Au départ personne ne s’attendait à ce coup-là. Fabrice Murgia met le nucléaire russe au centre d’une pièce évoquant une ville oubliée. Ce n’est pas Tchernobyl mais une petite ville inconnue, cadenassée par l’armée russe. A la fin un témoin des faits, opposante à Poutine, Nadezda Kutepova, exilée en France confirme et amplifie ce qu’on vient de voir. Résultat : une solide polémique qui ne saurait faire de tort au spectacle. Qui se poursuit jusqu’au dimanche 22 (avec, ce jour-là, un débat sur le nucléaire).
On connaît le monde de Fabrice Murgia et son cycle "Ghost Road", des villes fantômes emblématiques, peuplées d’êtres humains survivant à de mystérieuses catastrophes qui en ont fait des laissés pour compte de l’Histoire. Au fin fond de la Vallée de la Mort aux EE-UU on découvrait Bombay Beach et les rares survivants d’un projet touristique échoué. En cause une pollution chimique décimant les poissons d’un lac artificiel. Un deuxième volet, "Children of nowhere" nous entraînait au Chili, dans la vallée d’Atacama, dans une prison-bagne du régime Pinochet. A chaque fois un road movie filmé et théâtralisé et une réflexion politique avec la grande actrice flamande Viviane De Muynck comme fil conducteur et récitante de ces histoires mélancoliques.
Le troisième volet "La mémoire des arbres" suit en partie le même schéma une ville morte, oubliée, au fin fond de l’Oural russe, un voyage, un narrateur central mais avec une variante considérable : si Pinochet est mort et la Vallée des Morts hors actualité, Poutine est bien vivant. Ses services secrets et ses journalistes-aux ordres ont donc filmé, sans autorisation, la première du spectacle et diffusé un reportage de 6 minutes pour accuser la pièce de "désinformation". Tout est vérifiable, affirme le National. Notre démarche n’est en aucune manière tournée contre la Russie. Le nucléaire est un sujet de société sans frontières, tout comme son impact humain et environnemental.
En réalité ce qui fait réagir le Russie c’est le témoignage final véhément d’une avocate russe exilée en France qui dénonce les faits (ses parents furent pris dans ce Tchernobyl caché) et l’indemnisation insignifiante des victimes par rapport aux dommages subis. Elle intervient à la fin comme une prise de parole donnée à une militante. On est sur un tout autre registre qui donne au théâtre une mission citoyenne.