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Le "freedom day" au Royaume-Uni: une stratégie très risquée, juge Marius Gilbert

Après plus d’un an de confinement, les Anglais retrouvent les joies du shopping sans masque.

© (Photo by Tolga Akmen / AFP)

Les Anglais respirent. Ce lundi 19 juillet, ils vivent leur " freedom day ", le jour de la liberté. Presque toutes les restrictions sanitaires anti-covid sont levées. Le gouvernement britannique a maintenu sa stratégie de déconfinement malgré une flambée des nouvelles contaminations et les inquiétudes de nombreux scientifiques internationaux. Chez nous, l’épidémiologiste Marius Gilbert parle d’une stratégie " très risquée ".

Dernière étape du déconfinement

Fini le masque obligatoire. Il est juste recommandé dans les transports et les magasins. Finie la distanciation sociale. Les rassemblements ne sont plus limités. Le service au bar est à nouveau autorisé dans les pubs. Les salles de spectacle et les stades peuvent rouvrir à pleine capacité. L’Angleterre achève son déconfinement ce lundi après plus d‘un an de mesures de restrictions pour freiner la propagation du coronavirus.

Mais est-ce le bon moment ? Au Royaume-Uni, le nombre de contaminations monte en flèche, à cause du variant Delta, plus contagieux. Avec quelque 50 mille cas par jour, le pays est le plus touché en Europe. Le premier ministre britannique a dû lui-même s’isoler ce week-end après que son ministre de la Santé, Sajid Javid, a été testé positif.

Boris Johnson, inflexible

Depuis plusieurs jours, des responsables politiques et du monde médical britanniques appelaient Boris Johnson à postposer la fin du confinement. " Ne sous-estimons pas le risque d’avoir de nouveau des ennuis très rapidement ", a averti il y a quelques jours Chris Witty, le médecin chef pour l’Angleterre qui s’attend à ce que des restrictions soient réimposées avant la fin des vacances d’été.

Boris Johnson : « Si nous ne le faisons pas maintenant, on peut se demander si on le fera un jour. C’est donc le bon moment. »
Boris Johnson : « Si nous ne le faisons pas maintenant, on peut se demander si on le fera un jour. C’est donc le bon moment. » © (Photo by David Rose / POOL / AFP)

Mais pas de quoi démonter le premier ministre britannique. " Si nous ne le faisons pas maintenant, on peut se demander si on le fera un jour. C’est donc le bon moment, mais nous devons procéder avec prudence ", a déclaré Boris Johnson dans une vidéo diffusée le dimanche 18 juillet. Le dirigeant conservateur semble privilégier la relance de l’économie britannique, fortement affectée par l’épidémie. Il s’appuie sur le succès de la campagne de vaccination – plus de deux tiers des adultes sont vaccinés : " Nous avons cette immense consolation et cette satisfaction de savoir qu’il ne fait aucun doute que le programme de vaccination a gravement affaibli le lien entre maladie, hospitalisation et décès. " Autrement dit, grâce à la vaccination, le système hospitalier britannique va pouvoir encaisser le choc d’une hausse des admissions des malades du Covid.

Risque réel de Covid longs

Mais pour Marius Gilbert, directeur de recherches FNRS à l’Université Libre de Bruxelles, cette stratégie est très risquée : " Actuellement, les hospitalisations et les décès remontent mais pas du tout dans des proportions analogues à ce qu’on a connu précédemment et ça, c’est l’effet de la vaccination. Toutefois si la transmission remonte, il y aura un certain nombre de personnes qui vont faire des formes sévères parmi les non-vaccinés, mais aussi parmi les personnes vaccinées parce qu’on sait bien que la vaccination n’offre pas une protection totale. […]"

"D’une certaine manière, ils prennent acte qu’un grand nombre de personnes vont faire des formes sévères, qui vont faire des Covid longs ou bien qui vont se faire hospitaliser, qui vont se retrouver aux soins intensifs. Et l’autre élément de prise de risque, c’est qu’ils laissent complètement de côté les dizaines de milliers de personnes qui vont se faire infecter, qui ne vont pas nécessiter d’hospitalisation, mais qui vont avoir des séquelles importantes comme des pertes d’odorat, des pertes de goût, des essoufflements, des fatigues qui persistent pendant plusieurs mois après l’infection. Et tous ceux-là, c’est comme si le gouvernement britannique considérait que ce n’était pas grave. "

Marius Gibert : « Ils prennent acte qu’un grand nombre de personnes vont faire des Covid longs ou vont se faire hospitaliser. »
Marius Gibert : « Ils prennent acte qu’un grand nombre de personnes vont faire des Covid longs ou vont se faire hospitaliser. » © (RTBF)

Risque théorique de nouveaux variants

La stratégie de Boris Johnson pourrait aussi avoir des conséquences bien au-delà des frontières du Royaume-Uni. La semaine dernière, un groupe d’influents scientifiques internationaux voyait avec crainte la levée des restrictions par le gouvernement britannique. Selon eux, cette mesure " risque de saper les efforts de contrôle de la pandémie non seulement au Royaume-Uni, mais également dans d’autres pays ". L’explosion des contaminations au Royaume-Uni pourrait favoriser l’émergence de nouveaux variants.

Mais Marius Gilbert relativise cette menace. Le risque n’est pas plus grand au Royaume-Uni que dans les autres pays où le virus circule fortement. Il n’empêche qu’il existe une spécificité britannique. " Ils ont une partie de la population qui est vaccinée. Donc, en laissant la transmission se propager de façon assez active dans une population qui est partiellement vaccinée, ça pourrait être un risque supplémentaire de voir apparaître des souches qui sont plus résistantes à la vaccination. Ça, c’est un risque particulier au Royaume-Uni par rapport à des pays très peu vaccinés où la maladie circule. Mais j’insiste on est ici dans le domaine un peu spéculatif. C’est un risque théorique. "

Est-ce que Boris Johnson fait à nouveau le pari de l’immunité collective ?
Est-ce que Boris Johnson fait à nouveau le pari de l’immunité collective ? © (Photo by Tolga Akmen / AFP)

La stratégie de Boris Johnson comporterait donc des risques, mais d’abord pour les Britanniques. " Est-ce que le Royaume-Uni ne pourrait pas poursuivre son calendrier vaccinal comme on le fait chez nous, tout en ne relâchant pas totalement les mesures pour garder la transmission sous contrôle. Je ne vois pas de bénéfice très clair. Sauf à essayer d’arriver le plus rapidement à une forme d’immunité collective. "

Une stratégie que Boris Johnson avait déjà privilégiée tout au début de la pandémie mais qu’il avait abandonnée après la saturation rapide des hôpitaux et le nombre élevé de décès. A ce jour, le Covid-19 a fait plus de 128 mille morts au Royaume-Uni, ce qui un des chiffres les plus élevés au monde.

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