, le directeur du développement.
"Bossa est dans les dix entreprises de toile de denim les plus saines et les plus propres au monde, avec des travailleurs qualifiés, bien payés, et une entreprise respectueuse de l'environnement. Et on doit faire face à la concurrence du Bengladesh, du Pakistan, où le prix de vente au mètre est de 2.2 dollars au lieu de nos 3.5."
Privilégier le naturel et le local
En Lozère, en France, un couple de jeunes entrepreneurs a décidé de faire les choses autrement. Ils ont repris la manufacture familiale L'Atelier Tuffery, l'une des premières au monde à avoir fabriqué du jean, en 1892. Ils fabriquent des jeans en coton mais qui sont aujourd'hui confectionnés aussi avec des matières locales, comme la laine ou le chanvre.
"Je crois beaucoup à l'activité manufacturière française, affirme Julien Tuffery. Je suis persuadé qu'elle a de très beaux jours devant elle, à condition qu'elle se métamorphose.(...) Aujourd'hui, il faut s'émanciper sur le poste de travail, il faut faire 50 tâches différentes dans la journée, il faut co-créer les produits avec l'équipe, il faut impliquer l'équipe de fabrication dans tous les processus de la manufacture. Cela coûte beaucoup d'argent mais par contre, c'est génial parce qu'on n'a pas de turnover et que les personnes sont parties prenantes de l'industrie."
Un jeans coûte 100€, mais le coût de revient s'élève à 60€, ce qui est énorme, quand on voit qu'à l'autre bout de la planète, ils le font pour 3 à 4€. Sur ces 60€, il faut compter 30 % de matière, le reste est de la main d'oeuvre d'atelier. Dans les 40% de marge, il faut caler le marketing, la communication, l'expédition... En marge brute, c'est un petit 15%, qui permet d'investir dans l'extension de l'atelier, dans la formation du personnel, l'achat de matière et de logiciels, la recherche et développement. "On s'autofinance, on a quelques subventions mais pas assez pour tout ce qu'on fait."
Pourquoi investir là-dessus alors ? "Parce que je pense qu'on ne pourra pas s'offrir le luxe de faire voler ou naviguer des balles de coton qui viennent de très très loin très longtemps. Je pense que le coton est une matière en sursis qu'on ne pourra peut-être plus utiliser dans 30 ans."
La laine des brebis de Lozère est désormais valorisée en circuit court, en France. "C'est génial, estime François Mantes, éleveur-paysan. On dépasse la réflexion purement agricole en revalorisant cette matière noble qu'est la laine. Ce n'est pas une mode, c'est une évolution sociétale qui fait qu'on redécouvre le vivant, la matière, les produits naturels, les matières animales et végétales, la laine, le chanvre, le lin. On en a un peu marre de porter du synthétique, des produits transformés je ne sais où, de la façon la moins transparente possible."
Moins et mieux acheter
Nayla Ajaltouni est la directrice du collectif Ethique sur l'étiquette qui lutte pour les droits des travailleurs dans l'industrie textile :
"Un jeans à 5€, ça n'existe pas. Derrière un jeans à 5€, on a ignoré le travail d'individus, leurs conditions de travail, leur vie, leur droit à la dignité. On a ignoré des pollutions massives et irréversibles... On s'est habillé autrement qu'avec des jeans à 5€, même quand on avait très peu de moyens, mêmes les classes plus pauvres, il y a quelques années. C'est un système économique qui a été créé pour que les marques vendent en masse, pour un modèle très rentable, sur le principe de la grande distribution.
Aujourd'hui, c'est vrai que l'alternative proposée par des marques responsables est très chère. Il y a un coût tout à fait justifié qui est celui du travail, des normes sociales et environnementales, qui sont un investissement pour notre avenir et qui est la façon selon laquelle on doit acheter et consommer. Il y a un développement de marques intermédiaires qui devraient permettre à la masse de s'habiller correctement pour des prix moins élevés. Il faut une intervention des pouvoirs publics pour soutenir ces projets, comme pour le café équitable."
Il faut penser aussi à la seconde main. L'idée étant quand même d'aller vers une diminution de nos achats...