Les RDIE et le SCI sont des mécanismes qui permettent aux entreprises de poursuivre des Etats devant des tribunaux spéciaux (appelés tribunaux d’arbitrage). Ces instances relèvent du droit international du commerce et se basent sur les principes de compétition. Ainsi, si une entreprise estime que les régulations internes d’un Etat portent atteinte à la libre concurrence et à sa capacité à faire du commerce comme elle l’entend, alors elle peut porter plainte devant ces instances. Les RDIE ne sont pas régis par un régime international unique. Chaque accord donne lieu à des régimes de RDIE différents. Les termes y sont volontairement flous pour faciliter l’interprétation des tribunaux d’arbitrage. Les juges siégeant dans ces tribunaux ne se basent donc pas sur des règles ancrées mais établissent la jurisprudence au fur et à mesure.
Les RDIE sont apparus pour la première fois en 1959 lors d’un accord international entre l’Allemagne et le Pakistan. Ce mécanisme répondait à la peur des entreprises dans les Etats développés de subir des mauvais traitements dus à l’instabilité politique des Etats du Tiers-Monde.
Il y a un paradoxe de nature dans le fonctionnement des RDIE. Ce sont des mécanismes qui ont pour but de résoudre des différends entre acteurs commerciaux privés. Or, les traités internationaux bilatéraux incluent des Etats, acteurs qui tirent leur légitimité de l’intérêt général et non d’intérêts privés. Cette notion d’intérêt général (ou intérêt public) est complètement absente du système des RDIE.
Le SCI est composé de cours de justice à part entière et permanentes. La Commission affirme que ce système sera régi par les principes "d’équité et d’impartialité avec des juges indépendants pour statuer sur des affaires et des jurisprudences pour garantir le droit des gouvernements à réguler dans l’intérêt du public".
Ces bonnes intentions sont nuancées par des effets pratiques qui ressemblent grandement aux effets des RDIE. Un groupe d’ONG canadiennes et européennes s’est demandé si de grandes affaires de différends investisseurs-Etats auraient été réglées différemment sous le régime du SCI qu’elles ne l’ont été sous celui des RDIE. Les conclusions ne sont pas flatteuses pour le nouveau modèle :
- Les investisseurs étrangers pourront toujours choisir à quelle instance ils souhaitent s’adresser. Ils ne seront toujours pas obligés de recourir aux cours et tribunaux domestiques et pourront passer directement devant les tribunaux d’arbitrage du SCI.
- Les investisseurs étrangers sont toujours les seuls à pouvoir saisir ces tribunaux. Les citoyens et gouvernements qui se sentent lésés par les actions de certaines entreprises (notamment au niveau sanitaire et environnemental) ne peuvent toujours pas recourir à ce système. De plus, les investisseurs peuvent quitter la procédure du SCI à tout moment et se replier sur le mécanisme des RDIE.
- Les juges siégeant dans les tribunaux d’arbitrage ne sont pas aussi indépendants qu’annoncé. Ce ne sont pas des salariés des cours mais ils sont payés à la journée (ce qui les incite de facto à trancher en faveur des investisseurs.)
Seuls les investisseurs peuvent saisir les cours. Les juges ne sont payés que lorsqu’ils rendent des jugements et si les juges ne tranchent pas en leur faveur, il y a des chances que les investisseurs ne saisissent plus la cour. Les juges ne seraient alors pas payés. De plus, il n’y a pas de garantie contre les conflits d’intérêts ni d’interdiction d’être rémunéré pour un travail similaire déjà fourni lors d’une procédure de RDIE.
Il faut rappeler que malgré ces critiques, la cour de Justice de l’UE a estimé que les tribunaux d’arbitrage ne présentaient pas de menace pour les valeurs démocratiques européennes. Après avoir été saisie par la Belgique en 2017, la Cour a estimé en 2019 que "le CETA contient des garanties suffisantes pour assurer l’indépendance des membres des tribunaux envisagés."
Le SCI n’a encore jamais été testé, et malgré les promesses de la Commission européenne, certains Etats membres ne semblent pas satisfaits du fonctionnement théorique de ce système.
L’opacité des comités de concertation
A ce stade les négociations autour du CETA se mènent au sein des comités de concertation. Il y en a 18 au total qui s’occupent chacun d’une thématique particulière. On y retrouve des officiels du gouvernement canadiens et des membres de la Commission européenne. Ces comités font l’objet de critiques pour leur fonctionnement opaque et leur manque d’inclusion de représentants des citoyens.
Mirjam Hägele, coordinatrice pour l’ONG européenne Foodwatch International exprime ses réserves au sujet de ces comités :
Le problème avec les comités du CETA c’est qu’ils sont très puissants et que le Parlement n’a aucun contrôle sur eux. Ils travaillent de manière très opaque donc c’est difficile d’estimer quelles sont les positions des différentes parties. Tout est fait à huis clos. Il y a un manque de transparence et un manque de responsabilité.
Le CETA est ce que l’on nomme un accord " de nouvelle génération ". Cela signifie qu’il est variable. En plus des 2300 pages du traité, des annexes sont laissées blanches pour pouvoir ajouter des règlements. Mirjam Hägele y voit un risque grave pour la souveraineté des Etats.
Si un des Parlements parmi les Etats membres ratifie le CETA, il donne effectivement un chèque en blanc aux comités et à la Commission car il n’aura plus de contrôle sur les annexes du traité laissées expressément blanches.
Tous ces enjeux démocratiques expliquent la durée des négociations. Le Parlement wallon a fini par donner sa confiance au gouvernement fédéral. Mais la Belgique, comme beaucoup d’Etats européens n’a pas encore suffisamment confiance dans cette partie du traité pour donner son assentiment. Le ton est donné par Selin Salün, porte-parole de Rudi Vervoort, ministre-président de la Région bruxelloise :
Le gouvernement bruxellois n’évaluera l’opportunité de soumettre à son Parlement une ordonnance d’assentiment au CETA que sur base d’une évaluation du respect de l’ensemble des engagements pris lors de la signature de l’accord en 2016 par la Commission et le Conseil. [ndlr : Selin Salün parle ici des engagements pris pour faciliter l’accès au SCI pour les PME et les indépendants].