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Le généticien Lluís Quintana-Murci : "Nous sommes tous métis"

D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Lluís Quintana-Murci, biologiste franco-espagnol de renommée mondiale, nous convie à un grand voyage dans le temps et dans l’espace, à la recherche de nos origines et de notre destinée. Il montre que nous sommes tous des métis et que c’est ce métissage même, y compris avec les humains archaïques, qui a contribué à la survie des humains, notamment face aux pathogènes et aux virus.

Dans ce livre, Lluís Quintana-Murci, généticien à la tête de l’unité de Génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur, se fonde sur les outils puissants qu’offrent les sciences les plus récentes pour déchiffrer nos génomes et explorer leur diversité à travers les populations humaines, non seulement celles d’aujourd’hui, mais aussi, grâce aux vestiges fossiles, celles d’hier.

Le métissage, notre héritage

"Cet ouvrage, c’est : à travers la génétique, disséquons le passé pour comprendre notre présent et éventuellement envisager le futur", résume Lluís Quintana-Murci.

La génétique de populations, c’est-à-dire l’étude de la diversité de nos génomes, nous a permis de comprendre notre sortie d’Afrique, nos métissages avec des formes humaines aujourd’hui disparues, mais aussi notre métissage continu entre différentes populations humaines.

Nous ne sommes pas autre chose aujourd’hui que les descendants de ceux qui ont survécu, dans le passé, aux grandes épidémies – tuberculose, grippe espagnole, choléra, peste noire… – donc en comprenant nos diversités génétiques qui sont le résultat de ceux qui ont survécu et dont nous sommes les descendants, on peut poser les bases d’une médecine plus personnalisée, d’une médecine plus de précision.

Il s’agit de comprendre comment notre bagage génétique, notre mode de vie, notre microbiote,… participent à nos différences face à la maladie, mais aussi face aux traitements thérapeutiques.

L’influence du métissage néandertalien

Notre population européenne est le métissage de 4 groupes différents au moins, que sont les premiers chasseurs-cueilleurs venus d’Afrique, les Néandertaliens, les agriculteurs du Néolithique venus du Moyen Orient il y a environ 10.000 ans, les populations qui ont apporté de l’Europe de l’Est la langue indo-européenne, il y a 4000 ans.

Il a beaucoup été question des Néandertaliens au début du Covid-19, lorsque l’on a découvert – chose qu’on ne savait pas il y a 12 ou 13 ans – que tous, hors d’Afrique, nous avons entre 2 et 2,5% de notre génome qui est hérité de l’homme de Néandertal. Cette caractéristique est présente chez 50% de la population mondiale, sauf en Afrique, et diminuerait le risque de forme sévère de Covid-19 d’environ 22%.

Toutefois, l’héritage néandertalien qui est en nous peut parfois se révéler délétère… et même affaiblir notre immunité face au Covid-19 ! Un autre morceau d’ADN d’origine néandertalienne, présent chez 16% des Européens, 50% des Indiens et 65% des personnes du Bengladesh, augmente de 60% le risque de développer un Covid sévère.

Le métissage, facilitateur de l’adaptation

Le métissage qu’on a eu avec l’homme de Néandertal a toutefois été bénéfique, en général. Les premiers humains qui ont quitté l’Afrique il y a 60.000 ans et qui ont débarqué en Europe n’étaient pas adaptés au climat, ni aux ressources nutritionnelles, ni aux pathogènes européens. Mais ils ont rencontré sur place les Néandertaliens qui s’y trouvaient depuis 300.000 ans. Grâce au métissage, nos ancêtres européens ont donc acquis les mutations qui leur ont permis de résister au froid, aux pathogènes, et notamment aux virus ARN.

Le métissage a donc généralement été un facilitateur de l’adaptation à l’environnement.

On peut bien sûr se métisser entre populations humaines modernes. Grâce au métissage entre les peuples de fermiers bantous et les populations de chasseurs-cueilleurs de la forêt, dites pygmées, des mutations ont été échangées, qui permettent aux deux groupes de mieux résister au paludisme.

'Le peuple des humains', un livre de Lluis Quintana-Murci
'Le peuple des humains', un livre de Lluis Quintana-Murci © Odile Jacob

Comment survient une mutation ?

"Jamais un gène ne décide de changer pour aider quelqu’un !" souligne Lluís Quintana-Murci.

A l’origine, la mutation, comme celle qui permet par exemple à une population indonésienne de pouvoir plonger en apnée pendant 13 minutes, arrive toujours au hasard. Elle va donner aux individus un avantage adaptatif, c’est-à-dire bénéfique pour leur survie. Les individus qui bénéficieront de cette mutation vivront plus longtemps et mieux. Ils auront plus d’enfants, de sorte que la mutation va augmenter en fréquence dans la population. C’est la base de la sélection naturelle de Darwin.

Le hasard est ce qui gère la plupart des changements de la diversité génétique entre individus. Mais plus important que le hasard, c’est que, sans cela, il n’y a rien, c’est le néant. L’évolution s’arrête. S’il n’y a pas de diversité génétique, il n’y a pas de substrat sur lequel utiliser cette diversité génétique pour s’adapter.

C’est pour cela que les populations métissées ont plus de substrat génétique sur lequel s’adapter qu’une population super-isolée du fin fond du nord de la Sibérie.

Le revers de la médaille

Il faut savoir qu’en Europe, au début du 20e siècle, avant l’arrivée des vaccins et des antibiotiques, seulement 38% de la population arrivait à l’âge de 40 ans. Aujourd’hui, 98% de la population européenne arrivent à cet âge. Grâce à l’amélioration de l’hygiène, aux antibiotiques et aux vaccins, on a augmenté la longévité et la qualité de vie des individus. La sélection naturelle a été légèrement modifiée. Or, rien n’est parfait dans la nature, il y a un certain prix à payer.

"Pendant 98% de notre histoire, on a sélectionné les mutations qui ont rendu notre système immunitaire extrêmement combatif. Quand vous enlevez, dans certaines parties du monde, cette présence et cette pression des pathogènes, ces mêmes mutations et ce système immunitaire très réactif peuvent se retourner contre nous-mêmes, chez certaines personnes, et être à la base de l’incidence accrue de certaines maladies auto-immunes, inflammatoires et allergiques", précise Lluís Quintana-Murci.

Le métissage, la clé d’une médecine plus personnalisée

Toutes ces recherches vont permettre de mieux adapter notre médecine et de la rendre plus personnalisée. C’est l’objet du projet Milieu intérieur, dont Lluís Quintana-Murci est co-responsable, avec l’Institut Pasteur, depuis 2011.

Quand on traite un patient avec l’un des 10 médicaments les plus utilisés au monde, il faut savoir que ces médicaments ne fonctionnent bien et sans effets secondaires que dans 20% des cas, parce que nous ne sommes pas tous pareils face aux traitements thérapeutiques, explique-t-il.

Le but est de comprendre dans quelle mesure nos diversités génétiques, mais aussi notre environnement, ce que l’on mange, notre passé vaccinal, nos microbiotes, etc., comment tout cela participe à nos différentes réponses immunitaires face aux maladies infectieuses et à nos réactions à certains traitements thérapeutiques anti-infectieux, voire à certains vaccins.

Le futur est à une médecine plus de précision, plus adaptée à chaque individu, avec des épargnes conséquentes en santé publique.

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