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Le féminicide, bientôt dans le Code pénal? Qu'en pense le ministre de la Justice

Le féminicide, bientot dans le Code pénal? Qu'en pense le ministre de la Justice

© DIRK WAEM - BELGA

Par Camille Wernaers

Quand on parle de violences faites aux femmes, un thème revient de manière récurrente : la façon dont la justice traite les plaintes. La justice est en effet un pilier important pour une juste prise en compte de ces violences et pour en montrer la gravité. Pourtant, c’est souvent là que le système ne fonctionne pas.

Une étude en 2018 de Vie Féminine a montré que la police ne joue pas toujours son rôle en première ligne face à ces violences. "Un jour, je suis allée à la Police pour prévenir que j’entendais ma voisine hurler alors qu’elle se faisait frapper par son mari. La Police m’a demandé si je voulais porter plainte pour tapage nocturne contre ma voisine. J’étais sidérée", déclare une femme citée dans l’étude. A une autre, victime d’un viol conjugal, le policier rétorque : " C’est pas possible qu’il vous ait violée, vous êtes en couple ! "

Les associations féministes de terrain, à la pointe sur ces questions, ont été rejointes en juin 2020 par le Conseil supérieur de la Justice (CSJ) qui estime à propos des violences sexuelles que "la place accordée à bon nombre de victimes est encore limitée et que leurs attentes ne recueillent pas l’attention qu’elles méritent pourtant. Pour les victimes de violences sexuelles, des traumatismes supplémentaires peuvent certainement en résulter. Bien que la prise de conscience générale au niveau de la police et de la justice ait évolué, les mesures dont elles disposent sont encore lacunaires et permettent la subsistance de l’impunité dans de nombreux cas". C’est ce qu’on appelle la "victimisation secondaire", quand l’institution ne parvient pas à répondre correctement aux attentes des victimes.

La secrétaire d’État à l’Égalité des Chances et des Genres, Sarah Schlitz (Ecolo), s’est engagée à impliquer chacun.e de ses collègues au fédéral à tenir compte de l’aspect genré de ses matières. Comment le système judiciaire doit-il être réformé pour mieux accompagner les victimes de violences ? Au lendemain du 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), le ministre de la Justice, répond à nos questions. C’est à notre connaissance l’une des premières fois qu’il s’exprime sur ces sujets.

Les violences faites aux femmes sont une de vos priorités. Comment comptez-vous la mettre en œuvre ?

"Concrètement, cela signifie que nous voulons prendre rapidement des mesures susceptibles de contribuer à la lutte contre la violence à l'égard des femmes. Nous poursuivons le plan de lutte contre la violence sexuelle élaboré suite au terrible meurtre de Julie Van Espen. Nous devons à Julie Van Espen et aux nombreuses autres victimes de violence sexuelle de renforcer considérablement l'approche de la violence sexuelle. Nous prenons une série de mesures fortes, à savoir, désigner la violence sexuelle comme priorité politique absolue dans le prochain Plan National de Sécurité. Je plaide pour un renforcement de l'arsenal répressif et un meilleur accompagnement des victimes.

Le droit pénal sexuel sera modernisé à court terme, y compris en ce qui concerne la punition de l'auteur de l'infraction. Il y aura aussi une modification de la définition du viol. Aujourd’hui, la violence est une condition pour qu’il y ait viol. Je veux changer cela, s’il y a absence de consentement, il y a viol [La loi belge sur le viol mentionne déjà le consentement, ndlr]. Au sujet de l’accueil des victimes aussi, beaucoup de femmes sont sous le choc, lorsqu’elles arrivent dans un commissariat afin de dénoncer leur agresseur. Il faut plus de centres de prise en charge des violences sexuelles. L’objectif est de passer de 3 à 10 centres de soins. Des centres de soins qui seront présents sur tout le territoire.

Je veux souligner ici l’importance des Family Justice Centers, fruit d’une étroite collaboration entre les services sociaux, la Justice, la Police et des thérapeutes en matière de violence intrafamiliale [Les Family Justice Centers ne font pas l’unanimité au sein du milieu féministe, lire à ce sujet l’étude de l’Université des femmes, ndlr]. À partir du 1er janvier 2021, un outil d'évaluation des risques sera appliqué. Cet outil permettra d'évaluer les cas de violence intrafamiliale. Sur la base de cette évaluation, des mesures concrètes seront prises s'il apparaît qu'il existe un risque réel pour la sécurité de la victime.

La Belgique ne doit plus être un de ces pays où les femmes ont peur au domicile, au travail ou encore dans les transports publics

Il y a également, le plan d’action fédéral de lutte contre les violences de genre et intrafamiliales de la Secrétaire d’État Sarah Schlitz, dans lequel la Justice prend également diverses initiatives pour lutter contre la situation difficile de la violence à l'égard des femmes à la suite de la 2ème vague COVID-19. Ce plan contient des points concrets concernant l'application de l'ordonnance de protection, le suivi des plaintes et la priorité à accorder à ces cas de violence contre les femmes. Toute forme de violence à l’égard des femmes est inacceptable, intolérable dans un État de droit. La Belgique ne doit plus être un de ces pays où les femmes ont peur au domicile, au travail ou encore dans les transports publics."


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La Justice est souvent pointée du doigt par les associations féministes pour le peu de prise en compte de ces violences, qu'en pensez-vous ?

"La justice fera tout ce qui est en son pouvoir pour réduire la violence contre les femmes. Les procureurs savent que ce combat est une priorité absolue. Chaque plainte sera examinée et prise au sérieux. S'il existe des preuves suffisantes, nous devons pouvoir poursuivre l'auteur des faits, mais nous devons également envisager de conseiller l'auteur et la victime. Nous devons fournir une formation aux auteurs de ces actes afin qu'ils comprennent que la violence à l'égard d'une femme n'est jamais acceptable. De plus, la victime doit être conseillée afin qu'elle comprenne qu'elle est bien une victime. Même si je ne veux pas promettre le paradis, la justice ne sera pas complètement différente demain. Mais à très court terme, je veux faire bouger les choses. J’ai déjà entamé des discussions avec les autres autorités compétentes au niveau fédéral et au niveau des entités fédérées. La justice prend pleinement ses responsabilités en ce qui concerne ses compétences et l’on examinera quelles mesures supplémentaires peuvent encore être prises."

En ligne de mire notamment, la circulaire tolérance zéro qui concerne les violences conjugales, selon certaines associations, elle n'est pas correctement appliquée, que répondez-vous ?

"Que je compte faire de cette lutte une priorité absolue. Afin de mieux prévenir les violences, de protéger davantage les victimes et de mettre en place un suivi et une prise en charge des auteurs de violences pour éviter la récidive. Dans le plan d’action fédéral de lutte contre les violences de genre et intrafamiliales, il est prévu de rappeler et de confirmer que la violence contre les femmes et la violence sexuelle est une priorité."

70% des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite dans notre pays, qu'envisagez-vous pour faire appliquer la Convention d'Istanbul ? En septembre, nous avons aussi pu lire qu'une plainte de viol sur trois est classée sans suite dans notre pays, et très peu d'auteurs sont condamnés. Comment l'expliquer ?

"Tout d'abord, il est important de savoir pourquoi ces plaintes sont retirées ou rejetées, afin de pouvoir prendre des mesures ciblées par la suite. Ces affaires sont compliquées et souvent soit aucun auteur ne peut être trouvé, soit il n'y a pas suffisamment de preuves pour condamner effectivement cet auteur. Pour éviter cela, nous envisageons une nouvelle méthode d'enquête médico-légale. Un projet pilote est en cours à Anvers, qui montre que cette enquête médico-légale contextuelle a conduit à une augmentation significative des condamnations effectives. Nous essaierons d'étendre ce projet à toute la Belgique.

Même si je ne veux pas promettre le paradis, la justice ne sera pas complètement différente demain

Il faut également faciliter le dépôt de plainte et permettre à la victime de faire une déclaration dans un contexte rassurant et non pas dans un commissariat anonyme et froid. Cela est possible dans un centre de prise en charge des violences sexuelles."


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Les violences faites aux femmes sont multiples mais une violence cristallise l'attention, c'est le féminicide. D'abord, comment définissez-vous ce mot ? Est-ce que vous envisagez de le faire entrer dans le Code Pénal ? Qu'est-ce que cela signifierait ?

"Un groupe de travail d'experts sur la réforme du Code pénal a été chargé d'intégrer le féminicide dans le code pénal et d’en donner une définition."


►►► A lire aussi : Faire entrer le féminicide dans le Code pénal, pas évident pour tout le monde


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La Belgique a signé la Convention d'Istanbul, qui implique des changements aussi au niveau de la Justice, gardez-vous un œil là-dessus ? Comment ?

"Bien sûr. Nous examinons ces points en termes de justice et sommes en contact avec la secrétaire d'État Sarah Schlitz."

Nous avons parlé de répression, mais est-ce que cela passera aussi par des formations approfondies sur ces sujets pour les juges, magistrats et la police ? Des choses sont-elles prévues en ce sens ?

"A partir de début 2021, l’Institut de formation judiciaire (IGO) organisera des cours obligatoires sur les violences sexuelles pour les magistrats. De cette façon, la sensibilité au problème peut vraiment être améliorée."

Manifs : dénoncer les violences contre les femmes - JT

Manifs : dénoncer les violences contre les femmes

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