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La Turquie quitte la Convention d’Istanbul contre les violences envers les femmes : que dit ce traité ?

Les associations de protection des droits des femmes ne lâchent pas la pression sur le gouvernement.

© AFP or licensors

Par Clara Weerts avec Agences

La Turquie quitte le premier instrument contraignant au monde pour prévenir et combattre la violence contre les femmes, la Convention d’Istanbul. Un décret présidentiel a été publié vendredi, actant cette décision. Mais que signifie cette Convention ?

Qu’est-ce que la Convention d’Istanbul ?

La convention d’Istanbul a été créée en 2011 par le Conseil de l’Europe. Elle est aussi appelée la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et de la violence domestique. Elle détaille les différentes formes de violences, reconnaît qu’elles sont structurelles et qu’il relève de la responsabilité de l’Etat d’y remédier.

La Convention établit des normes minimums en matière de prévention, de protection, de poursuites judiciaires et de politiques intégrées, impliquant les agences gouvernementales, les ONG et les autorités locales. Le traité cite les différentes violences possibles et à reconnaître comme telles. Il faut incriminer, dit-elle, la violence psychologique, physique, sexuelle dont font partie les relations non consenties, le harcèlement, le mariage forcé, les mutilations génitales féminines, l’avortement forcé et la stérilisation imposée. Le harcèlement sexuel doit faire l’objet de sanctions pénales ou autres sanctions légales.

La Convention admet la violence à l’égard des femmes comme une violation des droits humains et une forme de discrimination. Aujourd’hui, 34 pays l’ont ratifiée. Ils s’engagent donc à soutenir et protéger les femmes.

Premier et pourtant…

Le premier pays à ratifier cette convention, en 2012, est la Turquie. Elle devient également la première à la quitter.

Les conservateurs au pouvoir ont affirmé que la charte nuit à l’unité familiale, encourage le divorce et que ses références à l’égalité sont utilisées par la communauté LGBT pour être mieux acceptée dans la société. L’idée d’abandonner cette Convention n’est pas nouvelle. Recep Tayyip Erdogan, président turc, a déjà soulevé la question l’année dernière.

Juridiquement, cette décision de quitter la Convention d’Istanbul est contestable. Un texte adopté par le Parlement turc ne peut en principe pas être annulé par décret présidentiel. L’argument d’Erdogan est politique. Son objectif est de reconquérir son électorat conservateur à l’approche des élections de 2023.

Le principal parti d’opposition, le CHP, critique cette décision. Gokce Gokcen, vice-présidente du CHP chargée des droits humains, a tweeté que l’abandon de cette Convention signifiait "laisser les femmes être tuées". "Malgré vous et votre malfaisance, nous allons rester en vie et faire ressusciter la convention", a-t-elle écrit sur Twitter.

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La Secrétaire générale du Conseil de l’Europe Marija Pejcinovic Buric qualifie cette information "de nouvelle dévastatrice", dans un communiqué. "Cette décision compromet la protection des femmes en Turquie, dans toute l’Europe et au-delà". Elle souligne que "la Convention d’Istanbul est largement considérée comme l’étalon-or des efforts internationaux visant à protéger les femmes et les filles de la violence à laquelle elles sont confrontées chaque jour dans nos sociétés". Ce retrait se pose comme "un énorme revers pour les efforts faits pour lutter contre la violence faite aux femmes".

Joe Biden, président des Etats-Unis, a également réagi à l’annonce. Il se dit "profondément déçu". "C’est un pas en arrière extrêmement décourageant pour le mouvement international contre les violences faites aux femmes", déplore-t-il dans un communiqué de presse.

De plus en plus de violences chaque année

Les violences domestiques et les féminicides restent de graves problèmes en Turquie. L’année dernière, 300 femmes ont été assassinées selon le groupe de défense des droits We Will Stop Féminicide. Un nombre qui augmenterait d’année en année.

Le 6 mars dernier, un exemple de cette violence agitait les réseaux sociaux en Turquie. Des images circulaient montrant une femme ruée de coups de pied à la tête par son ex-époux, sous le regard de leur petite fille de 5 ans hurlant de détresse.

Le même jour, une mère de famille de 26 ans était abattue par son ex-mari avec un fusil de chasse. Une situation tragiquement courante dans certains pays, dont la Turquie fait partie. La plupart des femmes victimes de ces violences les avaient signalées mais l’Etat a échoué à les protéger.

La liste des victimes s’allonge chaque année. En 2002, 22 femmes ont été tuées en Turquie, 404 en 2018, 474 en 2019 et 300 en 2020. Ce dernier chiffre semble incomplet à cause de la pandémie du coronavirus. A celui-ci viennent s’ajouter 170 femmes déclarées mortes "dans des circonstances mal éclaircies". En 18 ans, 6732 femmes ont été assassinées par des hommes de leur entourage.

Un rapport a été révélé au public le 8 mars dernier par le député d’opposition Sezgin Tanrikulu, CHP. D’après lui, la protection offerte aux victimes de violences conjugales est insuffisante. Manque de refuges, absence d’écoute, plaintes rejetées… Les violences envers les femmes tendent à se banaliser. Le député demandait au gouvernement d’appliquer au plus vite la Convention d’Istanbul. Un appel qui n’a pas été entendu, bien au contraire…

Après le retrait de la Convention, plusieurs milliers de personnes sont descendues dans les rues d’Istanbul et d’autres villes pour rappeler l’urgence de traité. "Annule ta décision, applique le traité !", scandaient des milliers de femmes et d’hommes. Les manifestants brandissaient des pancartes sur lesquelles étaient écrit : "Ce sont les femmes qui gagneront cette guerre."

Une des manifestantes s’est livrée à l’agence de presse AP : "Nous nous sommes battus chaque jour pour que la Convention d’Istanbul soit implantée et que les femmes puissent vivre. On entend maintenant que ça tombe à l’eau. Aujourd’hui, nous sommes très fâchés. Nous ne pouvons plus supporter le fardeau de la mort d’une femme. Nous n’avons plus aucune tolérance pour ces actes."

Et la Belgique ?

La Belgique a ratifié la Convention d’Istanbul dans ses différentes composantes fédérales, régionales et communautaires, en 2016. En juillet 2020, Amnesty international a invité la Belgique à renforcer ses dispositifs de lutte contre les violences sexuelles.

D’après le Grevio, le groupe d’expert chargé de l’évaluation de la mise en œuvre de la convention, seul 20% des obligations contenues dans la convention sont appliquées. D’après Amnesty, la Belgique doit améliorer l’efficacité et la qualité des poursuites judiciaires pour lutter contre l’impunité.

En mars 2020, Amnesty sortait les résultats d’un sondage pointant le fait que près de 50% des Belges ont connu des violences sexuelles. 53% des cas de viol sont classés sans suite.


►►► Lire aussi : "Le nombre d’infanticides et féminicides en 2021 est alarmant", alerte la secrétaire d’État Sarah Schlitz


En octobre dernier, le gouvernement Vivaldi affirmait : "La lutte contre la violence de genre sera une priorité. La convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique servira de ligne directrice à cet égard."

Pourtant, la Belgique fait toujours cruellement défaut à certains impératifs de la Convention d’Istanbul comme le recensement officiel des violences faites aux femmes. Une réunion d’urgence devrait se tenir mardi matin entre Sarah Schlitz, secrétaire d’Etat à l’Egalité des genres, et les ministres de l’Intérieur et de la Justice. L’objectif de cette rencontre est de faire le point sur la situation et d’envisager de nouvelles mesures d’urgence.

Sujet du JT du 22/11/2020

Manifs : dénoncer les violences contre les femmes

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