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Le dimanche rouge ébranlait la Russie il y a 118 ans : un drame qui pourrait se reproduire sous Poutine ?

L'œil dans le rétro

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Le 9 janvier 1905, le pouvoir du tsar vacillait pour la première fois. Ses soldats tirent sur la foule lors d’une manifestation pacifique. Un acte qui lance la révolution de 1905 mais qui est vu aussi comme le premier soubresaut de la Révolution russe de 1917. Un événement qui fait également écho à la guerre menée par la Russie en Ukraine, 118 ans après.  l’époque, la Russie tsariste subissait un grand revers militaire face au Japon. Un tel scénario est-il envisageable sous Poutine ?

En janvier 1905 à Saint-Pétersbourg, capitale de l’empire russe, la contestation a gagné la ville. Des centaines d’usines sont fermées parce que des milliers d’ouvriers sont en grève.

La grève, c’est une nouveauté dans la Russie tsariste : pour beaucoup, c’est la première fois de leur vie. En ce dimanche 9 janvier – mais le 22 janvier pour le calendrier grégorien -, il y a foule au centre-ville. Ils sont entre 50.000 et 100.000 manifestants à se masser dans plusieurs cortèges qui doivent converger vers le palais d’Hiver, la résidence du tsar. Nicolas II n’y est pas. Il est parti quelques jours plus tôt pour sa résidence de Tsarkoïe Selo, à l’extérieur de la ville. Un déplacement que les manifestants ignorent… et ils ne savent pas non plus que des troupes ont été massées aux abords du palais avec l’ordre de tirer à vue sur les manifestants.

L’acte fondateur de la révolution russe

La manifestation se veut toutefois pacifique. Dans la foule, il y a beaucoup de femmes et d’enfants et ils brandissent d’ailleurs des portraits du tsar.

Cela a d’ailleurs des allures de processions religieuses avec, aux côtés du tsar, des icônes, des bannières religieuses. On chante des cantiques, on récite des 'notre père' et ces prières s’adressent aussi au tsar, vu comme un père protecteur du peuple. Un père qu’il faut informer des malheurs vécus par la population qui en est persuadée : ses ministres lui cachent la réalité. Ce qu’on demande, ce sont de meilleures conditions de travail pour les ouvriers, des terres cédées aux paysans, un peu plus de libertés mais on le fait avec respect et pas le moindre drapeau rouge révolutionnaire n’est ici brandi.

C’est cette foule que les soldats vont mitrailler sans pitié. Le bilan officiel fait état de 96 morts et 300 blessés, mais il est sans doute bien plus élevé.

Au-delà des chiffres, c’est le contexte qui frappe les imaginations : cette répression violente fait l’unanimité contre elle et lance la révolution russe de 1905. Dès le lendemain, les grèves s’amplifient et la colère grandit chez les ouvriers. Dans la bonne société aussi la contestation s’installe : une pétition est signée par des centaines d’intellectuels, au conservatoire, le compositeur Rimski-Korsakov refuse de donner cours. Ce triste dimanche s’inscrit d’emblée dans la mémoire collective. Plus tard, il sera commémoré dans la Russie soviétique comme l’acte fondateur de la Révolution de 1917.

© API/Gamma-Rapho via Getty Images

Le début de la fin de la Russie tsariste

Le tsar, en déplacement donc, ne mesure nullement la portée de l’événement de ce 9 janvier 1905 : le lien sacré est rompu entre lui et la population. De père protecteur, il est devenu despote sanguinaire.

Sur l’insistance du gouverneur de Saint-Pétersbourg, il accepte tout de même de rencontrer ensuite dans sa résidence une délégation d’ouvriers, triés sur le volet. Mais en substance, il leur aurait lâché : "Vous vous êtes laissés duper par des traîtres. Venir en foule révoltée me déclarer vos besoins, c’est un acte criminel. Mais j’ai foi dans l’honnêteté des sentiments des ouvriers et c’est pourquoi je leur pardonne leur faute !"

Vous avez bien entendu : le tsar pardonne à son peuple de s’être fait tirer dessus dans une manifestation pacifique. À partir de ce moment, l’agitation ne cessera plus en Russie avec beaucoup de manifestations violemment réprimées et de nombreux assassinats politiques. Et tout cela se terminera par l’assassinat de toute la famille impériale en juillet 1918.

La guerre russo-japonaise qui ébranle le pouvoir… un mauvais présage pour Poutine ?

Cet événement tragique a remis en cause la toute-puissance du tsar. D’un despote à l’autre, peut-on imaginer aujourd’hui qu’un événement remette en cause le pouvoir actuel de Vladimir Poutine ?

Difficile de livrer une réponse claire sur la question. Il fallait sûrement avoir une fameuse boule de cristal pour deviner que cette manifestation réprimée annonçait, treize ans plus tard, le massacre de la famille impériale.

Mais on peut tout de même ressortir l’un ou l’autre élément d’analyse : d’abord, le dimanche sanglant de 1905 sonne comme un avertissement pour tout pouvoir aveugle et sourd, c’est-à-dire qui ne voit pas la réalité vécue par son peuple et qui n’entend pas ses revendications. Cet avertissement est une constante dans l’Histoire. La marmite sur laquelle on pose un couvercle finit généralement par déborder.

Ensuite, le contexte qui a attisé le feu de la contestation de 1905 est lié à la guerre et aux revers subis par l’armée russe. En effet, un an auparavant a éclaté une guerre en Extrême-Orient entre la Russie et le Japon. Les généraux russes et le tsar pensent ne faire qu’une bouchée de ces Japonais qu’ils méprisent. Ils en seront pour leurs frais, l’armée russe vacille et la flotte de l’Extrême-Orient est détruite. La Russie impériale finira par demander la paix en été 1905 au prix de quelques concessions territoriales et son prestige en a pris un sacré coup. Comparaison n’est pas raison, mais c’est une autre constante de l’Histoire : un pays qui connaît des difficultés importantes dans un conflit armé est généralement affaibli au plan intérieur. Avec une nuance à ajouter dans la guerre en Ukraine : jusqu’ici, dans la Russie de Vladimir Poutine, on ne perçoit aucune contestation comparable au dimanche sanglant de Saint-Pétersbourg et de la réprobation générale qu’elle a suscité.

Les ouvriers russes sont mitraillés devant le palais d’Hiver le 9 janvier 1905.
Les ouvriers russes sont mitraillés devant le palais d’Hiver le 9 janvier 1905. © Photo12/Universal Images Group via Getty Images

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