Belgique

Le financement des partis politiques reste fixé et contrôlé par… les partis

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Par Philippe Walkowiak

Jusqu’à il y a moins de trente ans, aucune règle n’encadrait les finances des partis politiques en Belgique. Pendant 160 ans, les partis belges ont pu dépenser ou récolter de l’argent pratiquement à leur guise. D’ailleurs, la Constitution ne prévoit toujours pas l’existence des partis politiques qui pourtant gèrent nos différentes institutions.

La première loi date du 4 juillet 1989. Et depuis, elle a été complétée à 14 reprises ! Signe que ce financement des partis politiques est devenu un véritable sujet de préoccupation, un réel enjeu démocratique.

En quelques années, la Belgique est passée d’un système totalement dérégulé, où l’origine de l’argent des partis n’importait guère, à un financement totalement public des groupes politiques représentés dans les parlements.


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Mais ce qui demeure depuis les origines, c’est que les partis n’ont pas de personnalité juridique. Les partis politiques en Belgique ont opté́ pour l’association de fait et non pour une personnalité juridique.

"En théorie, selon le CRISP, l’absence de personnalité juridique emporte dès lors l’absence de droits et de devoirs. Les partis politiques ne peuvent en principe ni contracter, en justice, ni disposer d’un patrimoine propre. Le parti politique n’existe donc pas juridiquement, pour ainsi dire."

Il est donc toujours quasiment impossible d’attaquer un parti en justice, par exemple. Les syndicats fonctionnent aussi avec un modèle analogue.

C’était mieux avant ?

Avant 1989, tout ou presque était permis : dons des entreprises (dont beaucoup concourraient pour des marchés publics), dons de particuliers non identifiés, détournement de subsides publics via des asbl fantômes, membres de cabinets ministériels travaillant exclusivement au siège du parti, etc.

"Il est important pour une firme de savoir qui sera au pouvoir", entend-on dans ce reportage de 1976.

Les affiches électorales en 1974

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Aucune dépense électorale (ni autre) n’était contrôlée. Tout était permis, même de distribuer du poulet aux électeurs ! Entre les partis, cela provoque une escalade de débauches de moyens, les campagnes électorales démesurées coûtent de plus en plus cher, même si les partis ne sont guère regardants sur l’origine des fonds.

Les députés (issus de tous les partis, avec notamment parmi les signataires Louis Michel et… Frank Vandenbroucke) qui déposent cette proposition de loi font ce constat :

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Cette prise de conscience fait écho à certaines affaires que viendront illustrer plus encore peu de temps plus tard les affaires Inusop, Agusta et Dassault.

Financement public progressif

Le contrôle des dépenses électorales et le financement vont évoluer progressivement ; la Belgique ne bascule pas radicalement d’un système à l’autre. La loi va dès lors limiter les dépenses lors des scrutins mais aussi restreindre petit à petit les sources de financement des partis politiques pour finalement organiser un financement quasi exclusivement public.

"Le dispositif de financement imaginé par le législateur fédéral consiste en une dotation annuelle, qui est versée, non pas au parti politique lui-même, mais à une association que le parti doit créer à cet effet et qui doit être agréée par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres. Cette dotation est composée de deux montants, qui sont adaptés en fonction des variations de l’indice des prix à la consommation : un montant forfaitaire — donc fixe — de 125.000 euros et un montant supplémentaire — variable — de 1,25 euro par vote émis valablement sur les listes de candidats reconnues par le parti politique lors des dernières élections législatives fédérales", explique le professeur Marc Verdussen dans son livre "Le financement public des partis politiques en Belgique".

Évolution des contributions directes de l’État aux partis politiques entre 1971 et 2020.
Évolution des contributions directes de l’État aux partis politiques entre 1971 et 2020. © Vives briefing 2021/09

Il reste ensuite à contrôler l’usage de cet argent. Les partis politiques gardent d’importantes latitudes en la matière et restent très discrets sur l’usage qui est fait de deniers publics.

La Sixième réforme de l’état est venue perturber la donne. Il n’y a plus de sénateurs élus directement et donc plus de financement des partis via ce biais. Perte pour l’ensemble des partis : 10 millions d’euros !


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Mais les partis se sont entendus. Pour compenser, ils ont décidé d’augmenter les dotations versées par la Chambre : en sus, une dotation de 50.000 euros et un bonus d’un euro par voix recueillie lors de l’élection de la Chambre seront ajoutés à la dotation lorsqu’un parti est représenté au Sénat (via les parlements des entités fédérées, donc). Soit une majoration globale de 8 millions !

Le financement des partis reste fixé par… les partis et contrôlés par ceux-ci. On touche aux limites d’un système.

Contrôle ? Quel contrôle ?

Une importante lacune demeure depuis l’instauration de ces dispositifs : le contrôle. Ce contrôle a bien lieu et sans doute scrupuleusement au sein notamment de la "Commission de contrôle des dépenses électorales et de la comptabilité des partis politiques" qui se réunit régulièrement et bénéficie de l’aide d’experts.

Mais cela a souvent été reproché au système belge, y compris par des instances internationales : les contrôleurs et les contrôlés ne font qu’un. Les sanctions sont rarissimes.


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Une anecdote l’illustre, comme le rappelle le CRISP. En 2007, il est manifeste qu’un député PS candidat aux élections a largement dépassé son plafond de dépenses électorales. La Commission de contrôle l’avait acté et disposait d’un délai spécifique pour remettre son rapport sur les dépenses électorales. Mais, hasard des calendriers, juste avant le terme de ce délai, le quorum requis (deux-tiers des membres) pour que la commission adopte le rapport qui acte le dépassement, un député a fait subitement défaut. Quorum pas atteint, député pas sanctionné. Échange de bons procédés entre partis.

Thibault Gaudin, auteur de La régulation juridique des partis politiques, publié dans le Courrier hebdomadaire du CRISP, conclut : "Il ne s’agit pas pour les partis de s’imposer des contraintes excessives : l’empire de la loi s’arrête là où commence l’intérêt des partis".


Dans le cadre de la semaine de la démocratie du 4 au 8 octobre, la RTBF a lancé sa page spéciale "Bye-Bye, la démocratie ?". Vous y retrouverez toute une série d’articles consacrés aux enjeux de la démocratie, dont le financement des partis politiques.

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