L'Histoire continue

La sécheresse de 1976 hante toujours les paysans belges

Avec un printemps et un été très secs en 2022, la comparaison avec l’année 1976 n’a pas traîné. L’occasion pour "l’Histoire continue" de revenir sur cette année historique sur en matière de météo. Après un hiver trop sec, il ne pleut quasiment pas au printemps. Fin juin commence la plus longue canicule jamais enregistrée par l’IRM : 16 jours où la température n’est pas descendue en dessous de 30 degrés. 

Cette année de records a marqué les esprits. Des restrictions d’eau courante sont imposées car les nappes phréatiques sont trop basses. Mais ce sont surtout les agriculteurs qui trinquent. En particulier les éleveurs du sud du pays. Le bétail n’a plus assez d’herbe à manger, les vaches donnent moins de lait. Dans le monde rural, l’année 1976 reste l’année de référence à laquelle on compare toutes les autres. Il faut s’y replonger.

 

► Cet article de mai 2022 a été mis à jour dans le cadre de la rediffusion de L'Histoire continue sur La Première

Un hiver et un printemps trop secs

La sécheresse de 1976 a commencé par un hiver très sec et froid. En profondeur, les nappes phréatiques ne se remplissent pas comme d’habitude. En surface, la couche arable manque d’humidité. Le déficit de pluie se marque encore plus au printemps. Fin avril des incendies sont déclarés dans les Fagnes. Au mois de mai on évoque déjà la sécheresse. La télévision se rend dans les prés à la rencontre des fermiers.

Un fermier montre au journaliste André Urbain la taille qu’aurait dû avoir son blé.
Un fermier montre au journaliste André Urbain la taille qu’aurait dû avoir son blé. © RTBF

Au mois de mai, il fait trop sec, mais on est encore optimiste. "Une bonne drache dans la semaine et ça ira ?", demande le journaliste Jean-Claude Defossé à un ingénieur agronome. "Quelques bonnes draches", répond le professeur. Mais la pluie ne viendra pas, ou pas assez. Ni en mai, ni en juin.

Et les agriculteurs ne sont pas les seuls à souffrir. Dans certains coins de la province de Liège, il n’y a plus d’eau courante, les nappes phréatiques se vident trop vite, on boit de l’eau en bouteille et les enfants, tout heureux, se lavent dans la rivière. Les parents eux, n’en peuvent plus. Les nappes se vident.

Pour la première fois, le gouvernement doit prendre des mesures de restrictions. A cette époque, une bonne partie des Belges ne disposent pas encore de compteur d’eau. L’eau de distribution, abondante et peu chère, devient tout d’un coup un bien rare.

Dans la région de LIège, une famille est contrainte de se laver dans la rivière suite aux coupures d’eau courante.
Dans la région de LIège, une famille est contrainte de se laver dans la rivière suite aux coupures d’eau courante. © RTBF

En juin, le pire est à venir

Il va pleuvoir un peu début juin. De quoi redonner le sourire à tous les paysans belges. Un peu d’eau, mais trop peu, le pire est à venir. À partir du 22 juin commence la plus longue canicule jamais connue de mémoire d’homme et de mémoire de météorologue.

Les températures dépassent les 30 degrés durant 16 jours consécutifs. A Uccle, l’IRM calcule qu’une telle canicule n’a de chance de se produire qu’une fois tous les 400 ans. Les moissons ont lieu un mois à l’avance, les rendements sont mauvais.

A Coutisse, sur les hauteurs d’Andenne, on moissonne le Froment le 12 juillet. Un mois en avance.
A Coutisse, sur les hauteurs d’Andenne, on moissonne le Froment le 12 juillet. Un mois en avance. © RTBF

Mais c’est surtout pour les éleveurs que la situation s’aggrave encore. Le manque d’herbe et d’eau fait plonger les rendements et pousse les éleveurs à envoyer leur bétail à l’abattoir. Le Roi Baudouin se rend en Famenne, pour constater les dégâts. Un hélicoptère de l’armée le pose sur une prairie jaunie, le Roi en descend en costume noir, une cinquantaine d’habitants applaudissent.

Le Roi débarque en Famenne pour constater les dégâts le 14 juillet 1976
Le Roi débarque en Famenne pour constater les dégâts le 14 juillet 1976 © RTBF

Intervention du gouvernement

Le gouvernement Tindemans prend des mesures pour les agriculteurs : aides fiscales, prêts à taux réduits, intervention du fond des calamités. L’armée est mise à contribution pour le transport de la paille.

Un camion de l’armée vient livrer de la paille à un fermier du sud Luxembourg.
Un camion de l’armée vient livrer de la paille à un fermier du sud Luxembourg. © RTBF
Houtain-l’Évêque : pour cause de sécheresse, une ferme propose de venir récolter les haricots sur place et de bénéficier ainsi d’un meilleur prix d’achat.
Houtain-l’Évêque : pour cause de sécheresse, une ferme propose de venir récolter les haricots sur place et de bénéficier ainsi d’un meilleur prix d’achat. © RTBF

"1976, j’en ai entendu parler dans toute ma carrière"

Il faut attendre l’automne pour que la situation revienne à la normale. La sécheresse a marqué toute une génération, en particulier dans le monde rural. Hugues Falys, est porte-parole de la FUGEA (Fédération Unie de Groupements d’Eleveurs et d’Agriculteurs), le syndicat agricole qui soutient des politiques agricoles défendant l’autonomie paysanne et une agriculture durable. Il est aussi agriculteur dans le Hainaut.

"1976, j’en ai entendu parler dans toute ma carrière. Ça reste toujours dans notre tête : comment faire quand ça reviendra ? Des sécheresses on en a vu régulièrement : 1993, 1994, 1995, 2018, 2019. En 2020, on n’a pas été très loin de 1976. La sécheresse est un stress qui est toujours présent dans une exploitation."

Les fragilités de l’agriculture à l’époque

En 1976 la sécheresse interroge déjà le modèle agricole marqué par une forte industrialisation. Dans une émission de Gérard Vallet, un spécialiste pointe par exemple la monoculture et l’utilisation massive d’intrants chimique qui appauvrissent l’humus des sols.

46 ans plus tard, Hugues Falys confirme le problème : "L’humus c’est la matière organique qui se lie à l’argile. Il a une capacité importante de retenue d’eau. L’agriculture intensive, le labour, les engrais phosphatés ont fait diminuer le taux d’humus et boosté la minéralisation. Cela rend les sols plus sensibles à la sécheresse et à l’érosion. Il faut reconnaître que les choses s’améliorent depuis une vingtaine d’années. C’est l’agriculture de conservation des sols. Mais elle n’est pas encore généralisée".

Dans le podcast "l’Histoire continue", nous approfondissons la question de l’adaptation du modèle agricole aux sécheresses qui sont plus fréquentes et plus intenses à cause des dérèglements climatiques.

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