Guerre en Ukraine

La Troisième Guerre mondiale n'aura pas lieu ou pourquoi les propos menaçants de Sergueï Lavrov ne sont pas alarmants (dans l'immédiat)

Le Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (droite) et le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres (gauche) lors de leur rencontre à Moscou, Russie, ce 26 avril.

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Par Pascal Bustamante

Juste avant de recevoir le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, alors que les négociations entre l’Ukraine et la Russie sont dans une phase difficile, que les alliés de l’Ukraine sont réunis en Allemagne pour lui prodiguer un soutien en armement encore plus intense et que les sanctions économiques poursuivent leurs effets, le ministre russe des affaires étrangères, dans une déclaration relayée par l’agence de presse gouvernementale russe Interfax, a mis en garde contre la possibilité d’une troisième guerre mondiale. "Le danger est grave, il est réel, on ne peut pas le sous-estimer" a-t-il déclaré. Afin de se montrer plus confiant, il a, dans le même entretien indiqué au sujet du conflit ukrainien que "tout va bien sûr finir par la signature d’un accord. Mais les modalités de cet accord dépendront de la situation des combats sur le terrain, au moment où cet accord deviendra une réalité".

Pourquoi brandir ce qui pourrait s’apparenter à une menace ? Est-ce que c’est la première fois ? Qu’est-ce que cela dit de l’état d’esprit de la Russie deux mois après le lancement de l’offensive sur l’Ukraine ? Nous avons évoqué ces questions avec Thierry Braspenning-Balzacq, professeur en sciences politiques à l’UNamur.

Pourquoi évoquer la possibilité d’un nouveau conflit mondial ?

Avec l’évocation de la possibilité d’une possible guerre mondiale issue du dérapage de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Sergueï Lavrov utilise une rhétorique puissante. Un élément qui fait inévitablement écho dans l’opinion publique. Les récits des deux premiers conflits mondiaux sont dans toutes les mémoires, tout comme l’opposition entre les deux grands blocs, Occident et URSS, pendant la majeure partie du 20e siècle. Pourquoi y recourir pour la diplomatie russe ? Thierry Braspenning-Balzacq, professeur en sciences politiques à l’UNamur :

"Je pense qu’il faut toujours resituer ce genre de phrases dans la trame du conflit. Quand le conflit a commencé, on avait déjà eu une première menace, une menace nucléaire. Cette déclaration s’inscrit en fait dans une trame narrative. La dissuasion ne se fait pas seulement par des actes, elle se fait aussi par le discours. Il s’est toujours agi, du côté russe, d’essayer de dissuader les Occidentaux ou toute autre partie, d’aller au-delà de ce qu’elles font en Ukraine.

Mais je pense aussi que cela peut trahir la fébrilité russe. Dans la mesure où la Russie ne s’attendait absolument pas à une résistance ukrainienne aussi forte. De la part de sa population mais aussi de la part de l’armée. Elle ne s’attendait pas non plus à avoir elle-même une armée finalement pas aussi performante qu’elle ne l’aurait escompté. Et pas non plus à une réaction assez forte de la part d’une grande partie de la communauté internationale".

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Est-ce que la Russie s’énerve à ce stade du conflit ?

Le soutien du monde occidental à l’Ukraine entrave la poursuite des objectifs militaires russes. Dernièrement, Sergueï Lavrov a considéré que les convois militaires transportant de l’armement occidental à destination de l’armée ukrainienne étaient des cibles légitimes pour l’armée russe. Des frappes qui pourraient être comprises différemment selon leurs localisations :

"Si les Russes bombardent au sein du territoire ukrainien des convois d’armes envoyées par les Etats Unis ou par les alliés, ceux-ci ne vont pas considérer cela comme agression contre eux. Je ne vois pas où serait la guerre mondiale dans cette histoire, puisque cela se passerait en territoire ukrainien. En revanche, si les Russes avaient bombardé un objectif sur le territoire polonais, des armes stockées avant leur transit, ce serait une autre histoire."

Mais pourquoi évoquer ce genre d’éventualité juste maintenant ?

"On est quand même dans une situation dans laquelle les discussions patinent. On est aussi à un moment qui précède la visite du secrétaire général des Nations unies, dans un contexte que la Russie n’aurait pas imaginé il y a quelques semaines. Elle pensait pouvoir être en position d’hyper-force. En réalité, elle n’a réussi à obtenir que la bande frontalière immédiate (avec la Russie, ndlr) qui permet de faire la jonction avec la Crimée. Elle n’a pas réussi à renverser le régime politique, ce qui était probablement l’un de ses objectifs. Elle n’a pas réussi à retourner la population contre son régime politique. Elle a donc finalement été obligée de se concentrer sur des objectifs a minima. Elle a brandi la menace d’une montée aux extrêmes pour essayer de préserver ce qu’elle a réussi à acquérir jusque-là."

Le Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (droite) et le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres (gauche) tiennent une conférence de presse conjointe après leur rencontre à Moscou, Russie.
Le Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (droite) et le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres (gauche) tiennent une conférence de presse conjointe après leur rencontre à Moscou, Russie. © Anadolu Agency

La Russie pourrait-elle avoir un intérêt à déclencher un conflit mondial ?

"Si la Russie veut vraiment déclencher une guerre, c’est pour gagner quelque chose. Quel est l’intérêt de gagner si vous mourez vous-même. Ce serait plutôt un suicide. Elle a certainement des armes mais, militairement sur le terrain, je ne vois pas comment la Russie pourrait faire face aujourd’hui à une armée importante. Elle n’est déjà pas capable de battre une armée ukrainienne."

Une parenté avec la crise des missiles de Cuba en 1962 ?

Par cet affrontement de blocs et par la menace d’un embrasement du conflit, l’invasion de l’Ukraine par la Russie est souvent comparée à la crise des missiles de Cuba en 1962. A l’époque, la tentative de l’Union soviétique d’installer des missiles à chargement potentiellement nucléaire sur l’île de Cuba avait déclenché une crise qui a mis le monde au bord d’un conflit généralisé. Mais, pour Thierry Braspenning-Balzacq, la situation est différente à bien des égards :

"Dans les deux cas, la menace était nucléaire. Dans le cas d’espèce, il y a aussi la configuration géographique. Il ne faut pas non plus oublier que lors de la crise des missiles à Cuba, il avait beaucoup plus d’états du côté soviétique. Parce que le monde était vraiment divisé en deux. Il y avait les états du bloc occidental et les états du bloc soviétique, en plus de ce qu’on appelait les non-alignés. Aujourd’hui, quand vous regardez aux Nations unies, quand il y a eu vote, seulement quelques états ont voté avec la Russie. La Russie est dans une situation d’isolement beaucoup plus fort. Elle est plus faible aussi en terme idéologique qu’elle ne l’était dans les années soixante. Donc, c’est un combat d’une autre nature, dans un contexte tout à fait différent."

Russie: déplacement du secrétaire général des Nations-Unies, Antionio Guterres (Moscou, 26/04/2022)

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