Cet article est le résumé d'un mémoire, ce travail de recherche universitaire est publié en partenariat avec le master Genre.
La crise sanitaire de 2020 a réorienté les individus vers des activités ludiques et culturelles, notamment d’ordre télévisuel. Les productions visuelles ont aujourd’hui une influence énorme sur les spectateurs et spectatrices et se veulent par conséquent plus inclusives dans le but de s’adresser à des publics plus diversifiés.
Pour répondre à la demande, les séries ont davantage de facilité à traiter certains sujets considérés comme "tabou", tels que des questions de sexualité. Des séries comme My Mad Fat Diairy (Tom Bidwell, 2013), Sex Education (Laurie Nunn, 2019) ou Bridgerton (Chris Van Dusen, 2020) ont le point commun de mettre en scène la masturbation clitoridienne et/ou vaginale.
Si les séries de manière générale offrent de plus en plus des représentations pertinentes sur le sujet, l’industrie cinématographique semble avoir plus de mal à s’approprier la thématique de la masturbation pour en donner un rendu éloigné des stéréotypes qu’on peut lui attribuer d’ordinaire. Pourtant, le cinéma demeure un médium démocratique qui touche un large public ; il est capable à la fois de répandre des idées-reçues, comme de déconstruire certains clichés encore en vigueur dans notre société.
Comment représenter le sexe ?
La masturbation est une pratique ludique qui est encore sous-estimée alors qu’elle fait partie du large spectre de la sexualité. Ses avantages résident dans le fait qu’elle procure une satisfaction en solitaire et s’éloigne de l’acte "sacré" de la procréation.
C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’elle a souvent été dénigrée et considérée comme une pratique honteuse – une idée reléguée par certaines traditions religieuses. La manière dont elle est mise en scène est encore empreinte des clichés qui lui sont associés. Quant aux représentations liées à la sexualité qualifiée de féminine, elles sont également soumises aux stéréotypes inhérents qui véhicule l’idée d’une sexualité plutôt passive et soumise à une autorité masculine.
Par conséquent, la représentation typique de la jeune fille se caressant tendrement tout en poussant des soupirs (furtifs) de plaisir est fortement inspirée de fantasme masculin et hétérosexuel ; on comprend que le cinéma a encore du mal à déconstruire certaines idées-reçues.
Il se trouve que les scènes de masturbations (de toute sorte) sont récurrentes dans l’histoire du cinéma depuis ses débuts. Il est évident que la révolution sexuelle des années 1970 constitue un tournant important malgré tout dans l’industrie cinématographique, ne fut-ce que pour la diffusion de plus en plus abondante de films pornographiques (même si le porno mainstream traite peu de l'orgasme féminin et n'est pas exempt de représentations stéréotypées). À la même période, les représentations en matière de sexualité à l’écran sont dès lors plus libérées mais aussi plus abondantes. Les différentes représentations de l’acte masturbatoire nous permettent de nous interroger sur ce que cette pratique révèle dans l’imaginaire collectif.
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Et aujourd'hui, où en est-on ?
Selon le genre cinématographique dans lequel le film s’inscrit, la pratique masturbatoire peut avoir des significations différentes et des mises en scène variées. La signification de l’action au sein du récit ainsi que la manière dont elle a été mise en scène sont donc deux grilles d’analyse intéressantes pour réfléchir à la problématique.
Si le registre de la comédie utilise comme stratégie la représentation du plaisir solitaire pour encourager le ridicule de situation, il a le mérite de décomplexer cette pratique au sein du récit. En effet, la plupart du temps, la masturbation clitoridienne et/ou vaginale est un sujet sérieux, qui prend place au sein des genres dramatique, horrifique ou tragique.
Au cinéma, se masturber indique le niveau de folie ou de déviance d’un personnage – en particulier lorsqu’il s’agit de masturbation clitoridienne et/ou vaginale. C’est aussi une pratique privilégiée par les personnes queer ou qui permet de se découvrir une orientation sexuelle, en-dehors du cadre de la sacro-sainte hétérosexualité. Il est difficile d’envisager la masturbation comme un simple acte sexuel pratiqué par presque la totalité de la population sur terre. Si elle est mise en scène, elle est aussi la plupart du temps entreprise par des une catégorie de personnes qui méritent d’être regardées.
Il faut être belle/beau pour se masturber au cinéma, à savoir être mince, blanc·he, jeune, valide… c’est-à-dire répondre aux injonctions de beauté en vigueur dans notre société patriarcale et occidentale, en particulier quand on est une femme. En plus de ces injonctions récurrentes, la protagoniste est souvent hypersexualisée, stratégie souvent adoptée par de nombreux réalisateurs depuis les débuts du cinéma pour attirer un public masculin.
Laura Mulvey, grande théoricienne du cinéma, a par ailleurs identifié ce genre de mise en scène des corps dits "féminins" par l’appellation du male gaze. La masturbation clitoridienne et/ou vaginale n’échappe pas au processus et se révèle idéale, semble-t-il, pour attiser le regard masculin hétérosexuel.
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Au fil des décennies, le cinéma s’ouvre à de nouveaux enjeux et tente de nouvelles représentations. A la réalisation, les intervenant-es se diversifient également. Par conséquent, selon la production, les mises en scène varient. De cette manière, on constate des mises en scène plus ancrées dans une réalité tangible. A titre d’exemple, dans le film The shape of water (Guillermo del Toro, 2017), la pratique masturbatoire résulte d’une routine matinale quotidienne, lorsque la protagoniste principale se masturbe dans sa baignoire, en attendant la cuisson de son œuf à la coq.