La diversité (sociale, ethnique) apparait-elle au fil du temps dans les récits ?
C’est une question complexe et plus nuancée qu’il peut y paraître de prime abord. On peut dire que l’univers adulte qui entoure Martine, depuis sa famille jusqu’aux autres adultes "référents" qui l’accompagnent parfois, répond globalement à une répartition genrée traditionnelle. Les femmes s’occupent de l’intérieur et des enfants, tandis que l’homme exerce des activités de responsabilité à l’extérieur. La mère de Martine, par exemple, ne travaille pas en dehors de la maison mais, au cœur de celle-ci et de la gestion domestique en général, elle est très active. Certaines femmes exercent une profession mais, à nouveau, celle-ci est genrée : couturière, professeure de danse, institutrice… Cependant, Martine obéit à une double logique, en apparence contradictoire. D’un côté, elle reproduit certains des comportements traditionnels qu’elle observe chez sa mère et d’autres femmes de la même génération – être coquette, être polie, être discrète, par exemple. Mais d’un autre côté, elle profite de la grande liberté qui lui ai laissée et s’épanouit dans des activités qui ne sont pas forcément genrées, comme pêcher, skier ou monter une tente.
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Martine est le pur produit de la génération qui l’a vue naître et se développer pendant les premiers albums. Elle incarne la vitalité des Trente Glorieuses, la foi en un développement matériel mais aussi social sans entraves. Cette position idéologique va également avoir des conséquences sur les possibilités qui lui sont offertes de s’ouvrir à une émancipation non marquée par le genre. Le cas le plus emblématique est le sport, activité faisant l’objet de nombreux albums. A part Martine petit rat de l’opéra, toutes les autres activités physiques se pratiquent sans différenciation : filles et garçons y prennent part et Martine, en bonne héroïne littéraire, parvient souvent à dépasser tout le monde, tout en se surpassant elle-même. En outre, il me semble que l’on peut aussi lire certaines des activités réputées féminines, que Martine prend plaisir à réaliser – faire la cuisine ou le ménage, par exemple – en renversant les codes. Pourquoi en effet faut-il les déprécier "pour le principe" ? Son frère y prend d’ailleurs part, en souriant, et se laisse souvent diriger par sa grande sœur…
Quant à la diversité sociale, celle-ci devient sensible de manière subtile à partir de la moitié des années 1970. Martine quitte peu à peu son monde petit bourgeois aisé pour entrer progressivement dans une milieu de classe franchement moyenne. Si je reprends l’exemple du sport, on constate par exemple qu’elle délaissera les activités socialement marquées et pratiquée individuellement – comme le ski ou l’équitation – au profit de stages ou de cours en groupe, où davantage de mixité sociale se fait jour. Quant à la diversité ethnique, elle est très peu présente dans les albums, voire pas du tout.
Pour ce qui est du féminisme stricto sensu, [...] le personnage progresse sans cesse vers une image plus émancipée et, en définitive, moins genrée au fil des années
Pouvez-vous nous dire un mot autour de la question de la sexualisation et de la fameuse petite culotte de Martine ?
Il semblerait que Marcel Marlier ait été très attristé de l’interprétation que l’on a pu faire de ses dessins, surtout ceux de la première époque, où la petite culotte apparaissait fréquemment par-dessous les jupes de son héroïne. Il s’expliquait en disant que les jupes courtes étaient à la mode, que toutes les petites filles en portaient et qu’il voulait que Martine ressemble à ses jeunes lectrices, mais que jamais il n’a songé à en faire un objet de sexualisation. Il faut reconnaitre qu’à partir des années 1970, Martine ne porte presque plus jamais de jupes ou de robes, auxquelles elle préférera le pantalon. Effet de mode ou prise de conscience ? Je n’ai pas la réponse.
Il est vrai que certains dessins montrent la fillette dans des positions quelque peu lascives. Je pense qu’aujourd’hui, de tels scènes ne passeraient plus – et on comprend pourquoi – mais que dans le chef du dessinateur, et sans doute de l’équipe éditoriale de l’époque, il n’y avait pas d’ambigüité volontaire. Dans leur esprit, Martine est une enfant, non sexuée, et si sa petite culotte est visible, c’est précisément parce qu’elle n’a pas la conscience du fait que son corps peut être un objet de désir.
Avez-vous lu Martine avec vos enfants ?
Oui, mes enfants – j’ai une fille et un garçon – connaissent Martine à travers les lectures que j’ai pu leur faire. A l’époque, nous habitions à l’étranger, dans un milieu non francophone, et leur faire connaître Martine répondait pour moi à un geste tout autant linguistique que culturel.