C’est également ce contexte que souhaite rappeler Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des femmes. "Depuis des années, les gouvernements, y compris ceux composés de partis de gauche, exercent un travail de sape sur les périodes assimilées, qui sont pourtant utiles aux femmes qui exercent le travail gratuit du soin. Ce sont des périodes durant lesquelles tu ne travailles pas, ne cotises pas, mais qui restent comptabilisées pour le calcul de la pension. C’est ça la sécurité sociale, c’est comme une tontine mais d’État, on verse tous et toutes (une majorité d’entre nous) dans le pot commun pour que celles et ceux qui en ont besoin puissent en bénéficier, observe-t-elle. Les associations féministes demandent depuis 40 ans que les périodes assimilées restent généreuses et que les mesures familialistes soient supprimées. C’est le contraire qui se produit."
Certaines mesures ont des effets en fonction du contrat de travail des femmes ; d’autres, qualifiées de familialistes, sont liées à la situation familiale des travailleuses. "Du simple fait de leur situation familiale, les femmes qui ne travaillent pas obtiennent des 'droits dérivés' du mariage ou de la cohabitation légale présents ou passés. A contrario, pour les travailleuses, le fait d’être mariée ou cohabitante peut leur faire perdre des droits 'directs'", peut-on lire dans l’introduction du livre Un bon mari ou un bon salaire de la penseuse féministe belge Hedwige Peemans-Poullet.
Au sein du système des pensions, une de ces mesures qualifiées de familialiste est par exemple l’allocation de transition pour veuves (les femmes vivent plus longtemps, cette mesure concerne plus de femmes). Une des propositions sur la table de la réforme des pensions est l’extension de l’allocation de transition pour veuve, jusqu’ici réservée aux épouses, aux cohabitantes légales.
"Ce n’est pas ce qu’on demande, il y a un côté paternaliste, comment vont faire ces pauvres veuves sans hommes ? Au lieu de valoriser l’autonomie des femmes…", réagit Valérie Lootvoet. Soizic Dubot nuance : "Telle que l’allocation est organisée, elle ne remplit pas toutes ses fonctions, notamment envers les plus jeunes veuves. Les retours que nous recevons des femmes sur le terrain nous indiquent que la perte de son compagnon ou de son mari est un bouleversement total et qu’il faut du temps pour s’y adapter."
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Cette proposition a été renvoyée vers les partenaires sociaux, tout comme la mise en place du "splitting" : un mécanisme de solidarité entre époux·ses ou cohabitant·es dans la cotisation versée pour la pension durant les années vécues ensemble. Dans la théorie, si une femme met sa carrière entre parenthèses durant son mariage puis se sépare de son conjoint, elle ne sera pas trop pénalisée une fois arrivée à l’âge de la retraite. "Cela existe déjà au Luxembourg. Dans les faits, les femmes, qui prennent plus des pauses pour s’occuper des autres, sont presque obligées d’être en couple ou d’être mariées pour recevoir une pension. Cela ne va pas dans le sens d’une individualisation des droits, qui permettrait aux femmes de recevoir une pension par elles-mêmes, pour elles-mêmes, peu importe leur situation familiale", analyse Valérie Lootvoet.
"On parlait déjà du splitting en 2016, rappelle Dominique De Vos, présidente de la commission sécurité sociale et santé du Conseil fédéral de l’Égalité des Chances entre femmes et hommes. Au sein des associations et institutions féministes, les pensions sont une vieille histoire (rires). Pourtant, c’est débattu au gouvernement comme si ce n’était pas le cas, comme si rien n’existait à ce sujet. Il y a pourtant des avis rendus, des livres écrits."
A propos de la pension, elle explique : "J’attends de lire les textes de la réforme, mais pour l’instant, en termes de lutte contre la pauvreté, j’ai bien l’impression qu’il s’agit d’un plâtre sur une jambe de bois. Cela n’améliore pas l’individualisation des droits. Le taux de remplacement, c’est-à-dire le pourcentage de son ancien revenu que l’on perçoit une fois arrivé à la retraite, n’a pas non plus été revalorisé alors que les pensions sont basses dans notre pays." En Belgique, les pensions sont en dessous de la moyenne européenne : le taux de remplacement est de 66% en Belgique alors que la moyenne européenne est à 71%.