Exposition

La masculinité sous tous les angles au Musée de la Photographie d'Anvers

Adi Nes, Untitled, série Soldiers 1994-2000 - 1999

© Adi Nes

Par Xavier Ess

"Masculinités : La Libération Par La Photographie", l'exposition du FOMU (foto museum) explore les nombreuses façons dont la masculinité a été vécue, performée, codée et transgressée à travers le témoignage de la photographie. Des années 60 à aujourd'hui. Macho, compagnon d'armes, homme de pouvoir, papa, homo ou machine à phantasmes... la masculinité mérite bien son pluriel. Démonstration avec les images d’une cinquantaine d’artistes.

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Domination masculine

"On ne nait pas homme, on le devient", pour détourner la célèbre formule de Simone de Beauvoir. "Etre un homme" est dicté par l'histoire et les cultures et la domination masculine en est un déterminant essentiel dans le monde entier. L'expo "Masculinités : La Libération Par La Photographie" est divisée en cinq sections : Archétype, Ordre, Famille, Queer et Corps Noir. Logiquement, la première et plus imposante (!) section est consacrée aux archétypes de la virilité : force physique, assurance, agressivité, camaraderie qui sont ici documentés, dénoncés ou bouleversés, comme les gigantesques autoportraits de John Coplans qui expose le corps vieillissant. Une première image qui met les points sur les i : il ne s'agit pas ici de magnifier le corps masculin. Les archétypes à disrupter, ce sont l'image du cowboy, du bodybuiler huilé (Arnold Schwarzenegger photographié par Mapplethorpe), du torero victorieux, des bizutages étudiants... et bien évidemment les gars en uniforme. 

Le photographe israélien Adi Nes est présent avec 4 photos de sa remarquable série Soldiers 1994-2000 sur le compagnonnage de jeunes militaires durant leur service obligatoire de deux ans et demi. Un ferment de l'identité des jeunes hommes israéliens. On patrouille, on boit et on pisse ensemble. En 1976, la série The Famlily de Richard Avedon présente 60 portraits d'hommes et 6 portraits de femmes de pouvoir aux Etats-Unis. Des politiques (le président Ford, Carter, Reagan...), des chefs d'entreprise et des magnats de la presse. Un autre uniforme s'impose et un autre type genre de garde-à-vous: costume obligatoire, position debout et frontale, sourire prohibé. Et la tendresse dans cette explosion de testostérone ? Elle nous vient d'une video de Bas Jan Ader datée de 1971 intitulée "I'm Too Sad to Tell You", le montrant pleurant la disparition de son père face caméra. Le noir et blanc pourri de cette video muette gagne du sens avec le temps; il révèle une époque où "pleurer comme une fille" vous renvoyait dans les jupes de votre mère. 

 

Bas Jan Ader, image de la video "I'm Too Sad to Tell You" - 1971
Bas Jan Ader, image de la video "I'm Too Sad to Tell You" - 1971 © Xavier Ess

Libération homosexuelle : un homme d'un nouveau genre

En juin 1969 à New-York, les drag queens et les clients du club Stonewall affrontent la police pendant trois jours, excédés par le harcèlement policier et la stratégie de l'invisibilité imposée aux homos (on n'utilise pas encore le vocable gay). Les émeutes de Stonewall marquent le début d'un changement de paradigme : on peut perturber les normes du masculin, queeriser la virilité, forcer le trait ou la moquer (Village People) : on performe les genres (le masculin et le féminin) et on sexualise le corps. On fait tomber les statues de la virilité hétérosexuelle, mais bien vite de nouveaux codes s'imposent pour se reconnaître. Le californien Hal Fischer nous donne les clés dans "Gay Semiotics", une série de photos "didactiques" qui pointent les significations des attributs du macho man en cuir, symbole de non-conformité - y compris chez les rockeurs blancs - ou celles,  en 1977, du sportif urbain : short en lycra, baskets, chaussettes et marcel blancs obligatoires... À la même époque, Sunil Gupta photographie la vie quotidienne le long de Christopher Street dans Greenwich Village.

Le corps noir sous le regard blanc

Le corps de l'homme Noir, africain ou afro-américain, est hypersexualisé dans le regard du Blanc. Une virilité sauvage et une sexualité sans bornes. Ce dernier chapitre de l'exposition intitulé "Reconquête du corps noir", s'ouvre sur une photo du nigérian Rotimi Fani-Kayode, "Untitled (Offering)" de 1987 qui montre sa silhouette de profil avec à la main une paire de ciseaux démesurés au niveau de l'entrejambe. Fani-Kayode, décédé du Sida à 34 ans, affirme frontalement l'identité puissante qui est la sienne dans quatre autres autoportraits. Le parcours de "Masculinities : La Libération Par La Photographie" se clôture par "Looking For Langston" le déjà classique moyen métrage onirique du britannique Isaac Julien qui se déroule entre un club clandestin de la période Harlem Renaissance et un club des années 80. Une histoire de désir sur fond de poèmes de Langston Hughes et James Baldwin entre autres. Une expression du désir homosexuel et des dangers encourus par les hommes de couleur gay. Tourné en 1989, au plus haut de l'épidémie de Sida, ce film résonne toujours aujourd'hui comme une œuvre de mémoire dans la communauté queer noire.

Rotimi Fani-Kayode, Untitled - vers 1985
Rotimi Fani-Kayode, Untitled - vers 1985 © Rotimi Fani-Kayode
Sunil Gupta, Untitled #22, série Christopher Street - 1976
Sunil Gupta, Untitled #22, série Christopher Street - 1976 © Sunil Gupta
Peter Hujar, David Brintzenhofe Making Up (VIII) - 1982
Peter Hujar, David Brintzenhofe Making Up (VIII) - 1982 © Peter Hujar

Bien sûr, "Masculinités : La Libération Par La Photographie", une production du Barbican Centre de Londres, n'a pas l'objectif de faire le tour de la question ( 50 artistes c'est un beau palmarès), mais on peut regretter un manque d'expressions et de témoignages sur les mutations les plus contemporaines comme les identités non-binaires, l’évolution de la paternité, la masculinité dans le hip hop, la virilité cool des hipsters et startuppers (Mark Zuckerberg) ou encore la masculinité adolescente.

Un catalogue est édité par le Barbican Center qui propose aussi une playlist avec des musiciens qui ont abordé le sujet. De Prince à Kraftwerk et Dusty Springfield.

 "Masculinités : La Libération Par La Photographie", au FOMU , Waalsekaai, 47 à Anvers jusqu'au 13 mars 2022. 

Catherine Opie, autoportrait en Bo, son double masculin. série Etre et Avoir - 1991
Catherine Opie, autoportrait en Bo, son double masculin. série Etre et Avoir - 1991 © Catherine Opie

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