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La Russie et Vladimir Poutine pourraient-ils être traduits devant la justice internationale ?

Simferopol, en Crimée. Sur le panneau montrant Vladimir Poutine: "La force réelle est dans la justice et la vérité, qui sont de notre côté. Je crois en la force que notre Patrie nous donne"

© AFP or licensors

La Russie a refusé de comparaître lundi lors de l’ouverture des audiences devant la Cour internationale de justice (CIJ) ce lundi. La procédure avait été initiée par l’Ukraine. Ce pays demande au plus haut tribunal de l’ONU des mesures urgentes ordonnant à la Russie d’arrêter son invasion en Ukraine, avant de se prononcer sur le fond de l’affaire, ce qui pourrait prendre des années.

La délégation ukrainienne s’est retrouvée devant des bancs vides au moment de plaider sa cause au nom d’une population victime selon elle d’attaques mortelles, contrainte de se mettre à l’abri à cause du danger incessant. La CIJ a déploré "la non-comparution de la Fédération de Russie lors de cette procédure orale", a déclaré Joan Donoghue, juge présidente. "Le fait que les sièges que la Russie devait occuper sont vides en dit long", a lancé Anton Korynevich, représentant de l’Ukraine. "Ils ne sont pas ici devant cette Cour, ils sont sur les champs de bataille, menant une guerre agressive contre mon pays", a ajouté Anton Korynevich. "C’est ainsi que la Russie règle ses différends".

Kiev a déposé le 26 février une requête devant la CIJ, qui siège à La Haye, aux Pays-Bas, quelques jours après le début de l’offensive russe en Ukraine. "La Russie doit être arrêtée, et la Cour a un rôle à jouer pour arrêter cela", a déclaré le représentant ukrainien.
 

La Russie pourrait-elle être condamnée par la CIJ ?

L’action demandée par l’Ukraine se base sur des déclarations de Vladimir Poutine. Lors de son allocution annonçant l’intervention armée en Ukraine, le président russe avait affirmé vouloir défendre les populations russophones d’un génocide de la part du régime de Kiev. Un "mensonge absurde" et "grotesque", selon l’Ukraine, qui nie qu’un tel génocide ait eu lieu. Et estime que l’invasion russe est "dépourvue de tout fondement juridique". C’est sur ce point que l’Ukraine demande à la cour de statuer.

Cette action introduite par l’Ukraine "se base sur la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide (qui date de 1948 et dont la Russie et l’Ukraone sont parties, ndlr), explique François Dubuisson, professeur en Droit international à l’ULB. La Russie, entre autres motifs, a basé son opération militaire sur la prétendue commission d’un génocide par les autorités ukrainiennes contre des minorités russes dans le Donbass ; et ce que l’Ukraine veut faire, c’est se fonder sur cette convention pour obtenir de la Cour internationale de justice un jugement qui dise que, en réalité, ce motif est totalement inexistant et donc que la Russie ne peut pas prétendre agir militairement sur le territoire de l’Ukraine en se basant sur la prétendue commission d’un génocide."

Aujourd’hui, l’Ukraine espère que les audiences de la Cour internationale de Justice (CIJ) mèneront à des mesures conservatoires, avant qu’un jugement sur le fond, qui pourrait prendre des années, intervienne. La Cour énoncerait dans ce cas un certain nombre de mesures que la Russie devrait prendre, "et donc en particulier évidemment, ce que demande l’Ukraine, c’est que la Russie soit intimée de suspendre toutes ses actions militaires."

La guerre pourrait donc être stoppée ? C’est plus compliqué que cela

La CIJ a été créée en 1946 pour régler les disputes entre les Etats. Ses jugements sont contraignants et sans appel, mais la cour n’a aucun moyen de les faire respecter. La Cour "va pouvoir dire que par exemple qu’elle a bien compétence, et qu’il n'y a pas d’éléments qui permettent de dire qu’il y a génocide, sans se prononcer définitivement. Et dans l’attente d’une décision, elle pourra dire que la Russie doit suspendre ses opérations puisque ces opérations risquent de causer, et causent déjà, un préjudice irréparable à l’Ukraine et à sa population civile en particulier. Après, ça ne veut pas dire que la Russie va s’y conformer pour autant […] Dans ce cas-là, il y a peu d’outils de le droit international pour faire appliquer effectivement la résolution, puisqu’en cas de de non-respect d’une décision de la Cour, c’est le Conseil de sécurité qui est compétent. Évidemment, le Conseil de sécurité ici sera de toute manière bloqué", précise Francois Dubuisson.

On le voit, ici, le but est plus diplomatique et symbolique pour l’Ukraine, puisqu’il sera probablement impossible de prendre des mesures obligeant la Russie a se conformer à une ordonnance de la CIJ.

Le président russe devant la justice internationale ? Pas sûr…

Si la CIJ vise dans ces ordonnances des Etats, la Cour pénale internationale (CPI), elle, détermine la responsabilité pénale de personnes physiques dans la commission de faits de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.

Une enquête est d’ailleurs déjà ouverte à la CPI, suite à une déclaration de l’Ukraine en 2014, dans le cadre déjà à cette époque de l’intervention russe dans le Donbass, avec l’envoi supposé de mercenaires, voire de troupes dans cette région. "Dans ce contexte-là, il y a un certain nombre de crimes internationaux qui ont pu être commis, en particulier des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité. Après un examen relativement long, le bureau du procureur s’était déclaré compétent et avait ouvert une enquête (...) pour pouvoir identifier très précisément une série de crimes et pouvoir les imputer à des individus que ces individus soient de nationalité ukrainienne ou de nationalité russe", explique François Dubuisson.

C’est sur base de cette déclaration de l’Ukraine qui rend la CPI compétente pour examiner les faits de 2014, que le bureau du procureur a pu étendre ses investigations aux faits actuels, à savoir l’invasion russe. L’ouverture d’une enquête suivra logiquement, "une telle enquête doit être confirmée par une chambre préliminaire de la Cour. Et puis on pourra dès lors investiguer sur tous les faits de guerre commis qui peuvent consister en des crimes de guerre, chaque fois qu’un bâtiment civil est pris pour cible, ou des populations civiles ; voire un crime contre l’humanité si on considère que l’ensemble doit se concevoir comme étant une attaque généralisée et systématique contre la population civile ukrainienne."

Notons que ni l’Ukraine ni la Russie ne reconnaissent la compétence de la CPI. Si l’Ukraine, pas sa déclaration de 2014, la reconnait pour se pencher sur les faits de 2014 et par extension de 2022, rien n’obligerait la Russie de livrer des responsables russes qui pourraient être mis en cause par la CPI : "Ça veut dire que tant que ces responsables restent en Russie, on ne pourra rien faire pour les amener devant la Cour. Il n’y a pas non plus de mécanisme de jugement par contumace (en l’absence de l’accusé, ndlr). Et donc s’il n’y a pas un changement radical de régime en Russie avec une volonté par exemple de nouveaux dirigeants, de les attraire devant la justice internationale, probablement que ce sera très compliqué de les juger."

Néanmoins, ajoute François Dubuisson, une mise en cause du président russe, par exemple, pourrait probablement entraver sa possibilité de se mouvoir sur le plan international parce qu’il pourrait être arrêté dans d’autres États qui, eux, sont des États parties à la Cour pénale internationale.

D’autres actions juridiques sont-elles possibles ?

Oui, répond François Dubuisson, il y a la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), "puisque là, tant la Russie que l’Ukraine sont membres du Conseil de l’Europe, et sont dès lors également liés par là juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme." L’Ukraine a d’ailleurs déjà introduit une action devant la CEDH. "Là, la Russie ne peut pas échapper à la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme, donc on pourrait avoir là aussi la Cour européenne des droits de l’homme adopter des mesures conservatoires, dans l’attente de traiter au fond, et peut déjà intimer à la Russie un certain nombre de mesures." Mais dans ce cas également, il est probable que la Russie ne s’y conforme pas.

Reste les possibilités pour les juridictions des Etats d’utiliser leur droit de compétence universelle. "C’est possible, mais il y a un obstacle, celui de l’immunité". Les hauts dirigeants russes, pourraient donc invoquer leur immunité, même en cas de crimes internationaux, pour échapper aux juridictions pénales nationales, ce qui ne peut pas être invoqué devant les juridictions internationales.

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