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La guerre en Ukraine, une aubaine pour les producteurs américains de gaz de schiste ?

La guerre en Ukraine, une aubaine pour les producteurs américains de gaz de schiste ? Photo d'illustration.

©RICHARDEDEN

Depuis quelques jours, les cours s’envolent à Wall Street pour les entreprises d’extraction du gaz de schiste. Ainsi, EOG Resources, compagnie majeure dans l’extraction du pétrole et du gaz de schiste ont pris 5,37% de valeur jeudi dernier. 24 heures plus tôt, la ministre américaine de l’Energie, Jennifer Granholm, avait appelé les compagnies américaines à produire davantage pour soulager le marché très tendu par la baisse des exportations russes.

La guerre en Ukraine représenterait-elle une aubaine pour les entreprises américaines spécialisées dans l’extraction et l’exportation du gaz de schiste ? En touts cas, pour beaucoup de spécialistes, la production américaine, avec celle du pétrole, pourrait atteindre des records en 2023.

En ce qui concerne le pétrole, aujourd’hui déjà, les Etats-Unis sont les premiers producteurs au monde, avec 12 millions de barils par jour, devant l’Arabie saoudite et la Russie. La production pourrait atteindre 13 millions de barils par jour, et cela représenterait un record absolu ; cela grâce à la production de pétrole dit non conventionnel, extrait à l’ouest du Texas et au sud du Nouveau Mexique, et issu de l’exploitation du schiste. Ce pétrole représente 65% de la production américaine.

Les Etats Unis sont également le premier producteur de gaz au monde, cette fois devant, dans l’ordre, la Russie et l’Iran. Le gaz américain est aussi de plus en plus composé de gaz de schiste, avec aujourd’hui 104,4 milliards de "pieds cubes" (l’unité de mesure américaine utilisée), contre 101,5 milliards en 2021. En 2023, elle augmenterait à 106,6 milliards de "pieds cubes".

Une alternative au gaz russe ?

Aujourd’hui, l’Europe est dépendante de la Russie pour son approvisionnement en énergie. Cette dernière est le premier fournisseur de gaz naturel (plus de 40%) de l’Union européenne, et elle fournit 30% du pétrole consommé par les 27.

Les pays Européens se tournent déjà vers d’autres fournisseurs. L’Italie a déjà pris langue avec l’Algérie, qui représente le troisième fournisseur du continent derrière la Norvège et la Russie. Mais une autre solution pourrait être le gaz naturel liquéfié, le GNL, acheminé par bateau et regazéifié arrivé à bon port.

Le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé au début du mois de mars que deux nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) seront construits en réponse au conflit ukrainien et dans le but de réduire la dépendance de l’Allemagne au gaz russe. Les terminaux seront construits à Brunsbüttel et Wilhelmshaven, dans le nord du pays, a-t-il précisé.

Le pays allait aussi débloquer une enveloppe exceptionnelle de 1,5 milliard d’euros, pour l’achat de GNL, qui est la forme liquide de n’importe que gaz, et en particulier du gaz de schiste, stocké à -161 degrés et liquéfié pour être transporté. En réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Allemagne avait également décidé de suspendre le projet de pipeline gazier Nord Stream 2 qui devait acheminer du gaz russe vers l’Allemagne via la mer Baltique.

Mais avant même l’invasion russe de l’Ukraine, les tensions géopolitiques et économiques avaient poussé à la hausse les importations européennes de GNL. Ce dernier est importé par bateaux. L’entreprise énergétique française Engie a par exemple déjà signé l’été dernier un contrat de 11 ans avec une société gazière américaine. En janvier, les importations européennes de gaz naturel liquide ont déjà atteint un record de 11,8 milliards de mètres cubes. 45% de ces importations provenaient des Etats-Unis.

Aujourd’hui en grande partie exporté dans les pays asiatiques, ce GNL issu du gaz de schiste représenterait-il l’alternative au gaz russe pour l’Europe ?

Après des années de morcellement de la production, le gaz de schiste américain est détenu par plusieurs gros acteurs, avec des coûts de production moindres. Si ces dernières années, sa production a connu un essor impressionnant, contribuant à rendre les Etats-Unis autosuffisants en termes énergétiques, des questions de fond se posent et rendent le futur plus incertain. Le GNL américain ne représente aujourd’hui que 6% des importations européennes.

Le schiste, pour le futur ?

En ce qui concerne le pétrole, les experts sont divisés sur le sujet, en particulier pour le pétrole. "Les producteurs américains d’huile de schiste ont déjà exploité une grosse partie de leurs meilleurs puits. Ils ne retrouveront pas la croissance qu’ils avaient entre 2010 et 2015, sauf à épuiser leurs réserves en quelques années ", explique Benjamin Louvet, gérant matières premières dans la société de finance Ofi AM, et interrogé par La Croix.

Mais la question principale concernant le gaz de schiste est : les Etats-Unis pourront-ils se permettre de pousser encore l’extraction de ce gaz ?

La demande des pays européens risque en tout cas d’augmenter, avec un avantage par rapport au gaz traditionnel : comme toutes les importations de GNL, celles du GNL issu du gaz de schiste américain ne dépendent pas de pipes lines fixes, chers à construire et fortement dépendants des territoires des pays qu’ils traversent. Le GNL est transporté sur des navires, sa fourniture en est donc plus flexible.

Côté désavantages pour le pays importateur : les coûts du transport, mais aussi ceux de la regazéification, qui devra se réaliser dans des usines ad hoc.

Le coût environnemental

Mais le problème le plus important, du côté américain, est celui du coût environnemental. Selon l’EIA, l’Energy information administration, site officiel de données sur l’énergie américaine, le gaz de schiste représentait 79% de la production de gaz américain en 2020. Mais ce gaz s’obtient en fracturant la roche par de fortes pressions d’eau, pour que le gaz remonte à la surface. Une méthode de forage dévastatrice : "L’extraction laisse une roche ‘morte’, explique Anna Créti, économiste de l’énergie à Paris Dauphine, directrice scientifique de la chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat, citée par Challenges, L’équilibre de l’écosystème géologique est très endommagé". Par ailleurs, le méthane est un puissant gaz à effet de serre.

L’administration Biden a d’ailleurs mis des règles extrêmement strictes pour l’exploitation du gaz de schiste.

Dans ce contexte, les militants écologistes aux Etats-Unis dénoncent les profits des majors pétrolières qui enflent avec les cours. "Les dirigeants de ces compagnies sont en train de tirer profit de la guerre", a affirmé l’organisation non gouvernementale Friends of the Earth. Cela montre "clairement que, bien qu’ils se plaignent des politiques environnementales de Joe Biden, leur objectif est de se remplir les poches", affirme l’organisation.

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Du côté des pétroliers, on a par contre intégré la difficulté de pousser plus haut la production : "Nous sommes dans une situation très difficile" a expliqué la présidente de la compagnie d’exploration pétrolière Occidental Petroleum Corporation, Vicki Hollub. "Avec les problèmes de la chaîne d’approvisionnement, toute tentative d’augmenter la production aujourd’hui à un rythme rapide, est extrêmement ardue", a-t-elle souligné.

Difficile donc de prédire si le gaz de schiste (et l’huile de schiste) américain envahira l’Europe et fera le bonheur des entreprises US. Reste que les choses changent. Alors que les pays européens se refusent à s’engager dans l’extraction du gaz de schiste, un premier pas en ce sens a été fait par le Premier ministre Boris Johnson. Ce dernier n’a pas écarté une levée du moratoire sur la fracturation hydraulique au Royaume-Uni. Le ministre britannique de l’Industrie et de l’Energie, Kwasi Kwarteng, affirmait même en début de semaine que la position du gouvernement avait toujours été que l’extraction de pétrole et gaz de schiste était possible dans le pays si elle pouvait se faire "en sécurité".

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