Les Grenades

"La vie têtue" de Juliette Rousseau : histoires de transmissions féminines

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Par Fanny De Weeze*, une chronique pour Les Grenades

Autrice, traductrice, journaliste, éditrice, activiste, autant de casquettes que Juliette Rousseau arbore pour défendre des valeurs qui lui sont chères. L’écoféminisme était un des sujets de son précédent ouvrage, paru également chez Cambourakis, Lutter ensemble, dans lequel elle invitait "à explorer des formes d’organisation et de solidarité à même de créer les conditions de nouvelles complicités politiques qui ne soient pas aveugles aux oppressions croisées." Avec La vie têtue, elle s’embarque vers de nouvelles directions pour franchir le pas de l’autofiction grâce à un retour dans la maison familiale.

La Collection Sorcières aux Éditions Cambourakis, dans laquelle est édité le livre, se veut un répertoire de ces nouvelles vagues de féminisme et remplit le rôle d’apporter d’autres genres de récits et de mettre en lumière des autrices, contemporaines ou non, qui abordent une multitude de sujets sociétaux sous le prisme du genre et du féminisme.

Lignée de femmes

Fille, sœur, mère, La vie têtue explore la lignée de femmes qui parcourt la vie de Juliette Rousseau et avec ce premier roman, l’écrivaine tisse les liens entre les membres de sa famille.

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Chacune de ces femmes possède une histoire bien particulière qui nous est racontée de manière éclatée : nous n’allons pas les suivre l’une après l’autre mais plutôt les lire avec leurs imbrications dans leurs vies respectives.

Avortement, trouble alimentaire, viol conjugal, autant de drames qui ont créé des non-dits et dont l’autrice essaie par ce récit de se départir. Poser des mots sur ces pans de vie permet de les faire exister, de les analyser et de s’autoriser, un jour peut-être, à ne plus y penser.

En utilisant le “tu” pour s’adresser à sa sœur, elle lui redonne une seconde vie, un second souffle après celui qui s’est éteint à l’âge de 33 ans à la suite d’un cancer généralisé. L’adresse à cette grande sœur tant aimée est pour l’autrice une manière de perpétuer sa mémoire tout en lui contant ce que, elle, sa petite sœur, est devenue.

"T’écrire, c’est négocier avec le feu. Découvrir des foyers incandescents et en accepter l’épreuve. Puis laisser la matière s’apaiser. On n’écrit pas sur des charbons ardents. On écrit en soufflant doucement sur les braises. On en extrait ce qu’il reste. Parfois ce sont quelques phrases, parfois une fatigue infinie." Si elle utilise le tutoiement, il n’y a cependant pas de craintes à avoir pour les lecteurs et lectrices de se sentir mis⋅es de côté.

Après la mort de sa sœur, Juliette Rousseau raconte ce qu’il advient de ceux et de celles qui restent, les trajectoires prises par chacune et chacun pour surmonter la perte.

La mort a ce pouvoir, comme certaines séparations : elle efface ce qui s’est mal passé, et dore tout le reste, le baigne dans un soleil ardent. C’est sa façon de ne pas laisser oublier celles et ceux qu’elle nous enlève

Devenue mère à son tour, elle découvre une nouvelle voie qui lui permet de remettre en perspective les différents choix de ses aïeules, de les comprendre et de pardonner.

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Déconstruction de la langue

Dans une langue lyrique et métaphorique, elle amène des passages de poésie suspendue. Des instants de grâce entre les moments de douleur mais aussi de deuil.

Je voudrais t’écrire un livre dont on entend les pages respirer lorsqu’on les tourne

Cette respiration qu’elle désire insuffler à son récit, est ressentie grâce au rythme particulier qu’imposent ces changements de style et de narration. Ce récit dit "éclaté", sans vraiment de chronologie, engage ceux et celles qui le lisent à se créer une ligne du temps mentale pour rétablir la généalogie partagée par l’autrice.

Le jeu entre ce mélange de prose et de poésie est une façon pour Juliette Rousseau de se réapproprier la langue française dont elle dit que celle-ci "dans sa construction patriarcale, ne me permet pas de donner à lire la lignée de femmes blessées dont je viens. Elle nous efface, encore et toujours." Partant de ce postulat, elle "invoque des filiations" et "rétablit des trajectoires".

La nature en filigrane

En Bretagne, la maison familiale d’où elle écrit à sa sœur est entourée de nature. Ce paysage d’arbres et de forêts est celui de son enfance, tant aimé par ses parents et respecté par ceux-ci. Se trouvant dans une région où la chasse est légion, la maison et ses environs furent les témoins de battues et de bruits des détonations de coups de fusils.

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Pour Juliette Rousseau, revenir dans cette maison, c’est aussi se réapproprier ces contrées de nature dévastées par les industries environnantes, tirer un trait sur ce qui fut et créer de nouvelles lignes pour elle et sa fille. C’est là qu’elle convoque les souvenirs, éloigne la mort et se réconcilie avec la vie…

La vie têtue, Juliette Rousseau, Editions Cambourakis, septembre 2022, 120 pages, 15€.

*Fanny De Weeze est une lectrice passionnée qui tient un blog littéraire (Mes Pages Versicolores) depuis 2016 sur lequel elle chronique des romans, des essais et des bandes dessinées.

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