Le folklore aux mains des hommes
Clémence Mathieu est sur la même longueur d’onde : "Les traditions sont vivantes et doivent évoluer avec leur temps, il faut pouvoir les réexaminer". Le problème pour nos interlocutrices, c’est que l’Histoire et le folklore sont écrits par des hommes : "Les traditions sont aux mains des hommes depuis toujours et presque partout sur le globe, explique Clémence Mathieu. Les traditions du Carnaval ont été récupérées par des hommes d’Eglise, puis des hommes de Loi. Et c’est encore le cas aujourd’hui à Binche, les autorités du Carnaval sont constituées essentiellement d’hommes".
Les traditions sont vivantes et doivent évoluer avec leur temps, il faut pouvoir les réexaminer
"Cette histoire a été réécrite par des hommes au 19e siècle par des ethnographes, des folkloristes qui étaient uniquement des hommes blancs bourgeois, rappelle l’historienne Valérie Piette. Et pour eux, cette histoire ne pouvait être qu’endocentrique, une histoire des hommes écrite par des hommes".
Dernier bastion
Pourtant, la société évolue, la place des femmes et les mentalités aussi. Dans ce contexte, ce qui étonne nos interlocutrices c’est la persistance du sexisme dans le folklore : "C’est fascinant ! Le folklore bouge très peu. C’est un bastion, quasi sacralisé, auquel on ne peut toucher et où la virilité doit se marquer. C’est très difficile de faire bouger les choses même si on voit que les lignes bougent mais très peu".
Les femmes, pas forcément demandeuse
Malgré l’inertie et les freins, les lignes bougeraient donc lentement. Il y a 10 ans, la question de la place des femmes dans le Carnaval ne se posait pas publiquement, aujourd’hui le débat existe, les mentalités changent. Des femmes défilent dans les Carnaval, y compris les plus masculins. Une femme a été pour la première fois Tambour-Major l’année dernière à la Marche de Saint-Feuillen.
Il y a beaucoup d’autocensure dans le chef même des femmes
Mais toutes les femmes ne sont pas pour autant demandeuses : "il y a beaucoup d’autocensure", relève Clémence Mathieu. Il existe par exemple depuis 3 ans une Société composée uniquement de femmes à Binche, elles défilent le Lundi Gras (la veille jour des Gilles donc) : "La présidente de cette Société s’est exprimée, elle a dit que pour elle c’était impensable de défilé le Mardi Gras, jour des Gilles. C’est aussi une manière pour elles de se démarquer des hommes de ne pas défiler le même jour. Quand on leur demande si elles voudraient être Gille, elles disent non. Elles veulent leur propre identité". Entre l’inertie de son socle de traditions et une société en pleine évolution, le folklore doit donc trouver son équilibre.
" Pas dans l’habitude des femmes d’êtres aux devants de la scène "
Et puis défiler au Carnaval, c’est aussi s’approprier l’espace public. C’est être dans la rue, faire du bruit, se montrer, prendre la parole, c’est être aux devants de la scène "et ça, ce n’est pas dans l’habitude des femmes, en tout cas c’est ce qu’on leur a refusé, relève Valérie Piette. Le Carnaval c’est de l’ordre du sacré, c’est sérieux, donc ce n’est pas pour elle. C’est prendre la rue, donc ce n’est pas pour elles. Et elles ont accepté cela pendant longtemps et aujourd’hui, on voit bien que ce n’est plus possible. On se demande comment c’est possible en 2020 d’avoir encore une telle ségrégation dans notre société. Quand des femmes font des conférences non-mixtes ou organisent des séances de natations pour les femmes seulement, on hurle. Mais là, pour les Carnaval, ça paraît évident. Il y a une sorte d’acculturation d’avoir accepté cette tradition. Le folklore doit vivre et se réinventer. Ces femmes vont peut-être réussir à changer le folklore".
CQFD, Ce Qui Fait Débat, un face-à-face sur une question d’actualité chaque jour à 18h20 sur La Première et à 20h35 sur La Trois. L’entièreté du débat ci-dessous.