Mais lorsque les autorités de la Ville de Bruxelles entament leur enquête de résidence pour constater la réalité de la vie commune, les choses coincent. Nous sommes en février 2016. A l’époque, les services de l’Etat civil et l’échevin de tutelle Alain Courtois (MR) traquent le moindre soupçon de mariage arrangé. "Lorsque le couple a eu un rendez-vous avec les services et a été soumis à diverses questions d’ordre privé, il y a pu y avoir des contradictions. Mais rien d’extravagant", rapporte Maître Warlop. Mais ce qui intrigue les services, c’est la différence d’âge – près de 20 ans – et le fait que Fatima-Zohra n’est pas en situation régulière. "En fait", précise Fatima-Zohra, "ce n’était pas la première fois que je venais en Belgique. C’était déjà la huitième fois au moment où nous avons voulu nous marier. La première fois que je suis venue, c’était en 2010! Une partie de ma famille vit déjà en Belgique. Et lorsque je viens en Belgique, c’est toujours avec un visa Schengen et je respecte toujours sa période de validité. Sauf la dernière fois vu que nous allions nous marier."
Rien n’y fait. En avril 2016, après avis défavorable du Parquet de Bruxelles, la célébration est refusée. "Mes clients ne pouvaient pas accepter cela. Ils s’aiment et veulent se marier. Nous avons alors décidé d’introduire le mois suivant un recours devant le Tribunal de la Famille de Bruxelles", se remémore Maître Warlop qui accompagnera Maimoun et Fatima-Zohra jusqu’au bout de leurs démarches.
Un mariage pour un titre de séjour, selon un premier juge
En octobre 2016, le jugement tombe: le couple est débouté. Le juge soupçonne donc également un mariage arrangé et relève différents éléments pour étayer sa décision: des déclarations contradictoires sur le jour de la demande en mariage, du début de la relation amoureuse, la précipitation quant à la décision de se marier et d’avoir des enfants, la différence d’âge, des mariages déjà contractés entre les deux familles et… le fait que M. Mjoti est l’oncle de Mme Berdouni. Ces éléments, dit la justice, "ne peuvent qu’amener à conclure que l’objectif des demandeurs dans ce projet de mariage ne vise que l’obtention d’un titre de séjour dans le chef de Mme Berdouni".
"Nous avions apporté des témoignages, des photos, des preuves que nous nous connaissions depuis longtemps, que nous partageons des moments ensemble, avec nos familles respectives. Mais notre mariage a à nouveau été refusé", regrette le couple qui va en appel. "C’est un mariage d’amour, je l’aime", dit M. Mjoti. "Mais je décide de ne pas abandonner. Je n’abandonne pas." "Au Maroc, on peut par exemple se marier avec un cousin maternel ou paternel. Ici en Belgique, non. Mais mon mari et moi sommes liés par alliance", insiste Fatima-Zohra.
L’arrêt de la Cour d'appel tombe le 21 mars 2019. Et là, retournement de situation: le couple obtient gain de cause! La Cour d'appel stipule qu’il n’est "nullement établi que comme retenu par le premier juge Mme Berdouni est prête à tout pour régulariser sa situation de séjour."
Stigmatisation, répond la Cour d'appel
Sur la différence d’âge: elle n’est pas "significative". "M. Mjoti a certes retenu neuf enfants de sa première union. Mais il vient d’une famille où il est courant d’avoir des fratries importantes", écrit la Cour d'appel. Le désir d’enfant de Mme Berdouni est également "tout à fait légitime", souligne l’arrêt.
Mais l’arrêt va encore plus loin dans son arrêt. "La cour ne peut suivre le premier juge en ce qu’il a stigmatisé le projet de mariage des appelants en raison de son contexte intrafamilial, allant jusqu’à qualifier à plusieurs reprises la situation de "malsaine". […] Le mariage n’est pas en raison de ce lien de parenté, prohibé en Belgique, ce qui n’a jamais été contesté (NDLR : articles 163 et suivants du Code civil qui prohibe le mariage entre oncle et nièce en ligne directe, pas indirecte). Il est plausible par ailleurs qu’il s’inscrive dans le cadre de traditions et d’une culture, à l’égard desquels il n’y a pas lieu de poser de jugement de valeur." En outre, les mariages entre Berdouni et Mjoti sont de nature, dit cette fois la justice, "à conforter la position des appelants, plutôt qu’à la desservir".
Enfin, sur les déclarations qualifiées de contradictoires lors des enquêtes de police et de l’Etat civil, la Cour d'appel dit: "Il est constaté qu’elles sont très majoritairement concordantes. Les intimés se connaissent et connaissent mutuellement leurs situations familiales respectives. Mais ils ont également été concordants en ce qui concerne leur histoire personnelle, depuis que leur mariage a été envisagé et que lors d’un séjour au Maroc de septembre à novembre 2015, M. Mjoti a demandé la main de Mme Berdouni au père de celle-ci."
Toujours convaincue de leur réelle volonté
"L’arrêt a mis à néant le premier jugement et a considéré que l’action menée par mes clients était recevable et fondée et a ordonné l’Officier de l’Etat civil à célébrer le mariage", se réjouit Maître Warlop. "Le lien de parenté entre les parties est un élément qui est apparu dans le refus, au point où le premier jugement parle de situation "malsaine". La Cour d'appel estime au contraire que, bien sûr, ce n’est pas habituel mais ce n’est pas prohibé par le Code civil. Dès le premier instant où ils sont venus me consulter et qu’ils avaient avec eux l’avis négatif de l’Officier de l’Etat civil, j’étais convaincu de leur réelle volonté de fonder une communauté de vie durable. Et même si on peut dire que Mme Berdouni était en séjour légal lorsqu’elle est arrivée sur le territoire et que son visa a expiré par la suite, nonobstant cela, j’étais toujours convaincue par leurs réelles intentions. C’est en parlant avec les personnes, en essayant de comprendre leur histoire, l’évolution de leur relation, les pièces qui peuvent nourrir le dossier, c’est tout cela qui permet de répondre à l’Officier de l’Etat civil. Je comprends parfaitement que le rôle de ce dernier soit de lutter contre les mariages blancs. Mais il ne faut pas considérer que toute union parce que quelqu’un est en séjour irrégulier est forcément contractée dans l’unique but d’avoir un avantage en terme de séjour sur le territoire."
"J’étais content quand le deuxième juge a accepté notre mariage", ajoute M. Mjoti. "Pourquoi le premier juge a-t-il refusé ? Peut-être à cause des mariages blancs. Il pense que notre mariage est aussi un mariage blanc. Mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier."