Guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine risque de déclencher "un ouragan de famines"

Vente de céréales à Nairobi – Kenya. Après les hydrocarbures, ce sont les céréales qui voient leurs prix s’envoler dans des pays dépendants de l’Ukraine et de la Russie pour leur approvisionnement.

© Simon Maina – AFP

Par Pascal Bustamante

C’est Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU qui tire la sonnette d’alarme : "L’Ukraine est en feu. Le pays est en train d’être décimé sous les yeux du monde".

Nous devons faire tout notre possible pour éviter un ouragan de famines et un effondrement du système alimentaire mondial.

C’est l’amer constat qu’il fait devant la hausse des prix des matières alimentaires. Ceux-ci ont déjà dépassé ceux du début du printemps arabe et des émeutes de la faim des années 2007-2008.

En raison du blocage de productions agricoles en Ukraine et Russie, la guerre devrait, dans ses répercussions, frapper "le plus durement les plus pauvres et semer les germes de l’instabilité politique et de troubles dans le monde entier", a souligné Antonio Guterres. Il poursuit :

"45 pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie – 18 de ces pays en importent au moins 50%. Cela comprend des pays comme le Burkina Faso, l’Egypte, la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen".

Prophétie autoréalisatrice

L’importance de pays comme la Russie ou l’Ukraine dans la production de denrées alimentaires entraîne des hausses de prix alors que la pénurie n’est pas encore déclenchée. Dans le journal de l’Afrique, Ghizlane Kounda a reçu Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nations-Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains. Il estime que la coupure de l’approvisionnement en hydrocarbures et en céréales depuis les pays belligérants en est un facteur important mais pas le seul.

"La Russie a annoncé le 4 mars qu’elle suspendant l’exportation d’engrais fertilisants. Par conséquent on s’attend que les récoltes à l’avenir soient plus faibles. Par ailleurs, en Ukraine, c’est la période des semis et les ports de la Mer Noire sont bloqués. Il y a 6 millions de tonnes de blé qui ne sont pas exportées d’Ukraine. […] On a des goulots d’étranglement et une rupture des chaînes d’approvisionnement. Cela déclenche une spéculation autour des prix des denrées alimentaires qui produit un effet de panique sur les marchés. Les marchés anticipent des pénuries et, finalement, cela devient une prophétie autoréalisatrice. Les gouvernements ont tendance à réduire leurs exportations, à constituer des stocks, les traders, eux-mêmes, ont tendance à spéculer sur la hausse des prix, et donc à ne pas écouler leurs productions et finalement, même si on n’est pas dans une situation de pénurie physique. Même si les stocks étaient bons à la fin de l’année 2021, on est dans une situation où beaucoup d’acteurs limitent les ventes et cherchent à accumuler des réserves dans l’attente d’une augmentation continue des prix. Et c’est ça la spéculation. C’est cela dont on est menacés, aussi bien au niveau micro par les traders ou au niveau macro par les gouvernements."

Coalition contre la faim

Coalition contre la faim regroupe 22 ONG belges actives dans la lutte contre la faim. Partageant le constat de l’ONU sur une possible crise alimentaire consécutive à l’inflation issue de la crise du Covid19 et plus récemment, à la guerre en Ukraine, elle dessine une série de pistes à court terme pour pallier ces famines annoncées.

"Dans le court terme, il est indispensable que l’Europe aide les pays les plus dépendants des importations à atténuer la hausse des prix. D’une part, l’Europe peut soutenir le renforcement dans ces pays des mécanismes de protection des plus fragiles et renforcer l’action du Programme Alimentaire Mondial qui a déjà beaucoup à faire et risque d’être dépassé par cette nouvelle crise alimentaire.

Il est essentiel que les bailleurs de fonds ne diminuent pas leur soutien aux pays déjà fragilisés pour les réorienter vers l’Ukraine : il faut augmenter les enveloppes disponibles pour l’aide d’urgence et les moyens de la coopération au développement, pour faire face aux répercussions mondiales de cette guerre. D’autre part, l’ensemble de la communauté internationale doit garder les marchés ouverts et faciliter l’accès des pays en développement aux stocks existants de produits agricoles. Enfin, il est impératif d’enrayer la spéculation alimentaire qui exacerbe la flambée des prix sur les marchés des matières premières agricoles."

Mais la coalition contre la faim définit aussi une stratégie à plus long terme. Selon elle, il faut profondément transformer les systèmes alimentaires.

Une agriculture familiale et durable est capable de nourrir la population mondiale et permettra aux générations futures d’également se nourrir, contrairement au modèle promu par l’agro-industrie qui épuise les sols, la biodiversité et le climat.

Yemen

Toujours selon l’ONU et à titre d’exemple, la faim guette cinq fois plus de personnes au Yémen cette année en raison de la guerre qui se poursuit dans le pays, mais aussi de la crise ukrainienne.

"Le nombre de personnes connaissant des niveaux catastrophiques de faim […] devrait être multiplié par cinq, passant de 31.000 personnes actuellement à 161.000 personnes au cours du second semestre 2022". C’est le constat conjoint de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le fonds pour l’enfance UNICEF et le Programme alimentaire mondial (PAM).

L’ONU utilise un classement appelé "classification intégrée des phases de la sécurité alimentaire" (IPC), qui classe les niveaux de faim de 1 à 5. Le niveau 5 est classé comme "catastrophique" et, lorsqu’il s’applique à 20% de la population, il s’apparente à une "famine".

Selon l’IPC, le nombre de personnes confrontées à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë au Yémen risque de passer de 17,4 millions à 19 millions cette année, sur une population de 29 millions d’habitants.
 

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