Forte de son succès pendant cette période si particulière que fut le confinement, la chronique "Laurence Vielle lit la poésie" revient à la rentrée, sous la forme d’une chronique hebdomadaire qui prendra ses quartiers le samedi matin à 8h45 dans Carpe Diem, en prolongement du moment poésie dans La matinale de la semaine.
Elle nous offre les mots du poète Paul Wamo avec Je viens de là, ode à la Nouvelle-Calédonie, son pays d’origine.
"Nouvelle Calédonie, un petit caillou séché par le soleil. Dans mes bagages, j’ai des mots, parce que de là d’où je viens, c’est un tout petit endroit. Sur les cartes, on ne nous voit pas mais depuis que Jean Marie Tjibaou a lancé l’appel dans les années 80, son mot d’ordre était qu’il faut 'relever la tête et être fier de qui on est, et dire qu’on existe'".
Un appel entendu par ce poète, auteur-compositeur-interprète, qui est devenu un véritable ambassadeur de la culture kanak. Paul Wamo s’illustre par son maniement habile et expressif des mots, à l’oral comme à l’écrit. Il est installé en France métropolitaine depuis 2015.
Paul Wamo - Je viens de là
Je suis chef du clan des guerriers vulnérables
on raconte que mon île était un petit caillou
un petit caillou qui surgit de la mer et fut séché par le soleil
et plus le soleil chauffait le caillou et plus le caillou grossissait
je viens d’un petit caillou séché par le soleil
je viens d’un océan pacifique le plus grand et le plus oublié du monde
je viens de plus loin que moi-même et d’encore plus loin que moi-même je viens du ventre de ma mère moi noir de ma propre nuit
En sortant du ventre de ma mère j’ai élevé le premier cri
en élevant le premier cri j’ai poussé mes larmes neuves
et en poussant mes larmes neuves je me suis mis à marcher
et quand je me suis mis à marcher je suis arrivé jusqu’ici
je viens d’hier et d’hier
je suis là maintenant bien plus loin que moi-même
je suis à présent et je me tiens devant vous
et dans mon panier de parole il y a ma voix et ma bouche
et de ma voix et ma bouche
je demande la parole je demande la parole
Alors voici mes mots que tu peux prendre
que tu peux manger que tu peux même jeter à la poubelle
et c’est tout ce que je peux faire
et le temps ne nous attend pas
la mort vient sans que nos yeux n’aient pu la voir venir
J’écris parce qu’écrire pour moi c’est tout donner
ce n’est pas un poème ce n’est pas un poème que je récite là
c’est un soleil qui se couche c’est une nuit qui déborde
des territoires tremblants qui sortent de mon ventre
des ambulances des marches en désordre
c’est une trace qui s’accroche pour toutes celles qui s’effacent
ce sont des serpillères pour des sols qu’on a souillés jusqu’à terre
c’est une histoire d’amour plus grande que l’amour
et ça vient comme ça arrive ça vient comme ça arrive
ça vient comme ça doit être plus fort que tout ou rien
Chérie ô chérie donne-moi juste le temps de retrouver le feu
ne jamais se dire que ça ne sert plus à rien
suivre demain et après-demain et après et après-demain
comme un fou qui aime le jour comme un fou qui croit toujours
le pouvoir de changer les choses commence pas un petit pas
le pouvoir de changer les choses commence par changer soi
et même si le temps est long jusque-là
le soleil lui se lèvera toujours toujours.
La poésie, c’est prendre le monde à l’envers pour le voir à l’endroit.
Serge Pey
Poésie :
- Le Pleurnicheur. Nouméa : Éditions L’Herbier de Feu, 2006.
- Trois saisons. Rochefort : Les Petites Allées, 2016.
- Je n’aime pas Loti. Rochefort : Les Petites Allées, 2017.
Livre / CDs :
- J’aime les mots. Nouméa : Grain de sable/L’Herbier de feu, 2008.
- Sol. Textes et création musicale : Paul Wamo ; arrangements David Leroy. SHOK ? !, 2016.
- Pulse. Textes : Paul Wamo ; musiques : Uli Wolters ; son, mixage, production : Yul Edorh. 2019.