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Le Dictateur de Charlie Chaplin : le combat d’un homme contre le nazisme

Charlie Chaplin

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Par Gérald Decoster via

Le 16 avril 1889, un certain Charlie Spencer Chaplin voit le jour, probablement à Londres. Ses parents sont artistes de music-hall. Quatre jours plus tard, une humble famille de Braunau am Inn, en Haute-Autriche, vit également un heureux événement : la naissance du petit Adolphus. Tous deux ont laissé leur nom de manière indélébile dans l’histoire, mais pas pour les mêmes raisons…

Question de pantomime…

C’est en 1914, dans Kid auto races at Venice traduit en " Charlot est content de lui ", que Charlie Chaplin créée le personnage du célèbre vagabond qu’il déclinera au gré d’une soixantaine de films. Rapidement, Chaplin codifie les caractéristiques de ce sympathique petit héros. Il les emprunte à divers collègues du studio hollywoodien de Keystone :

Je voulais que tout soit une contradiction : le pantalon ample, la veste étriquée, le chapeau étroit et les chaussures larges… J’ai ajouté une petite moustache qui, selon moi, me vieillirait sans affecter mon expression. Je n’avais aucune idée du personnage, mais dès que j’étais habillé, les vêtements et le maquillage me faisaient sentir qui il était.

De son côté, Adolf Hitler s’est aussi construit un personnage, le processus s’enclenche dès les années 1920. En 1925, il demandera même à son photographe personnel, Heinrich Hoffmann, une série de photographies le saisissant dans une série de mimiques essentielles à ses discours. Pour convaincre, Hitler codifiera aussi sa façon de se vêtir…

Quelques-unes des photos de Heinrich Hoffmann, prises à Munich en 1925 : Hitler imitant l’un de ses discours.
Adolf Hitler
Adolf Hitler

Bien qu’il s’installe aux États-Unis dès 1913, Chaplin va suivre de près l’essor du nazisme et l’ascension d’Hitler. Il va se venger de ce Führer qui a osé lui voler sa fameuse petite moustache en forme de brosse à dents, si caractéristique de Charlot, de son humour et de sa dérision. Chaplin sera rapidement interpellé par les persécutions que connaissent les Juifs en Allemagne…

Le Dictateur.

Affiche du film The Great Dictator, 1940
Affiche de la version française, Le Dictateur

Charlie Chaplin était-il doté d’un sixième sens ? Il se rend compte qu’Hitler ne va pas se contenter de gesticulations et de discours enflammés. L’acteur et réalisateur va s’atteler, dès 1938, à l’écriture d’un film visionnaire, pastichant les travers de celui qui, à l’époque, est au faîte de sa puissance. The Great Dictateur, en français, " Le Dictateur ", sera une satire impitoyable, délivrant un message contre le nazisme, à travers un humour noir avéré.

Et pour arriver à ses fins, Charlie Chaplin va enfin " parler ". Depuis l’apparition du parlant dans le cinéma en 1927, l’acteur estimant que le son n’avait aucun sens et que la pantomime n’en avait nul besoin, il était hors de question qu’il verse dans ce qui, pour lui, est une anomalie ! Les lumières de la ville, en 1931, ou encore Les Temps modernes, en 1936, demeurent muets, du moins, pour le personnage de Charlot. C’est avec Le Dictateur que Chaplin rompt avec le silence, pour s’attaquer à Hitler et à la dictature.

Benzino Napoleoni et Adenoïd Hynkel, pastiches de Mussolini et Hitler, Italie et Allemagne...

Dans ce chef-d’œuvre, Chaplin ose tout. Il imagine un pays appelé Tomanie, devenu un régime dictatorial et fasciste, dirigé par Adenoïd Hynkel. Parmi ses alliés, la Bacteria, avec à sa tête Benzino Napoleoni. En Tomanie, les Juifs sont persécutés, mais, pas de chance, un barbier du ghetto juif est le parfait sosie de Hynkel !

Chaplin montre toute l’absurdité du nazisme lorsque le personnage de Garbitsch – alias Goebbels – fait remarquer au Dictateur, un homme à la chevelure brune, qu’il veut un monde d’hommes blonds aux yeux bleus ! Chaplin sera aussi d’une incroyable clairvoyance lorsqu’il imaginera un gag répétitif qui met en scène un gaz mortel…

À l’issue de plusieurs rebondissements, alors que la Tomanie vient d’envahir l’Österlich – image de l’Autriche annexée le 12 mars 1938 – le barbier est pris pour le Dictateur et se lance dans un discours de tolérance, de liberté, de démocratie et de paix. C’est Chaplin qui joue les deux rôles, pour ce discours, il est face à la caméra. À ce moment, ce ne sont ni Hynkel, ni le barbier qui parlent, c’est Chaplin qui s’empare de l’image et du son pour faire au monde un discours humaniste, un hymne à la liberté, tellement actuel.

Des Moment M troublants.

Robert Meltzer et Charlie Chaplin à l'écriture du scénario du Dictateur.

Le Dictateur et l’actualité seront d’un troublant parallélisme. En compagnie de Robert Metzler, Chaplin s’attelle à l’écriture du scénario en 1938, année même de cette nuit du 9 au 10 novembre qui demeure dans l’histoire sous le nom de Nuit de Cristal… Le tournage du film débute le 9 septembre 1939, 8 jours après l’invasion de la Pologne, 6 jours après que la Grande-Bretagne et la France ont déclaré la guerre à l’Allemagne… La première du Dictateur a lieu à New-York le 15 octobre 1940, au moment où le nazisme s’est déjà répandu sur la quasi-totalité du continent européen…

Cette sortie sera mal accueillie aux États-Unis, alors non engagés dans le conflit. Quant à Hitler, il fera interdire la diffusion du film en Allemagne, non sans s’en être fait procurer une copie qu’il se serait fait projeter à deux reprises, laissant Chaplin rêveur de connaître la réaction du Führer…

La Bibbliothèque du Congrès, à Washington
La Bibbliothèque du Congrès, à Washington © Tous droits réservés

Quant à la portée politique du Dictateur, elle vaudra à Charlie Chaplin de continuer à être inquiété par les autorités américaines. Le courant maccarthyste d’après-guerre l’accusera même d’avoir des sympathies pour le communisme, entraînant son exil en Suisse dès 1952.

Depuis 1997, Le Dictateur est conservé à la Bibliothèque du Congrès, à Washington, pour son intérêt " culturel, historique ou esthétique important "… Un juste retour des choses.

A voir, le samedi 26 février à 21h00 sur la Trois dans "Retour aux sources": Léon Lewis, l’homme qui a vaincu les nazis à Hollywood, un documentaire d’Olivier Mirguet, suivi du débat avec Alain Berenboom et Claudio Pazienza autour du cinéma dans l'entre-deux-guerres.

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