Et puis il y a aussi des femmes qui se pensent féministes, mais qui restent réfractaires, par exemple, à la question du voile, ou de la prostitution, où il y a encore énormément de stéréotypes... Donc de temps en temps, je m'adresse à ces personnes-là, pour montrer que mon propos se veut accessible, pédagogue. Je suis convaincue que les idées qu'on défend, quand elles sont expliquées et argumentées calmement, on ne peut pas ne pas y adhérer ! Donc oui, j'avais envie de convaincre."
Un livre, ça reste. Comme une des problématiques féministes est l'effacement... Ben voilà, ça va être compliqué d'effacer mon livre
Votre livre parle de l’importance de laisser la place à d'autres voix : comment trouver l'équilibre entre, d'un côté, mettre en avant la parole de personnes concernées par des oppressions spécifiques au sein du féminisme (racisme, islamophobie, lesbophobie, validisme...) sans les accabler en leur demandant de porter seules toute la charge pédagogique et le travail de déconstruction ?
"Déjà, je pense que c'est important de poser un cadre éthique, pour ne jamais invisibiliser la parole des personnes concernées. Je n'aurais jamais écrit ce livre si je n’avais pas eu l'accord des femmes que je cite dedans. Des femmes concernées par des discriminations qui ne me concernent pas : le validisme avec Elisa Rojas, le racisme avec Rokhaya Diallo et Marie Dasylva, la lesbophobie avec Alice Coffin... Donc j'ai posé des règles : un, je veux votre accord. Deux, je vous ferai relire tous les passages qui vous concernent vous et votre champ de spécialité : Rokhaya et Alice pour les médias, Elisa pour la ville... Et aussi, j’ai tenu à reverser une partie de mes droits d'autrice aux associations qu'elles soutiennent.
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Au final, l'idée, c'est pas de se censurer : justement, quand on est blanche, c'est important de parler de racisme. Mais il ne faut jamais oublier de créditer ! Ne jamais voler une idée à une femme : c'est ce qu'on fait aux femmes en permanence, justement. Dans le livre je cite un tas de concepts, mais je rappelle toujours d'où ils viennent. Quand je parle de self-care, une notion qui s'est beaucoup vulgarisée dans les discussions féministes, eh bien, on rappelle que ça vient d'afroféminisme, que c'est d'abord des femmes noires qui en ont parlé. Ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas y trouver une inspiration pour nos propres vécus ! Tout ce que dit Marie Dasylva concernant le racisme, ça fonctionne super bien quand on parle de sexisme aussi. Mais l'erreur, ce serait d'effacer l'apport de Marie Dasylva, et se l'approprier. C'est un équilibre à trouver."
Présentes interroge la place des femmes dans les médias, et notamment les médias ‘mainstream’, grand public. Un sujet que vous avez connu de près, en tant que chroniqueuse au Grand Journal de Canal, ou pendant vos dix ans chez Elle France. Dans Beauté Fatale, Mona Chollet évoque ce paradoxe des magazines féminins : à la fois c'est un domaine méprisé par un regard "dominant", qui relègue la beauté ou la mode à de la futilité… et à la fois, c'est aussi le seul endroit où on trouve des femmes à des postes hauts placés...
"Le piège, ce serait d'essentialiser. Quand on dit ‘magazine féminin", déjà, ça veut dire quoi ? Que le c'est la mode-la beauté-la déco-la cuisine ? Non, ça ne va pas. Par contre, mépriser tous ces champs culturels en les considérant comme accessoires, ça revient à une posture sexiste. Parce que c'est vrai qu'énormément de femmes s'épanouissent, et réussissent, dans ce champ-là. La mode, la beauté, ce sont des arts, en fait ! Ils sont considérés comme mineurs car ils ont toujours été accomplis par des femmes.
Ne jamais voler une idée à une femme : c'est ce qu'on fait aux femmes en permanence, justement. Dans le livre, je cite un tas de concepts, mais je rappelle toujours d'où ils viennent
Donc encore une fois, il faut arriver à jongler : ne pas enfermer les femmes dans ces champs-là, et en même temps ne pas non plus les mépriser si elles s'y trouvent bien. L'idée c'est de ne juger aucune femme, en fait. C'est vraiment important de laisser à chacune la liberté de choisir son champ, d'être sans maquillage si on a envie, ou d'être super maquillée si ça te fait te sentir bien !"
En lisant votre livre, on balance parfois entre le désespoir total face à l’étendue des dégâts (chiffres sur les violences, invisibilisation, backlash) et bouffée d’espoir face à la détermination et la sororité de toutes ces femmes citées ! Quand on voit tout le chemin parcouru, mais aussi tout ce qu’il reste à faire, des féminicides aux menaces de mort pour des poils…
"Effectivement, c'est un combat épuisant, car on est attaquée en permanence quand on porte ces questions-là. C'est pour ça que je crois énormément à la sororité. Ça peut paraître Bisounours de dire ça, mais je ne sais pas comment je ferais si je n’avais pas autour de moi tout ce réseau de féministes, comme Rebecca Amsellem, Caroline De Haas, Victoire Tuaillon, Titiou Lecocq, Nassira El Moadem, ou Hanane Karimi... Là par exemple, Alice Coffin sort son livre, et elle se fait trasher sur Twitter, c'est infernal. On lui a toutes écrit un message pour lui dire qu’on l’aime, et qu’on la soutient. Je pense que ça peut vraiment aider à amortir ces moments de backlash."
Au final, entre avancées et backlash, parfois on a le sentiment que le féminisme est un éternel combat… et en même temps on se dit que ce n’est plus possible de supporter ça encore longtemps ! La révolution, c’est pour quand, en vrai ?
"Ce qui me donne beaucoup d'espoir dans cette idée de révolution, c'est la convergence des luttes. Plus j'avance dans toutes ces problématiques, plus je me rends compte à quel point la lutte écologiste, la lutte anticapitaliste, la lutte antiraciste, la lutte féministe, etc... tout ça, en fait, ben c'est la même lutte ! C'est la lutte contre un seul et même système, qui écrase toutes les personnes qui ne rentrent pas dans le cadre… ce cadre étant extrêmement petit ! Mais la convergence des luttes, ça veut dire qu’on est nombreuses et nombreux, et notre colère commence à être de plus en plus audible ! Donc je ne sais pas exactement quand elle va se produire, cette révolution, et je sais que ce n'est pas moi qui vais en prendre la tête… par contre je suis convaincue que ça va arriver. Et j'espère que je serai en première ligne pour l'observer, la décrire..."
Je ne sais pas comment je ferais si je n’avais pas autour de moi tout ce réseau de féministes