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Le film 'Titane', Palme d'or à Cannes : "Titanesque"

© O'Brother Distribution - Carole Bethuel

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Par Une chronique d'Elli Mastorou, envoyée spéciale à Cannes

Ce 17 juillet, sur la scène du Festival de Cannes, trois mots ont changé l’histoire du cinéma. Vingt-huit ans après Jane Campion, primée pour la ‘Leçon de Piano’, la Palme d’or est allée à Julia Ducournau. En 1993, le film de Campion avait remporté le prix ex-aequo avec ‘Adieu Ma Concubine’ de Chen Kaige. Hier soir, sur la scène du Festival de Cannes, une femme a reçu la Palme d’or pour elle toute seule, pour la première fois.

Du haut de ses 36 ans, regard noisette déterminé, tatouages et bagues aux doigts, Julia Ducournau s’était déjà fait remarquer à Cannes en 2016 avec ‘Grave’, présenté à la Semaine de la Critique. Un premier long-métrage qui à l’époque avait déjà divisé critiques et public, entre refus épidermique et accueil dithyrambique. Cinq ans et un festival annulé plus tard, le fait que son second film soit repris dans la Sélection officielle pour la Palme d’or était quasiment déjà une consécration en soi.


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"Titane Palme d’or"

Pourtant, jusqu’à l’après-midi de ce samedi 17 juillet, où les premières rumeurs ont commencé à enfler, qui aurait pu imaginer que le jury de Spike Lee irait jusque-là ? Ces derniers jours, le brouhaha cannois donnait la palme à ‘Un Héros’ de Asghar Fahradi, film puissant d’un réalisateur habitué aux lauriers. Même celles et ceux qui avaient adoré le film de Julia - comme nous, qui avions déclaré en sortant de la projection que c’est lui qui allait gagner, n’auraient osé imaginer ça. Alors ses détracteurs, n’en parlons pas…

Une réalisatrice qui casse les codes

Car oui, ‘Titane’ ne laisse personne indifférent, et avait fort divisé les festivaliers. La violence des certaines de ses images l’ont rendu littéralement impossible d’accès à certains, incapables de regarder l’écran. D’autres, plus résistants, ont tout regardé mais n’y ont vu que provoc’ et fracas. De notre côté, on a trouvé dans ce film aussi beau que violent et impossible à résumer, la poursuite d’une exploration cinématographique autour du corps et de l’identité. A travers la rencontre explosive entre le personnage d’Alexia (Agathe Rousselle) et de Vincent (Vincent Lindon), on a vu une histoire d’amour inconditionnel entre deux âmes abîmées qui vont, malgré elles, se réparer. On a senti, derrière une brutalité savamment distillée, le regard acéré d’une autrice déterminée à casser les codes du genre, quelque part entre le cinéma de David Cronenberg, ‘De Rouille et d’Os’ de Jacques Audiard et les films gore de Takashi Miike.

Des références que Ducournau a su se réapproprier : dans son film, la violence du personnage principal s’articule en réponse à celle de son père envers elle – incarnation du patriarcat à peine voilée. Mais s’il commence tout en violence, ‘Titane’ remet les choses à l’endroit. C’est un film qui part de la brutalité pour aller vers l’amour ; qui part du rejet pour aller vers l’acceptation ; qui part du féminin pour aller vers le masculin – et qui va in fine transcender férocement cette binarité. Un film de genre transgenre, un film inc(l)assable en béton armé, visuellement débordant d’idées, de couleurs, de musiques, de sensations : une pure expérience de cinéma.

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"Titane Palme d’or."

Ces mots qu’on n’attendait pas sont pourtant arrivés – et pas comme on aurait pensé. A cause d’une gaffe de Spike Lee, dès les premiers instants le chaos s’est invité dans la cérémonie : quand Doria Tillier lui a demandé d’annoncer "le premier prix" de la soirée, celui-ci s’est levé et a commencé par… le dernier. Quand ils ont compris l’erreur, les membres du jury ont immédiatement réagi – mais certaines oreilles avaient déjà compris.

Il a fallu attendre ensuite, pendant l’heure qui a suivi, voir le cœur battant défiler les autres prix, pensant à l’équipe du film en train de trépigner, jusqu’à cette conclusion à la fois attendue et inespérée. La conclusion idéale pour une cérémonie "parfaite parce qu’imparfaite, pleine de vie" pour reprendre les mots de Julia Ducournau sur scène, qui même en recevant la Palme a concédé que son film, lui non plus, "n’est pas parfait"  – un discours loin des doigts d’honneur de Tarantino (‘Pulp Fiction’, Palme d’Or 1994) et autres discours à la ‘moi non plus je ne vous aime pas’, façon Maurice Pialat (‘Sous le soleil de Satan’, Palme d’Or 1987).


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"Plus de diversité"

"Mais maintenant que je suis devenue adulte et réalisatrice, je me rends compte que la perfection est une impasse", a poursuivi la cinéaste, répondant à ceux qui avaient qualifié son film de ‘monstrueux’ : "La monstruosité, qui fait peur à certains, et qui traverse mon travail, c’est une arme. Une force, pour repousser les murs de la normativité qui nous enferme et nous sépare. Il y a tant de beauté, d’émotion et de liberté à trouver dans ce qu’on ne peut pas mettre dans une case, et dans ce qui reste à découvrir de nous. Donc merci au jury de reconnaitre, avec ce prix, le besoin avide et viscéral qu’on a d’un monde plus inclusif et fluide. Merci d’appeler à plus de diversité dans nos expériences, au cinéma et dans nos vies. Merci au jury de laisser entrer les monstres."

"Titane Palme d’Or".

Tout est dit, tout est là. Cette Palme, c’est une victoire pour le cinéma, et pour le cinéma de genre ; c’est une victoire pour l’histoire, et pour l’histoire du cinéma ; c’est une victoire pour les femmes, les filles, et toutes les personnes qui refusent la normativité. Et une victoire pour la Belgique aussi, qui a coproduit.

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Titane, de Julia Ducournau. Palme d’or 2021. En salles le 28 juillet. Avant-première ce mardi 20 juillet au cinéma Palace – en présence de la réalisatrice (TBC).

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