Si on en croit le Larousse, le groove se dit d'un style de musique au rythme, binaire le plus souvent, qui possède un caractère répétitif très entraînant. Hugues Warin, de Point Culture, nous emmène creuser du côté des musiques populaires noires américaines, respirer la sueur de James Brown, décortiquer des chefs d’œuvre du genre. Il nous parle de syncopes, de sillons, de Stromae et même du prélude en do majeur de Bach.
Un voyage à travers des décennies d’histoire de la musique
à la recherche de cette petite chose magique qu’on appelle le groove.
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Comment définir le groove ?
Le terme anglais groove signifie littéralement creuser un sillon, avec l'idée de s'installer. Il y a aussi dans ce mot un rapport à la terre, dans la mesure où on va dire d'un musicien de groove qu'il est ancré dans le sol.
Pour Hugues Warin, le groove est avant tout une qualité, l'équivalent en musique de ce qu'est le mouvement en dessin. Le groove est ce qui va donner envie de se mettre en mouvement, de bouger, de danser. On ne peut pas mesurer le groove, il n'est pas quantifiable, il est irrationnel. Mais il reste aussi une notion subjective, parce que, comme il peut prendre des formes différentes, les gens apprécieront si pour eux, cela groove ou non.
La musique noire américaine
Cette définition du groove, cette qualité que possède la musique et qui parle directement à notre corps, elle nous mène naturellement vers les musiques noires américaines. Aux origines, on trouve les chants de travail des esclaves : la voix qui chante, l'outil de travail vécu un peu comme un instrument qui accompagne le chant, le rythme.
Ensuite, viennent les chants religieux, avec les negro spirituals mais surtout avec le gospel, qui utilise des textes sacrés mais où la musique peut être profane.
Dans les années 50, apparaît le rythm and blues, puis la soul dans les années 60. Ces musiques s'expriment beaucoup par le corps, comme les musiques africaines traditionnelles.
James Brown, le godfather soul
Les musiques populaires noires américaines, le langage corporel, le gospel, le rythm and blues, la soul, le funk, tout cela est regroupé en un seul homme : James Brown. Comme beaucoup, il a commencé par le gospel, le rythm and blues, on le surnommait le godfather soul, le parrain de la soul music.
Puis il a initié avec d'autres ce qu'on appelle le funk, qui renvoie à l'odeur de la transpiration, au corps dans ce qu'il a d'un peu sale. La musique se concentre davantage sur la composante rythmique, avec la mise en valeur de la section basse-batterie, avec un chant plus scandé, moins mélodieux. Le cri est beaucoup utilisé.
Sur scène, le groove de James Brown prend encore une autre dimension. Le groove naît aussi de la répétition, de la durée, et crée au fil du concert un état particulier auprès du spectateur.
Le groove est la manière par laquelle un musicien arrive à communiquer son rapport corporel à la musique aux spectateurs, donc la performance scénique est essentielle. On la retrouvera chez Michael Jackson ou Prince plus tard, rappelle Hugues Warin.
Le groove est donc un état atteint par le musicien et transmis à l’auditeur, une sorte de moment de grâce. On a ça dans le sang ou on ne l’a pas. Mais pourtant, il y a des aspects techniques qui mènent au groove. La section basse batterie, mais aussi la rythmique du phrasé, la manière dont les mots sont placés, aussi bien dans les intonations que dans le placement rythmique. Le langage parlé, l'accentuation font groover la musique.
Nile Rodgers
Une autre machine à groove voit le jour à la fin des années 70 aux Etats-Unis : Nile Rodgers et son groupe, Chic. Nile Rodgers a recours à des accords riches qui viennent du jazz, mais il les transforme, il les déguise pour qu'ils sonnent pop. "Il y a là un dilemme entre la prétention de faire quelque chose de beau et celle de faire quelque chose d'efficace".
Le mouvement est souvent ascendant, répétitif, et crée ainsi une addiction chez l'auditeur. Dans beaucoup de morceaux populaires des années 70, 80, ce ne sont pas les morceaux solo qui vont renforcer le groove, mais la répétition de certains éléments très simples.
Michael Jackson
Un troisième artiste dont le groove semble éternel, c'est Michael Jackson. Et notamment sur le morceau Billie Jean, un morceau parfait. Billie Jean et ses innombrables hooks, ses hameçons sonores qui s’accrochent quelque part en nous et nous font irrésistiblement groover, danser. La danse, c’est un aspect essentiel du groove. James Brown et Michael Jackson pour ne citer qu’eux étaient des danseurs hors pairs.
Et puis, il y a le phrasé particulier de Michael Jackson. Dans le groove, ce n'est pas le côté littéraire de la phrase qui compte, c'est la manière dont elle est placée rythmiquement.
La syncope
Un aspect rythmique essentiel du groove, qui nous renvoie bien des décennies avant les James Brown, Michael Jackson et autres Nile Rodgers, c’est l'utilisation de la syncope.
Il y a un tournant aux Etats-Unis entre le 19e et le 20e siècle, avec des musiques comme le ragtime. Ce sont les musiques syncopées, le contraire des marches militaires qui appuient les temps forts. La syncope c'est le fait de jouer sur un temps faible une note qui est attendue sur un temps fort, ou de jouer sur les contretemps.
Dans les orchestres américains, notamment par la présence de musiciens noirs, on va commencer à syncoper les musiques qui étaient jouées autrement précédemment. Louis Armstrong par exemple développe ainsi la vie rythmique d'une mélodie, en la chantant sur une seule note de manière syncopée.
Alors on danse
En septembre 2009, une mélodie syncopée, un groove infernal provenant de Belgique, balaie les dance floor du monde entier, c'est Stromae avec Alors on danse. A part la première note, toutes les notes sont sur des contretemps. L'apparente simplicité du texte est aussi exemplative du groove, avec la répétition des mots Alors on danse, un hook manifeste.
La musique classique a-t-elle groové au fil des siècles ?
Ecoutez ici les explications d' Hugues Warin !