Déclic

La Russie déploie-t-elle des blindés gonflables en Ukraine ?

Les chars livrés à l’Ukraine sont au cœur de l’actualité depuis plusieurs jours. Côté russe, on prétend disposer d’un arsenal militaire performant, mais la probable utilisation de chars gonflables repérés fin janvier par l’armée ukrainienne pose question.

Les autorités ukrainiennes ont annoncé qu’elles allaient recevoir entre 120 et 140 chars lourds occidentaux, quelques jours après les différents feux verts donnés par plusieurs Etats.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky presse les Occidentaux de livrer ces chars le plus rapidement possible, pour faire face à une éventuelle offensive russe, en février ou au printemps.

Côté russe, on annonce l’envoi dans le Donbass de robots antichars au mois en févier. Et puis, c’est plus anecdotique, mais une question se pose sur l’utilisation de leurres par l’armée russe pour faire croire qu’elle est plus équipée qu’elle ne l’est vraiment. L’armée ukrainienne aurait peut-être repéré des chars gonflables sur son territoire.

L’art de la maskirovka

Le 26 janvier, un compte officiel lié à l’armée ukrainienne publie des clichés intrigants pris depuis le ciel.

On distingue des ombres vertes sur le sol : des sortes de bâches déchiquetées. La traduction automatique du post est ironique et dit ceci : "Alors que nos alliés acceptent de fournir des chars à l’Ukraine, l’armée d’occupation augmente également la présence de ses unités de blindés dans la région de Zaporijia […] Mais il semble que l’air de la région ne soit pas adapté aux produits en caoutchouc des occupants, qui se sont dégonflés sans remplir la mission qui leur avait été confiée. À l’image du courage de l’armée russe".

Il s’agit donc d’un post où l’armée ukrainienne se moque de la présence de chars gonflables déployés par l’armée russe. Peut-on néanmoins attester l’authenticité de cette diversion stratégique moquée par les Ukrainiens ?

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Une seule chose est sûre : l’armée russe possède des blindés gonflables. Elle en a acheté, notamment, en 2010, à l’entreprise Rusbal qui produit des montgolfières. Cette entreprise fabrique ou fabriquait aussi des tanks, des avions chasseurs, des rampes de missiles – gonflables en 5 minutes – pour l’armée russe. Des leurres qui reproduisent la température, la chaleur des vrais chars et des vrais avions. On retrouve des traces de reportages de différents médias russes et internationaux chez Rusbal.

A l’époque, c’était perçu comme une information insolite, concernant une armée qui était à la peine et sous équipée.

Cette idée du leurre gonflable entre dans le cadre de ce qu’on appelle la 'maskirovka' écrivait la presse de l’époque. Elle pourrait se traduire par 'tromperie stratégique dans le but d’altérer la perception de la réalité de son ennemi'. C’est une technique enseignée à partir du début du XXe siècle dans les écoles militaires russes, qui va du motif camouflage sur l’uniforme des soldats aux opérations de désinformation. Cette idée de tromperie pour altérer la perception de la réalité correspond aussi bien à l’utilisation de chars gonflables que des fake news, les fermes à troll russes… lancées d’ailleurs elles aussi au début des années 2010.

En 2010, l’art de la tromperie aurait été le seul moyen à disposition de l’armée russe car leur matériel militaire est à bout de souffle. Néanmoins, fin février 2010 un vaste plan de modernisation de l’armée russe de près de 500 milliards d’euros est annoncé.
Il prévoit d’équiper ses forces de huit sous-marins nucléaires et de centaines d’avions de combat pour 2020. En fait, il y a 20 ans, quand Poutine est arrivé au pouvoir, l’armée russe était sur les genoux. Aujourd’hui, elle se serait redressée et modernisée.

Image d’illustration : des chars gonflables exposés à Kiev, le 16 décembre 2021.
Image d’illustration : des chars gonflables exposés à Kiev, le 16 décembre 2021. © Stringer/Anadolu Agency via Getty Images

Une technique qui démontre le manque de modernité de l’armée russe ?

Inévitablement quand on entend chars gonflables, on pense à la Seconde Guerre mondiale et à l’opération Fortitude. En 1944, les Allemands s’attendaient à voir les alliés débarquer par le Nord-Pas-de-Calais. Les Alliés, et surtout l’armée britannique, ont appuyé sur cette idée en faisant croire qu’elle allait effectivement débarquer par cette région-là. Ceci fut réalisé via de la désinformation, matérialisée par des manœuvres qui brouillent les pistes (comme les bombardements), des chars en caoutchouc et des avions en toile… pris en photos par les avions allemands.

Les chars gonflables ne sont donc pas neufs. C’est une technique de guerre du XXe siècle. Or, dans les premiers jours de la guerre, il y avait notamment cette question de la cyberguerre, des capacités de désinformation… d’un conflit d’un nouveau genre. Plus on avance, plus on voit que l’armée russe n’a peut-être pas les capacités qu’on lui prêtait. Et se repose alors la question de la 'maskirovka', de la tromperie et de la perception.

Toute cette mécanique reste compliquée à décrypter, parce qu’en temps de guerre, les écrans de fumée sont partout… les biais dans la perception aussi.

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