Bart De Wever pose, un peu avachi sur un fauteuil, devant le château, costume impeccable au côté d’un grand chien blanc. La première chose qui frappe c’est le gros "cou" de Loppem. Bart De Wever, qui est historien de formation, sait très bien où il est et ce qu’il fait. Cette pose l’intronise lui-même en personnage historique.
Et en effet, il y a 102 ans à Loppem le roi a forcé l’histoire. Il a invité des politiques "progressistes", parmi les trois grands partis de l’époque (socialiste, libéral et catholique) et soigneusement contourné les plus conservateurs (surtout catholiques mais aussi libéraux) hostiles au suffrage universel masculin. Cette opposition conservatrice va crier au "coup d’État", au "coup de Loppem". Non sans fondement puisque si on suit la constitution, le suffrage universel masculin aurait dû être voté par un Parlement issu du suffrage plural en vigueur (plusieurs voix en fonction des revenus, du diplôme, du statut de chef de famille). Or ça ne s’est pas passé comme ça. Les "conjurés" d’Oppem ont choisi de directement faire élire un Parlement au suffrage universel. Parlement qui a voté une loi de circonstance. La constitution a été suspendue, si on veut.
Franchise
Bart De Wever veut donc un nouveau moment historique, un moment de suspension de la constitution. Il ne parle donc pas d’un coup d’État violent, contrairement à ce que certains ont voulu lui faire dire. Avec franchise, avec aussi l’orgueil de l’historien qui veut entrer dans l’histoire, il dit qu’il faut contourner la constitution, parce que dit-il, aujourd’hui le système est confiné. Réformer le pays est devenu impossible, car avoir les deux-tiers de l’assemblée avec autant de partis n’est plus imaginable. Ces blocages ne peuvent plus durer sans quoi, il prédit comme historien qui veut rentrer dans l’histoire que :
l’on se dirige vers une implosion du système, je n’exclus même pas les troubles civils. Que les gens s’attaquent dans la rue.
“Le coup d’État ou la guerre civile”, voilà sans exagérer comment se présente l’avenir pour Bart De Wever. La solution c’est d’arriver au confédéralisme par un "coup". Se passer de l’État fédéral, pour une Belgique à quatre. Enfin à deux, Flandre Wallonie, Bruxelles et les germanophones ayant un sous-statut.
Prendre Bart De Wever au sérieux
Il faut prendre Bart De Wever au sérieux. Il faut même le prendre au pied de la lettre. Un nouveau "coup de Loppem", cela veut donc dire sur la finalité, dépasser les blocages pour rencontrer les nouvelles aspirations citoyennes. Dans la méthode cela veut dire faire intervenir le Roi (Philippe plutôt qu’Albert), cela veut dire, introduire une réforme électorale, cela veut dire une union nationale (mais en laissant de côté ceux qui ne veulent pas du changement), cela veut dire, enfin, une suspension de la constitution.
Mais la première question qui se pose, c’est celle de la légitimité éthique et historique de tout ça. Car le coup de Loppem s’est fait en temps de guerre. La constitution a été contournée pour instaurer plus de démocratie et de justice. Éviter aussi des troubles civils. Les dirigeants de l'époque craignaient la révolte des soldats revenant du front. Des soldats qui ne pouvaient pas voter (ou dont la voix comptait peu) et ne pouvait que regarder les nobles et les bourgeois, qui ont beaucoup moins souffert qu’eux, décider de leur avenir. Le système électoral de l’époque bloquait une idée arrivée à maturité dans l’histoire de la société belge, celle du suffrage universel pour lequel une partie de libéraux et le POB militaient depuis 35 ans.
Est-on face au même phénomène aujourd’hui ? Le confédéralisme serait-il arrivé à maturité dans l’histoire ? C’est l’évidence dans la tête de Bart De Wever, mais est-ce le cas dans la société (surtout francophone) ?
La deuxième question est de savoir comment faire rupture aujourd’hui. La vision de Bart De Wever, avec un scrutin majoritaire de type britannique c’est de revenir à des partis forts, plus à même de décider de l’avenir du pays. Mais, en passant, moins de proportionnelle c’est aussi moins de représentation démocratique, ce qui est l’inverse du but recherché à Loppem il y a 100 ans.
Si on suit la logique de Loppem, le coup ne pourrait se justifier que par une radicalisation de la démocratie : le recours au référendum ? Le tirage au sort ? Les conventions citoyennes ? Ce genre d’idées semble avoir gagné en maturité dans l’histoire. Beaucoup plus que la très vieille idée d’en revenir à deux ou trois grands partis qui négocient des réformes de l’État dans des châteaux.