Jusqu’où doit aller la transparence des autorités ? Faut-il rendre public des SMS entre ministres ? Des mails de l’administration doivent-ils être archivés et consultables ? Un projet de loi de la ministre de l’intérieur montre que la transparence ne fait pas vraiment partie de la culture politique belge.
Nokiagate
Il suffit de regarder autour de nous pour s’en convaincre. Aux Pays-Bas il y a eu récemment un scandale dit du "Nokiagate" parce que le Premier ministre Mark Rutte avait effacé des SMS de son vieux portable, faute de place a-t-il expliqué. Aux Pays-Bas, tout ce qui concerne la prise de décisions doit être archivé, SMS ou Whatsapp. Chez nous ce souci n’existe pas.
Aux Etats-Unis, Donald Trump et Joe Biden ont été inquiétés parce qu’ils avaient repris chez eux des documents liés à l’exercice de leurs mandats. En Belgique, lors d’un changement de cabinet, les déchiqueteuses fonctionnent souvent à plein régime. Les documents disparaissent quand ce n’est pas le mobilier avec. A la fin d’un gouvernement, un cabinet ressemble aux locaux d’une Kommandantur à la libération.
Exceptions
La ministre Verlinden prévoit d’étendre la transparence des autorités mais prévoit aussi des exceptions. Des exceptions tellement importantes que nombreux sont ceux qui considèrent que ce projet de loi transparence va faire pire que mieux. Le débat et le vote potentiel prévu hier à la chambre ont été reportés et l’on va procéder à des auditions, entre autres la Ligue des droits humains.
Quelle est l’idée de la ministre Verlinden ? D’abord de répondre à des remarques du GRECO (le “Groupe d’États contre la corruption”, organe de lutte contre la corruption du Conseil de l’Europe). Le Greco nous dit qu’on peut faire beaucoup mieux en matière de publicité des autorités publiques tant en matière de publicité active, par exemple la publication obligatoire des membres de cabinets (aujourd’hui c’est facultatif), ou de publicité passive (archivage de documents, mails, échanges par SMS, qui pourraient être accessibles sur demande de journaliste ou de chercheur par exemple).
Un des points, c’est que la Belgique a déjà une loi en matière de transparence des autorités administratives mais qu’elle ne considérait pas les cabinets comme faisant partie de l’autorité. La ministre Verlinden prévoit donc d’étendre la loi sur la publicité à toutes les instances, les cabinets donc, mais aussi les organismes d’intérêt public, les zones de police.
Pas trop loin
La ministre a donc prévu de solides pare-feux pour éviter que cette extension n’aille trop loin. Ainsi une instance pourra refuser une demande concernant une publication qui porte atteinte "au secret des documents administratifs portant sur l’exécution d’une stratégie politique". Donc (presque) tout ce qui concerne le processus de prise de décision, pourra être refusé.
Ainsi, toute demande, par exemple d’un journaliste, concernant des échanges entre cabinets, entre ministres ou entre parlementaires pourra être retoquée. La ministre assure que ce sera l’exception. Mais les associations actives pour la transparence comme Cumuleo ou Transparencia, ou l’association des journalistes, craignent que ce soit l’inverse et que les exceptions deviennent la règle.
Transparence et méfiance
Pourquoi cette peur de la transparence en Belgique ? Il y a peut-être une dimension culturelle entre pays de culture catholique ou protestante. Il y a aussi la particratie à la belge qui implique que des décisions se prennent ailleurs que dans les gouvernements. Des allers et retours qu’aucun parti ne souhaite rendre public de peur de se retrouver déforcé. Enfin la culture de la coalition, des compromis permanents. Beaucoup de décideurs craignent que si toutes les tractations sont rendues publiques cela complique encore la décision. Le compromis aurait besoin de la discrétion pour se réaliser.
Bref, il existe encore l’idée que la transparence pourrait nuir à l’efficacité du politique. C’est un risque à prendre en compte. Mais le risque de l’absence de transparence et la méfiance qu’elle charrie n’est-il pas encore plus grand aujourd’hui ?