Les Grenades

Le "female gaze" au cinéma cet été

© Getty images

Depuis le 9 juin, on peut enfin officiellement retourner au cinéma. Oui, mais pour voir quoi ? Entre les films qui attendent depuis plus d’un an, les nouveautés, et ceux pour lesquels il faudra encore patienter, l’embouteillage des sorties rend parfois les choix cinéphiles difficiles.

Pour y voir plus clair – et pour un regard hors des carcans stéréotypés - Les Grenades proposent une sélection des films essentiels de l’été qui rentrent dans la catégorie du "female gaze", c'est-à-dire un regard féminin au cinéma.


►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe


SLALOM, Charlène Favier – sortie : 09.06

Le pitch : A 15 ans, Lyz voit son rêve se réaliser : elle intègre la section ski-études de son lycée. Ado sportive, timide mais déterminée, elle est repérée par Fred (Jérémie Renier), l’entraîneur de l’équipe, qui décèle vite en elle un fort potentiel. Fière du regard qu’il porte sur elle, sous sa houlette Lyz commence à enchaîner les victoires. Entre eux se noue une drôle de relation, entre complicité, emprise et admiration… Jusqu’à ce que Fred franchisse la ligne.

A voir parce que : Ex-skieuse de compétition, la réalisatrice Charlène Favier connaît bien son sujet, et le traite avec subtilité dans ce premier long. Raconté entièrement du point de vue de Lyz, incarnée avec grâce et fébrilité par la jeune Noée Abita, le film rend perceptibles les zones grises des mécanismes d’emprise. Et sans les excuser, elle les humanise. " Il faut pouvoir parler du rapport entraîneur-entraînée. Le système derrière, les structures qui permettent ces situations. Au fond, comme Fred, on a tous fait des choses qu’on n’aurait pas dû faire. C'est aussi un film qui dit : ‘ça n'arrive pas qu'aux tordus’", nous a raconté la réalisatrice lors de son passage à Bruxelles – une phrase qui fait écho au fameux ‘Les monstres, ça n’existe pas’ d’Adèle Haenel. Mais on aurait tort de réduire ‘Slalom’ à un ‘MeToo du sport’, car c’est aussi un film de cinéma, dont les couleurs et les mélodies électro ont été judicieusement choisies : "C’était hors de question que je fasse un film naturaliste ! Au cinéma, j’aime me prendre des claques visuelles." Un film d’une grande précision, tant sur la forme que sur le fond.

© Anga Distribution

PETITE FILLE, Sébastien Lifshitz – sortie – 16.06

Le pitch : Sacha a toujours su qu’elle était une fille. Elle le dit à sa maman, Karine, depuis qu’elle sait parler. Au début, Karine a cru à un caprice, une lubie passagère de cet enfant né dans un corps de garçon. Mais non. A 7 ans, Sacha sait qui elle est, et toute sa famille aussi. Avec ses doutes face à une situation qu’elle ne connait pas, et sa culpabilité de mère terrifiée de mal faire, Karine se bat pour que cette acceptation s’étende au reste de la société. Portrait d’une petite fille aspirant à une vie banale.

A voir parce que : Habitué à scruter l’intime des minorités sexuelles ou de genre (‘Bambi’, ‘Les Invisibles’), Sébastien Lifshitz raconte ici la transidentité à travers le vécu d’un enfant : les moments difficiles, où l’œil s’emplit de larmes, mais aussi la joie simple d’une bataille de boules de neige ou d’un repas en famille. Le choix de l’enfance, selon le réalisateur, se veut aussi une façon d’évacuer le lien parfois fait trop facilement entre transidentité et sexualité. A fleur de peau(x), à travers les doutes de Karine ou le sourire de Sacha, la caméra nous prend par les émotions, un choix assumé et qui s’avère parfois bien plus efficace qu’un discours ‘rationnel’. Si certains aspects du film, comme la (sur)médicalisation ou le ‘cis-gaze’ (‘regard cisgenre’ dans le même sens que le ‘male gaze’ comme regard dominant, NDLR), ont été pointées par des activistes transgenre, pour les personnes peu familières avec le sujet, voilà une plongée intime et bouleversante qui permet de se défaire de certains clichés. Un documentaire grand public coproduit par Arte, première étape cruciale vers la visibilité des personnes transgenre, nécessaires aussi derrière la caméra pour porter leurs récits.

© Imagine Distribution

PROMISING YOUNG WOMAN, Emerald Fennell – sortie  23.06

 Le pitch : Qu’est-il donc arrivé à Cassie ? Ancienne étudiante en médecine, cette jeune femme prometteuse a mystérieusement tout plaqué du jour au lendemain. Désormais trentenaire, elle travaille la journée dans un café. Mais la nuit, Cassie mène une double vie : rôdant en boite de nuit, feignant l’ivresse, elle assouvit son désir de vengeance sur des proies masculines judicieusement choisies…


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A voir parce que : Il aura fallu deux confinements, et un Oscar du meilleur scénario en avril dernier, avant qu’on ne puisse voir enfin ce film sur grand écran. Mais après tout, la vengeance est un plat qui se mange froid… et c’est bien de cela qu’il s’agit ici : "J’adore le cinéma de genre, les films de vengeance, et je n’en avais pas vu beaucoup portés par une femme", explique la réalisatrice Emerald Fennell, qui pour son premier long-métrage a confié à Carey Mulligan le rôle de Cassie, ange exterminateur au passé secret. Servi dans un emballage pop et coloré, avec une B.O. qui va de Charli XCX à une reprise géniale au violon du ‘Toxic’ de Britney, ‘Promising Young Woman’ explore avec un malin plaisir la question de la violence féminine en réponse au sexisme. Un film porté par un féminisme frondeur, mais qui reste conscient du monde dans lequel il est. Pour citer sa réalisatrice : " je voulais une approche réaliste de la violence, également dans ce qu’elle peut avoir comme conséquences. " A bonne entendeuse…

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PETITE MAMAN, Céline Sciamma – sortie 30.06

Le pitch : Nelly, 8 ans, vient de perdre sa grand-mère. Avec ses parents, elle se rend dans la maison de cette dernière pour la ranger. C’est l’occasion pour Marion, la mère de Nelly, de raconter ses souvenirs d’enfance à sa fille, dans cette maison où elle a grandi. Un jour, alors que sa mère a dû s’absenter brusquement, Nelly part jouer dans les bois. Là, elle fait la rencontre d’une fille qui a le même style et le même âge qu’elle. Son prénom ? Marion…

A voir parce que : Comment ne pas inclure dans cette liste le nouvel opus de Céline Sciamma, un des ‘female gaze’ les plus puissants du cinéma français ? Après l’histoire d’amour en costumes fiévreuse de ‘Portrait de la jeune fille en feu’, la réalisatrice change radicalement de registre pour un film intimiste aux tons chauds – on pense plutôt à son ‘Tomboy’ où les premiers rôles étaient tenus également par des enfants. Derrière l’ amitié inattendue entre ces deux petites filles, ‘Petite Maman’ aborde des thèmes complexes comme la maternité, l’enfance et le rapport au temps qui passe par le biais d’une science-fiction paradoxalement désarmante de simplicité. Un petit bijou plein de délicatesse.

© Cinéart

SEIZE PRINTEMPS, Suzanne Lindon – sortie 21.07

Le pitch : Suzanne, seize ans, jean-baskets et chemisier blanc, s’ennuie avec les gens de son âge. Fascinée par un jeune homme (Arnaud Valois de ‘120 Battements par minute’) qu’elle croise tous les matins sur le chemin du lycée, un jour elle finit par l’aborder…


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A voir parce que : D’un côté, on peut se questionner sur l’originalité de cette énième amourette entre un trentenaire et une mineure : typiquement le genre de scénario dont raffole le cinéma français. De Philippe Garrel à Maurice Pialat – dont le " A Nos Amours " est affiché dans la chambre de Suzanne, en passant par " L’effrontée " avec Charlotte Gainsbourg, les références flottent avec évidence à la surface. D’un autre côté, on peut saluer la détermination d’une jeune femme qui a écrit et tourné son premier film avant 20 ans. Et pour une fois, c’est du point de vue de la Lolita que le désir est raconté – et assumé, tant dans ses contradictions que ses limites. Et malgré les références qui pèsent lourd, ce film fragile qui cherche parfois ses marques nous offre des vrais moments de grâce - comme cette chorégraphie en duo, les yeux fermés, à la table du café. Bref, "Seize Printemps" est un premier essai hésitant mais tendre comme un premier baiser. Aurait-il été repris dans la sélection de Cannes 2020 si les parents de Suzanne n’étaient pas Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon ? A vous de juger, mais la question mérite d’être posée.

© Cinéart

PASSION SIMPLE, Danielle Arbid – sortie le 10.08

Le pitch : "À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi. Tout de lui m'a été précieux, ses yeux, sa bouche, son sexe, ses souvenirs d’enfant, sa voix..." Ainsi débute le roman d’Annie Ernaux, qui raconte l’ivresse irrésistible d’une femme happée par une histoire passionnelle.

A voir parce que : Annie Ernaux pour les mots, Danielle Arbid (‘Peur de Rien’) pour l’adaptation ciné, et Laetitia Dosch pour l’interprétation : en un sens, ‘Passion Simple’ est un triple portrait de femme(s). Le film a de quoi déconcerter, tant dans son exploration d’une soumission totale à un homme dans un contexte de passion, que dans la réalisation d’Arbid, qui maintient une distance presque froide dans sa réalisation - y compris dans les nombreuses scènes de sexe. Mais ces femmes engagées n’ont jamais caché leur regard critique de la domination masculine : "Une femme peut ramper devant un homme et cela ne lui enlève pas sa volonté. Annie Ernaux, par son courage, par sa façon de le dire sans honte, est très féministe. Qu’est-ce que que le féminisme si ce n’est pas dire à voix haute nos faiblesses, nos failles et nos fantasmes ?", explique Danielle Arbid sur France Culture. Devenue blonde pour le film, la brillante Laetitia Dosch ('Jeune Femme’) est sublime en femme fatale fascinée par son amant (incarné par le danseur russe Sergei Polunin).

© O'Brother Distribution

THE ASSISTANT, Kitty Green  – sortie le 25.08

Le pitch : Elle est la première à arriver au bureau le matin, et la dernière à le quitter le soir. Elle sert le café, répond au téléphone, nettoie le bureau du patron, réserve son hôtel et ses billets d’avion. Elle accomplit les tâches essentielles, mais elle est tout en bas de l’échelle : les gens entrent et sortent d’une pièce sans la saluer, comme si elle était invisible. D’ailleurs on ne connaîtra pas son prénom. Mais quand elle trouve une boucle d’oreille près du bureau, ou s’inquiète de cette jeune actrice laissée seule avec celui dont on ne prononce jamais le nom, il y a toujours quelqu’un(e) pour lui dire de ne pas faire de vagues si elle veut une promotion.

A voir parce que : Aux antipodes des documentaires-choc et des reportages sur papier glacé, voici sans doute l’approche cinématographique la plus réaliste de l’affaire Weinstein, dans ce qu’elle révèle de sa triste banalité. Dans ‘The Assistant’ le ton est calme, les gens sont polis, les couleurs sont délavées, et le diable est dans les détails : un regard en coin, un e-mail lu par-dessus l’épaule ou un encouragement lâché après une flopée d’insultes. Le dispositif est efficace : à l’instar de ‘Jeanne Dielman’ de Chantal Akerman, on suit l’héroïne sur le cours d’une journée de travail, dans l’exécution de tâches répétitives. " J’ai interviewé une centaine de personnes environ, de gens qui ont travaillé à la Weinstein Company à d’autres studios et boîtes de production de films, et ensuite dans d’autres secteurs. Les mêmes histoires revenaient, encore et encore, les mêmes schémas, à travers le globe " explique la réalisatrice sur Vox.com.  Le ‘monstre’ quant à lui n’apparaît jamais à l’écran, mais sa présence terrifiante règne dans chaque plan. Fort de son côté ‘feu sous la glace’, ‘The Assistant’ dissèque la banalité ordinaire du sexisme – et du capitalisme – pour donner à voir ce qu’ils ont de plus glaçant.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d'actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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