Icône représentant un article video.

Belgique

La police judiciaire fédérale "sous pression", une corruption de plus en plus "complexe", le constat du directeur général Eric Snoeck

L'invité de Matin Première : Eric SNOECK

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Temps de lecture
Par Théa Jacquet sur la base d'une interview de Sébastien Georis

L’enquête retentissante sur la corruption au Parlement européen et la lutte contre le trafic de drogues placent la Belgique sous le feu des projecteurs. Pourtant, la police fédérale manque de bras, certains bâtiments tombent en lambeaux, et les dossiers s’accumulent faute de moyens pour les traiter. Un contexte qui peut laisser penser que la Belgique est à la traîne dans la lutte contre la corruption.

Et le GRECO (Groupe d’États contre la corruption) de régulièrement épingler l’État belge pour non-respect de ses recommandations. Cet organisme "constate surtout que la Belgique est dans le peloton des pays européens", avance, quant à lui, Eric Snoeck, directeur général de la police judiciaire fédérale. "Je peux vous dire qu’on prend ses recommandations très au sérieux."

Autre son de cloche du côté du juge d’instruction Michel Claise, en charge du dossier de corruption au Parlement européen, qui répète depuis quelques années que la Belgique ne prend pas la corruption au sérieux. "Je pense qu’il lance à juste titre un signal d’alarme sur l’importance de la corruption et surtout sur les ravages que peut faire la corruption dans un État qui ne se structurerait pas", relève Eric Snoeck, au micro de Sébastien Georis sur La Première.

Et d’affirmer : "au niveau de la police judiciaire, en particulier depuis trois ans et demi, on a pris le problème à bras-le-corps. Les enquêtes sont menées principalement au sein de l’office central pour la répression de la corruption (OCRC), […] dans lequel nous avons réinvesti un certain nombre de capacités. Nous avons quasiment doublé les effectifs."

Des policiers sous pression et courtisés par les criminels

Combien de policiers travaillent à lutter contre la corruption justement ? Une cinquantaine, "complétée par des enquêteurs des directions déconcentrées de la police judiciaire, qui elle aussi traite ponctuellement des dossiers de corruption", note Eric Snoeck.

Outre la lutte contre la corruption, l’OCRC est également chargé de lutter contre les fraudes des marchés publics et des subsides. Le dossier Nethys en passe d’être bouclé, c’est l’OCRC; les perquisitions au Parlement wallon à Namur il y a deux semaines, c’est entre autres l’OCRC. Une cinquantaine d’enquêteurs, est-ce suffisant ?

"On a réinvesti, mais je peux témoigner du fait que ces collègues travaillent sous une pression en effet très importante. D’une part, le nombre de dossiers liés à la corruption a augmenté, notamment en raison de l’émergence de la criminalité organisée. Je ne sais pas s’il y a plus de corruption, mais elle a été rendue plus visible", reconnaît Eric Snoeck.

"D’autre part, la corruption est aussi de plus en plus complexe. Le temps où on remettait une enveloppe sous la table à un fonctionnaire, je ne dis pas que ça n’existe plus, mais on est aussi en face d’un certain nombre de flux financiers complexes, internationaux. Donc oui, on a réinvesti et en effet, je pense qu’on va devoir revoir assez vite notre dispositif à ce niveau-là parce que les enquêteurs sont confrontés parfois avec les magistrats à des choix qui sont parfois cornéliens", poursuit-il.

Une police débordée ?

Depuis l’infiltration par la police judiciaire fédérale d’une messagerie utilisée par des criminels de la drogue, plus de 3000 suspects ont pu être identifiés et 1500 personnes arrêtées, relève l’invité de Matin Première.

Pourtant, force est de constater que la situation se dégrade. Le volume de cocaïne qui arrive entre autres via le port d’Anvers ne diminue pas, la violence de plus en plus visible et les explosifs utilisés par les criminels pour intimider toujours plus puissants. Une situation rendue possible en raison d’une police débordée ? "Débordée, probablement pas, sous pression, certainement, et déterminée à faire les bons choix et les bonnes priorités pour continuer la lutte judiciaire contre ces phénomènes, sans aucun doute", rétorque son directeur général.

"Je pense que le travail judiciaire est un travail tout à fait indispensable et nécessaire, mais qui n’est sans doute pas suffisant. Il y a une conscience de plus en plus collective au niveau des entités fédérales, mais aussi locales. […] C’est important de continuer à arrêter des gens, à saisir des biens, mais c’est important aussi de mettre en place des modèles barrières, de s’inquiéter de la sécurisation du port d’Anvers, de mettre en place des mesures à prendre parfois par l’autorité administrative. C’est un travail de longue haleine, un travail de moyen terme qui fera en sorte que la Belgique restera résiliente par rapport à ce problème important", développe-t-il.

Les dossiers de corruption représentent des enjeux financiers et parfois politiques énormes. Les enquêteurs sont-ils parfois soumis à des pressions ? "Sans aucun doute", concède Eric Snoeck.

"Ce sont rarement des menaces directes, mais parfois des contre-stratégies où on n'hésite pas à exposer le nom d’un enquêteur en le présentant au grand public comme étant quelqu’un qui ne travaille pas correctement. Ou on met parfois sur le dos des enquêteurs des fuites ou en tout cas le non-respect du secret de l’instruction de l’information. Ce sont des stratégies qui forcément à un moment sont susceptibles de déstabiliser l’enquête."

Comment alors lutter contre la corruption de la police ? "Que ce soit la police fédérale ou dans tous les corps de police locaux, l’intégrité est devenu vraiment un thème majeur où on développe une série de mécanismes qui font en sorte que la police soit consciente du type d’approches dont ils pourraient faire l’objet. Ça, c’est l’aspect préventif. Pour l’aspect répressif, en cas de corruption avérée, on est dans une tolérance zéro", précise le directeur général.

Et la menace terroriste dans tout ça ?

À côté de ces faits criminels, y a-t-il encore de la place pour la lutte antiterrorisme ? "On a une menace qui demeure présente, avec des attentats qui sont encore régulièrement, ou en tout cas ponctuellement, évités par nos services ou par les services de renseignement en Belgique. Et on continue à travailler sur une série d’informations", souligne Eric Snoeck.

Et de conclure : "L’enjeu est de garantir une capacité minimale dans ce domaine. La menace terroriste ne se mesure pas au nombre d’attentats perpétrés. Au contraire. Il faut garder une vigilance et c’est ce qu’on tente de faire."

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous