Pour cette première nationale, après une programmation en juillet au Festival off d’Avignon au Théâtre belge Episcène, c’est un coup de maître : la pièce de théâtre " Zinc " présentée en primeur au Centre Culturel de Welkenraedt à la mi-septembre, a confirmé tout le bien que l’on pensait déjà sur le texte écrit par le Brugeois David Van Reybrouck (auteur notamment du best-seller "Congo" et de "Para", programmé au Festival de Spa en août dernier).
Cette création du Dynamo Théâtre avec le Hervien Patrick Donnay, sociétaire du Théâtre National, dans le rôle principal, et adaptée pour la scène par Michel Bellier, qui donne la réplique à Patrick Donnay, a polarisé sans relâche un public scotché aux propos des acteurs mais aussi à la trame historique, guère " sexy " a priori. L’histoire du territoire de Moresnet Neutre, qui a existé pendant un siècle ballotté entre Prusse, Pays-Bas et Belgique, semblait peu propice au théâtre. David Van Reybrouck a cependant relevé le défi en décrivant avec justesse l’étonnant statut du petit territoire de 3,4 kilomètres carrés, en y ajoutant bon nombre de faits ignorés du grand public. Qui savait que Moresnet Neutre était l’un des rares endroits à accueillir les femmes tombées enceintes illicitement ? C’est du reste le point de départ d’une pièce racontant l’arrivée à Moresnet Neutre d’une jeune femme désorientée par son acte, dans un lieu inconnu mais accueillant. C’est aussi le destin de son fils Emil Rixen, installé avec sa mère dans le territoire, qui changera cinq fois de nationalité sans jamais traverser de frontière : ce sont les frontières " qui l’ont traversé ".
Le territoire avait acquis sa neutralité grâce à un accord négocié entre la Prusse et les Pays-Bas en 1816 après la défaite de Napoléon à Waterloo. Une neutralité de Moresnet, incluant l’actuelle localité de La Calamine, que contrôleront les deux pays en raison de la présence dans son sous-sol d’un important gisement de smithsonite, un minéral constitué de carbonate de zinc, traité par la société Vieille Montagne. Cette particularité géologique a rendu le territoire célèbre par la présence de zinc dans de nombreux pays dont la France et singulièrement Paris où l’architecte Haussmann décida de couvrir les toits avec du zinc.
L'histoire belge racontée avec humour
La pièce est non seulement un chef-d’œuvre de mise en scène, signée Joëlle Cattino,mais apporte aussi une formidable documentation sur un pan de l’histoire belge méconnu. Patrick Donnay la raconte dans un rôle parfois inévitablement doctoral, mais également sur le ton de l’humour. L’idée de provoquer un dialogue entre le maître et son assistant dynamise le texte, avec une musique de fond répétitive et anachronique… jouée en live à la guitare électrique par Paolo Cafiero, lequel ne manque pas d’apporter sa touche d’acteur brusquement vexé et faisant mine de quitter le plateau pour y revenir illico. Les soubresauts historiques du territoire neutre sont ainsi distillés pour permettre au spectateur de s’amuser tout en apprenant.
" Zinc " devient ainsi un carrefour entre la fidélité d’une histoire surprenante, un jeu scénique dynamique et une formidable adaptation du texte original.
A Welkenraedt, distants de quelques kilomètres de La Calamine, plusieurs descendants d’Emil Rixen étaient dans la salle ; on ne vous dit pas leur émotion en la quittant. " Zinc " s’apprête à tourner, juste récompense ; la pièce sera en tous les cas programmée lors du Festival " Paroles d’Hommes " en février prochain.