Sur l'ordinateur de Chloé, il y a une série de photos qu'elle a réalisées plusieurs mois après son viol. Ces photos ont servi à une exposition qu'elle a organisée à l'ULB avec d'autres victimes. La mise en scène est simple: des messages sur des corps, pour expliquer la détresse des victimes. Le fait de ne pas être prise au sérieux, d'être accusée de provocation, de n'être pas bien traitée... Ces attitudes de tiers qui arrivent pendant les auditions au poste de police, ou au cours des examens médicaux réalisés à l’hôpital, entraînent des séquelles, un second traumatisme chez la victime.
Barbara De Naeyer est chef de service "Jeunesse, famille et mœurs" à la police de Bruxelles Ouest (Molenbeek, Ganshoren, Jette et Berchem-Sainte-Agathe). Dans son service, elle tente de ne pas ajouter à la souffrance de la victime.
Barbara De Naeyer
"Comme c’est mon service qui va gérer l’enquête, la victime va être mise en contact avec un policier au départ, et cet enquêteur va poursuivre l’enquête. Imaginez qu’on a de nouveau besoin de la victime, pour une confrontation, pour des informations complémentaires... Elle aura toujours affaire au même groupe d’enquêteurs avec lesquels elle est habituée. Ca permet d’éviter les redondances, d’éviter les traumatismes secondaires, puisqu'on sait très bien ce qu’elle a raconté.
Ca permet de créer un climat rassurant pour la victime, des personnes de contact, des personnes de référence. Parce que les premières personnes à qui elle va parler, si le contact se passe bien, ça va être des personnes importantes dans son parcours de reconstruction… Il y a aussi tout cet aspect psychosocial et de reconstruction de la victime, ce qui fait qu’on est acteur dedans aussi, car on n’a pas une volonté d’enquête judiciaire pure.
Il y a aussi tout cet aspect psychosocial et de reconstruction de la victime
La victime doit d'abord aller se faire examiner à l’hôpital, et puis nous on intervient. On a un hôpital sur notre zone, c’est l’hôpital UZ à Jette, et c'est avec cet hôpital que l'on travaille. On travaille aussi parfois avec l’hôpital Saint Pierre. Et l'une des difficultés c’est que, dans ces hôpitaux, il y a beaucoup d’internes qui ne sont pas sensibilisés au départ à ces matières là… A la matière gynécologique oui, évidemment, mais pas à la matière de traiter quelqu’un qui est victime de viols. C'est donc parfois compliqué, avec un temps d’attente, car je pense que chacun a ses impératifs. Mais de manière générale, on sent la volonté de tous les acteurs d’aller vers un mieux, et en tous cas dans l’intérêt de la victime."
Le système classique de dépôt de plainte commence par un examen médical. Il se fait en hôpital, avec des médecins de garde, ou des médecins légistes. Un kit spécial d'examen, appelé le SAS, pour Set d'agression sexuelle, est alors utilisé. Il contient un dossier à remplir, des outils de prélèvements et des vêtements de rechange. Les examens sont nombreux, et chaque victime doit se plier aux actes de prélèvements (cheveux, salives, traces gynécologiques...), ce qui peut prendre du temps, un temps pendant lequel la victime est livrée à elle-même.
Un calvaire pour beaucoup d'entre elles: l'accueil au poste de police ou à l’hôpital peut également être très impersonnel, et source de souffrance supplémentaire. C'est ce qu'a vécu la fille d'Alice (prénom d'emprunt). Elle a 20 ans, et elle a été violée au mois de novembre passé, en rentrant chez elle après un verre avec des amis. La jeune fille est détruite, aussi à cause d'une prise en charge déficiente, affirme Alice, sa maman.
Alice
"Elle est rentrée d’abord chez son ami, c’est là qu’elle s’est dirigée. Puis il nous a appelé, nous, ses parents. On l’a emmenée dans un hôpital, et puis a démarré toute la procédure de la prise en charge, qui passe par la prise en charge médicale et puis le dépôt de plainte.
La première partie n’a pas été facile, parce qu’elle a rencontré des personnes qui n’avaient pas été tout à fait formées pour suivre ce genre de situations. Je crois que le suivi l’accompagnement des personnes victimes de violences sexuelles doit être fait avec beaucoup de précaution, et les précautions n’étaient pas toujours au rendez vous dans ce cas ci...
Elle a par exemple dû répéter 10 fois son récit. Elle était en plein choc et que la dixième fois était absolument épouvantable. Elle a eu aussi à entendre des questions qui pouvaient faire croire qu'elle y était peut-être pour quelque chose, dans ce qui lui était arrivé… La formulation des questions était extrêmement maladroite, même si je crois qu’il n’y avait pas de mauvaise intention. Ils ne se rendaient pas compte qu’en posant des questions d’une certaine manière, il venaient appuyer sur un sentiment de culpabilité déjà présent…
Et puis, elle a eu à rencontrer un médecin légiste. Il n'était pas du tout formé pour accueillir ce genre de situation, il l'a maltraitée... Très honnêtement je peux parler de maltraitance.
Il lui a dit qu’elle l’avait dérangé en pleine nuit, parce qu’elle osait lui dire qu’elle avait pas envie de lui raconter encore à lui une énième fois son récit, et qu’il estimait que c’étaient des caprices. Il n’a pas compris pourquoi c’était difficile pour elle. Il était froid, insistant, très peu patient, exclusivement dans l’aspect technique. Alors que vous imaginez que ce qu’elle avait à faire avec lui était la partie la plus difficile de la procédure: se faire examiner dans son intimité, alors qu’elle venait d’être violée. Il n’a pris aucune précaution, il a refusé que je sois présente, alors que ma fille demandait explicitement que je puisse être là. C’était un homme, c’était important aussi pour elle à ce moment-là de d’avoir la sécurité de quelqu’un de très proche. Il a refusé de manière catégorique et sans prendre de gants.
Je peux parler de maltraitance
Donc à un moment elle a arrêté l’examen, elle a demandé qu’on arrête elle n’a plus supporté. Et même ca, il ne l'a pas compris.
Elle a tout de suite développé une méfiance vis-à-vis de tous ces professionnels qui sont censés accueillir les victimes. Ce qu’elle venait de vivre était tellement difficile qu’elle ne voulait plus rencontrer de professionnels.
Aujourd'hui, elle va très mal. Elle a à la fois beaucoup de force, elle m’impressionne, parce qu’elle a des ressources intérieures qu’elle est capable d’aller chercher pour traverser cette période. Et puis en même temps, elle s’effondre tout le temps. On ne s’imagine pas ce que c’est de vivre encore l’après: tout est difficile, marcher en rue est difficile, rencontrer un groupe est difficile, être touchée est difficile… Et puis, pour les proches, c’est difficile d’être dans le juste accompagnement."