L’Agenda Ciné : Ce film semble intimement lié à votre passé d’éducateur
Frédéric Baillif : Il est vrai qu’en devenant réalisateur, j’ai arrêté de travailler pour des institutions comme éducateur. Malgré tout, j’ai gardé un pied dans le milieu du travail social. J’y ai beaucoup de contacts, de relations, et aussi de l’intérêt !
Et j’ai toujours fait des films à caractère social, en tout cas pour ce qui concerne mes documentaires. Avec cette fiction, j’ai eu cette envie de parler de la question des abus sexuels, mais de manière indirecte. Et ce milieu que je connais bien pouvait être une bonne source pour raconter ce genre d’histoire.
Effectivement la question du sexe revient à plusieurs moments dans votre film et pour différentes raisons. Est-ce que du temps où vous étiez éducateur, cette question était saillante ?
Elle était présente, mais on n’en parlait pas beaucoup. C’était en fait assez tabou. J’ai la chance d’avoir ce passé d’éducateur, de pouvoir vraiment regarder le milieu de l’intérieur, parce que je le connais, j’y ai travaillé, j’y ai vécu. Mais comme pour faire un documentaire, je me suis aussi beaucoup appuyé sur des recherches.
Soit on parle de ce que l’on connaît, soit on fait des recherches approfondies. Moi j’ai eu la chance de faire les deux. Particulièrement en retrouvant Claudia Grob - elle joue le personnage de Lora dans le film - qui a réellement été directrice de foyer pendant 20 ans et qui a été ma patronne, puisqu’il y a 25 ans j’ai travaillé dans ce foyer-là.
Son témoignage sur ce qu’elle a vécu, particulièrement autour de ces questions-là – la sexualité des mineurs en institution – a eu un gros impact sur l’histoire que je voulais raconter. Elle m’a parlé de ces difficultés à aborder ces questions, des pressions qu’elle a souvent subies … comme on le voit dans le film.
Votre film se présente comme un documentaire, pour découvrir que nous sommes dans une fiction. Pourquoi ce choix ?
Déjà parce que je viens du documentaire. Et puis j’aime beaucoup le cinéma du réel. En tant que spectateur j’aime y croire. Je me suis inspiré évidemment du travail de beaucoup de gens. Entre les murs de Laurent Cantet, L’esquive d’Abdellatif Kechiche… sont pour moi de grandes références en la matière.
Comme c’est mon troisième long-métrage de fiction, j’ai développé une méthode de travail, pour faire jouer des non professionnels, pour les diriger, pour les amener à ne pas jouer !
Votre film s’intéresse aussi aux difficultés que rencontrent les éducateurs et la directrice, aux prises avec différentes injonctions, notamment celle de la bonne distance à avoir avec ces jeunes qui sont sous leur protection.
Cette question de la distance est fondamentale et j’ai voulu la poser. On a créé des systèmes de protection des mineurs qui font que la notion de protection est tellement prioritaire, qu’elle prend le dessus sur tout le reste. Est-ce qu’on se pose réellement la question des besoins de ces jeunes, des gens avec qui l’on travaille ? Plus que de la protection, ces jeunes n’ont-ils pas besoin d’affection, d’amour ? Mais ça, malheureusement on n’a pas le droit de leur donner, c’est interdit.
Ces questions m’ont hanté durant mon parcours d’éducateur et j’avais vraiment envie d’en parler… ce que je fais grâce à mon film.
Quelques mots sur le titre du film La Mif, famille en verlan
Amélie, qui joue Alison dans le film, utilisait régulièrement cette expression, avec l’impression que c’était toujours de manière un peu ironique, voire un peu désespérée. Je le prenais moi comme une provocation. Je l’ai aussi pris comme une façon de nous questionner. Comme si, à nous éducateurs, elles demandaient si on allait les aimer, vraiment, comme leurs parents auraient pu les aimer. Cette impression est omniprésente dans nos relations avec ces jeunes filles placées en foyer. En répétant souvent cette expression, même pendant le tournage, Amélie m’a donné l’idée du titre.
Ne ratez surtout pas ce film déjà auréolé de nombreux prix dont le Bayard d’or du Meilleur film au dernier Festival International du Film Francophone de Namur.