La semaine de quatre jours : plus agréable, plus productive et plus écolo ? Après quatre ans, bilan positif en Islande

© Carlina Teteris / Getty Images

Par Paul Verdeau

Travailler moins pour travailler mieux : c'est le pari qu'a tenté l'Islande, pendant deux sessions de deux ans entre 2015 et 2019. Dans plusieurs structures de service public, la semaine de travail est passée de 40 à 35 ou 36 heures, soit quatre jours effectifs au lieu de cinq, sans baisse de salaire. En tout, plus de 2500 travailleurs ont participé à l'expérience, soit près de 1% de la population active d'Islande.

Le but de l'opération : améliorer l'équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, à laquelle les travailleurs accordent parfois trop d'importance. Selon les auteurs de l'étude publiée par la société Autonomy en juin, l'automatisation de nos vies professionnelles et le désir de passer moins de temps assis au bureau ont incité, partout en Europe, à tester un modèle différent. "La pandémie actuelle du Covid-19 n'a fait qu'accélérer ceci : passage rapide au télétravail, augmentation inattendue du temps libre, expliquent-ils. Il est de plus en plus évident que peu de personnes souhaitent revenir aux conditions de travail antérieures à la pandémie."


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Au-delà de la question du bien-être au travail, il fallait également surveiller l'évolution de la productivité des employés. "C'était particulièrement important, puisque le but était de réduire les heures tout en maintenant le salaire existant des travailleurs, note l'étude. De ce fait, les entreprises devaient maintenir un niveau de service équivalent à celui qui existait avant le test."

Ces opérations se sont déroulées dans des services très différents : hôpitaux, crèches, bureaux, etc. Elles incluaient à la fois les personnes qui travaillaient sur une base classique de 8 heures, mais aussi celles qui avaient des horaires plus atypiques (le travail de nuit, par exemple). Elles ont duré du printemps 2014 à l'automne 2019.

Réunions raccourcies, tâches inutiles supprimées

Les résultats ont été à la hauteur des espérances : le bien-être des travailleurs s'est amélioré sur plusieurs indicateurs, comme le stress perçu, le burn-out, la santé et l'équilibre vie personnelle-vie professionnelle. "Beaucoup de travailleurs ont dit qu'après avoir commencé à travailler moins d'heures, ils se sentaient mieux, plus énergiques et moins stressées, ce qui leur laissait de l'énergie pour d'autres activités : voir des amis, pratiquer des hobbies, explique l'étude. Cela a également eu un effet positif sur leur travail." Les relations au travail étaient meilleures, avec plus d'encouragement, moins de confusion sur la répartition des rôles et plus d'indépendance.

Concernant la productivité des travailleurs, il y a également eu de l'amélioration. Beaucoup craignaient qu'avec ce système de réduction des heures, la quantité de travail fourni soit elle aussi réduite, et que cela favorise les heures supplémentaires. Mais selon les conclusions du rapport, c'est l'inverse qui s'est passé : "la réduction des heures de travail a effectivement conduit à une réduction de l'effort de travail, grâce à des nouvelles stratégies." Afin de travailler moins tout en garantissant le même niveau de service, des changements ont été faits dans l'organisation du travail, en repensant la façon dont les tâches étaient remplies : réunions raccourcies, suppression des tâches inutiles et réorganisation des plannings. Travailler moins, mieux travailler.


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Pour les auteurs de l'étude, c'est une véritable victoire. "Cette étude montre que la plus grande expérience de réduction de la semaine de travail dans le secteur public a été un succès retentissant, se félicite Will Stronge, directeur de recherche d'Autonomy, à la BBC. Cela montre que le secteur public est mûr pour devenir pionnier dans la réduction du temps de travail."

L'expérience a d'ailleurs fait des émules dans le pays depuis : le rapport d'Autonomy affirme que plusieurs syndicats et confédérations islandais ont obtenu des réductions permanentes dans les heures de travail pour des dizaines de milliers d'employés dans le pays. Environ 86% de la population active islandaise est déjà passée à la semaine de quatre jours, de manière automatique ou par des négociations internes. "L'expérience islandaise nous dit qu'il est non seulement possible de moins travailler dans les temps modernes, mais également qu'un changement progressif est possible", note Gudmundur Haraldsson, co-directeur de l'étude, à la BBC.

Une empreinte énergétique réduite

Avec la pandémie de Covid-19, plusieurs pays ont envisagé un raccourcissement de la semaine de travail, comme l'Espagne et la Nouvelle-Zélande. L'expérience islandaise pourrait être un déclencheur. D'autant plus que cette réduction (ou réorganisation) du temps de travail pourrait avoir d'autres vertus. Selon un rapport de l'ONG environnementale londonienne Platform, la semaine de quatre jours serait pourrait même réduire l'empreinte écologique des entreprises.

En effet, réduire le temps de travail pourrait agir sur plusieurs facteurs. En passant moins de temps dans des structures très demandeuses d'énergie au bureau, les travailleurs pourraient économiser de l'électricité, et donc réduire leur empreinte énergétique. Selon le rapport de Platform, une expérience américaine en 2008-2009 a montré qu'en éliminant le vendredi travaillé, "d'énormes économies d'énergie pouvaient être faites en réduisant l'utilisation des lampes, de l'ascenseur ou encore du chauffage/air conditionné dans les locaux."

Le transport pourrait aussi jouer un rôle : moins de jours au bureau, donc moins de kilomètres parcourus en voiture. Selon l'étude, 51% des employés britanniques affirment qu'ils prendraient moins la voiture s'ils ne travaillaient que quatre jours par semaine, réduisant de 16 à 30 km leurs trajets hebdomadaires. Sans compter l'impact des bouchons : "moins de temps passé dans la circulation n'aura pas seulement un avantage environnemental grâce à l'économie de carburant : ce sera aussi meilleur pour la santé mentale et physique", plaide l'ONG.

Enfin, l'ajout d'un jour de congé supplémentaire pourrait améliorer l'empreinte écologique des foyers, à en croire Platform. Si les travailleurs disposaient de plus de temps pour leurs loisirs et leur famille, ils pourraient faire à manger (plus écologique que de se faire livrer des repas déjà prêts) ou se promener à pied ou en vélo, plutôt que de s'y rendre en voiture par manque de temps. "Des études sur les dépenses des foyers français ont montré que ceux qui travaillaient plus d'heures ont des habitudes de consommation qui font plus de dégâts sur l'environnement", conclut Platform.

En Belgique, la question est régulièrement évoquée par les syndicats de travailleurs. Une mesure temporaire est d'ailleurs déjà d'application depuis juillet 2020 : les entreprises en difficulté peuvent faire une réduction du temps de travail, avec compensation salariale partielle, pour un an maximum. Mais de là à appliquer cette mesure de manière permanente... Les patrons ont déjà donné leur opinion : c'est "irréaliste et impayable", avaient-ils lancé à la FGTB en 2018.

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