Politique

L’abandon du nucléaire belge essuie des vents contraires

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Par Jean-François Noulet, avec Belga

La sortie du nucléaire, le scénario A retenu par le gouvernement au bout d’une nuit de négociations le 23 décembre dernier, a-t-elle du plomb dans l’aile ? C’est le 18 mars prochain que la coalition Vivaldi doit confirmer le choix du scénario dans le cadre de l’abandon du nucléaire comme moyen de production d’électricité en Belgique. Le scénario A prévoit la fermeture de tous les réacteurs nucléaires à l’horizon 2025. Des capacités de production alternatives, notamment des centrales au gaz, devront assurer l’approvisionnement énergétique. Le scénario B prévoit une prolongation de deux réacteurs. La période entre le 23 décembre dernier et le 18 mars prochain doit permettre de s’assurer que le scénario A est tenable. Alors que la date de la décision finale approche, les partisans d’une prolongation des réacteurs font monter la pression ces derniers jours. De quoi inciter plusieurs formations politiques à un discours de prudence, histoire de ne pas enterrer le scénario B.

De quoi a convenu le gouvernement le 23 décembre ?

Le 23 décembre dernier, les partenaires de la majorité s’accordaient, enfin, sur la politique à mener en matière d’approvisionnement énergétique du pays. Il y avait urgence, pour les échéances prévues dans la loi de sortie du nucléaire votée en 2003. La coalition Vivaldi optait ici pour un scénario A, celui de la fermeture du nucléaire pour 2025. Elle gardait toutefois une porte de sortie. Maintenir deux réacteurs en activité était l’option "filet de sécurité", au cas où l’approvisionnement s’avérerait insuffisant et au cas où l’impact sur les prix pour les utilisateurs serait trop élevé. Plusieurs rapports ont ainsi été demandés avant le 18 mars pour étayer le dossier. L’AFCN, l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, devait préciser ce qu’il y aurait lieu de faire pour maintenir deux réacteurs en activité. Elia, le gestionnaire du réseau, devait examiner la question de l’approvisionnement.

Le gouvernement n’enterrait pas totalement non plus le nucléaire. En effet, à l’horizon 2050, il laissait la porte ouverte au nucléaire de nouvelle génération.

L’AFCN, chargé de déterminer les conditions d’un maintien de deux réacteurs a rendu ses conclusions. Pour l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, une prolongation est possible, moyennant une mise jour des installations. Sur bases des informations communiquées par l’AFCN, la ministre de l’Energie, Tine Van der Straeten (Groen) a précisé que la prolongation de deux réacteurs ne suffirait pas à assurer l’approvisionnement du pays. Des moyens de production supplémentaires devraient être mis en œuvre.  :

Quant à Elia, son rapport sur la sécurité d’approvisionnement est attendu pour le 18 mars. Elia a toutefois émis des réserves, début février, à propos des déclarations de trois experts flamands qui estimaient que la fermeture des réacteurs allait augmenter le prix de l’électricité et accroître les risques de pannes.

Mobilisation du patronat pour la prolongation de deux réacteurs

Mercredi, la FEB, la Fédération des entreprises de Belgique, le VOKA, la Fédération flamande des entreprises, l’UWE, l’Union wallonne des entreprises et BECI, la chambre de commerce bruxelloise (BECI) ont uni leurs voix pour appeler à la prolongation de deux réacteurs nucléaires en Belgique.

Les patrons craignent des risques sur la sécurité d’approvisionnement et sur le niveau des prix de l’énergie. Les organisations patronales mettent en avant la situation géopolitique plus tendue actuellement. Cela crée de l’insécurité sur l’approvisionnement en gaz. En outre, pour les fédérations patronales, importer de l’électricité produite chez nos voisins pourrait s’avérer compliqué en raison des problèmes de production dans ces pays. On pense ici à la France et ses nombreuses centrales nucléaires fermées pour entretien ou réparation.

Enfin pour le patronat, moins de nucléaire signifie aussi plus d’émissions de gaz à effet de serre.

Les fédérations patronales estiment donc qu’il n’est pas trop tard aujourd’hui pour prolonger la durée de vie des deux réacteurs nucléaires les plus récents.

Certains partis politiques flamands prennent position et n’excluent pas la prolongation…

Du côté politique, les discours se multiplient pour ne pas enterrer le scénario B, celui de la prolongation de deux réacteurs. Le président de l’Open Vld, Egbert Lachaert, sensible aux arguments des patrons, considère qu’aucun scénario sur le bouquet énergétique de la Belgique après 2025 ne peut plus être exclu, dans le contexte de la menace russe sur l’Ukraine. Il réclame un avis supplémentaire aux experts, comme le gestionnaire du réseau haute tension Elia et le régulateur de l’énergie (CREG), sur l’impact potentiel de cette menace sur la politique énergétique de la Belgique.

Ce jeudi, le Premier ministre, Alexander De Croo, lui aussi Open Vld, a réagi aux débats actuels et tempère. Pour lui, il faut s’en tenir au processus d’évaluation en cours qui prévoit qu’une décision sera prise mi-mars. Pour Alexander De Croo, "dans cette évaluation, il faut aussi tenir compte de tous les éléments qui pourraient avoir un effet sur la sécurité d’approvisionnement et les prix". "Les derniers éléments, naturellement, il faut les prendre en compte", a-t-il ajouté.

Toujours dans la coalition gouvernementale, le président du CD&V Joachim Coens a estimé que la priorité, à ses yeux, était la facture énergétique.

Du côté de Vooruit, les socialistes flamands, le président Conner Rousseau, a affirmé mercredi dans l’émission Villa Politica (VRT) qu’il pourrait accepter le maintien en activité de deux réacteurs nucléaires après 2025 s’il était démontré qu’une telle prolongation allégera effectivement la facture énergétique des ménages. "Actuellement, rien ne l’indique, mais si quelqu’un au gouvernement parvient à me le démontrer, alors je serai son allié", a lancé le président des socialistes flamands.

Et les autres partis ?

Chez les Verts, on croit toujours à une fermeture des centrales. Du côté de Groen, le parti de la ministre de l’Energie, Wouter De Vriendt, le chef de groupe Groen à la Chambre, maintient le cap de la sortie du nucléaire en 2025 et demande du respect pour l’accord conclu.

Face aux craintes du patronat flamand en cas de fermeture des réacteurs en 2025, Wouter De Vriendt dit comprendre "la nervosité des employeurs", mais il demande "aux politiques de garder la tête froide et de s’en tenir à ce qui a été décidé".

Dans la majorité, le PS est aussi un partisan du scénario A, celui de l’arrêt des réacteurs en 2025.

L’autre parti francophone de la majorité, le MR, soutient, lui, le scénario B, celui d’une prolongation de deux centrales nucléaires.

Du côté d’Engie, l’exploitant des réacteurs nucléaires qui pourraient être prolongés en cas de scénario B, on a clairement fait savoir qu’on s’inscrivait dans la logique d’une fermeture des réacteurs en 2025.

Bien avant que l’accord intervenu au gouvernement le 23 décembre, le patron d’Engie avait enterré, dans une lettre au gouvernement, toute possibilité de prolongation. "La somme des obstacles qui sont devant nous ne rend plus possible une prolongation du nucléaire", déclarait Thierry Saegeman, le CEO d’Engie. "Ce n’est plus une question de vouloir : ce moment-là est passé depuis 2020. Nous voulions mais ce n’est plus une question de vouloir, mais c’est une question de pouvoir" avait-il ajouté.

Il y a deux jours, Catherine MacGregor, invitée de BFM Business confirmait ce positionnement. "Aujourd’hui, nous, on suit la loi […] Clairement, notre scénario c’est celui d’une sortie complète de nos 7 tranches et on commence en octobre de cette année et progressivement jusqu’en 2025 ", soulignait la responsable.

Aujourd’hui, Engie précise que le maintien de deux réacteurs n’aurait aucun effet, notamment à la baisse, sur le prix de l’électricité en Belgique.

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