Economie

La Grèce rembourse sa dette au FMI deux ans plus tôt : retour sur une crise qui bouscule toujours silencieusement le pays

© Getty Images

Par Anthony Roberfroid

Après 12 années de dettes auprès du Fonds Monétaire International, la Grèce vient de rembourser sa dernière créance auprès de l’institution mondiale et ce, avec deux années d’avance. De quoi faire économiser 230 millions d’euros au pays, qui se débarrasse ici de l’un des nombreux boulets monétaires qu’il traîne depuis plusieurs années.

En 2010, et seulement deux ans après la crise des subprimes de 2008, la Grèce était frappée par la pire crise monétaire de son histoire, amenant son peuple dans une période de forte austérité pour plusieurs années.

Retour sur l’une des plus grandes crises financières de la zone euro.

Une histoire de mauvaise gestion et de manipulation

Pour comprendre la crise grecque, il est nécessaire de revenir sur l’état réel de l’économie du pays avant la crise. L’économie de la République hellénique était touchée par une fraude fiscale importante, des récoltes d’impôts mal gérées et une économie souterraine fortement développée.

Comme le révèle une étude, l’économie souterraine représentait encore 28% du PIB de la Grèce pour les années 2002-2003. Un chiffre confirmé par nos confrères du Monde en 2009, citant la Banque Mondiale. L’importance de cette économie de l’ombre a valu à la péninsule de voir l’estimation officielle de son PIB réévaluée de 10% en 2006.

Mais au-delà de la mauvaise gestion de l’économie, les autorités grecques surenchérissent en manipulant les estimations de sa santé économique auprès de l’Europe.

En 2001, deux ans après le déploiement de l’euro, la Grèce adopte la monnaie unique en remplissant certains des critères du Traité de Maastricht, parmi lesquels on retrouve notamment la nécessite du pays à avoir un déficit budgétaire représentant moins de 1,8% de son PIB.

Grâce à son accès à l’euro, la péninsule obtient des taux avantageux auprès des marchés financiers et décide de s’endetter - ou plutôt de s’endetter d’avantage - afin de financer sa croissance. En 2004, le ministre grec des finances, George Alogoskoufis, rapporte au Parlement européen que les chiffres annoncés ont été manipulés et que le déficit budgétaire du pays n’était pas sous les 1,8%. Il était de 3,4%, au-delà de la limite des 3% fixée par le pacte de stabilité européen.

Fin 2009, le Premier ministre Giórgos Papandréou révèle également que d’autres chiffres ont été falsifiés. Pendant de nombreuses années, la Grèce a fait preuve de mauvaise gestion, a caché la poussière sous le tapis, a subi les particularités de son économie et voit sa dette augmenter.

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Il faut dire que le pays est dans une position délicate. Sa place aux frontières de l’Europe et sa proximité avec la Turquie font qu’une bonne partie de son économie est destinée à sa défense militaire, la péninsule est d’ailleurs l’une des plus grosses contributrices de l’OTAN.

Le pays est aussi un des plus mauvais exportateurs européens. Les Grecs consomment plus qu’ils ne produisent et les importations ne sont pas compensées par les exportations.

L’économie est aussi minée par les Jeux Olympiques de 2004, qui ont coûté 13 milliards d’euros et fait augmenter la dette de 2% à 3%.

Dernier clou au cercueil, la crise économique de 2008. Cette dernière impactera sérieusement la Grèce qui dépend fortement du transport maritime et du tourisme. Les craintes économiques font que les gens ne voyagent plus.

Décote et descente aux enfers

Les révélations concernant l’ampleur de la dette, maquillée jusqu’ici par les dirigeants du pays, entraîne une perte de confiance, notamment auprès des agences de cotations. En 2010, Standard & Poor’s et Fitch Ratings font redescendre la note de la dette grecque de "A-" à "BBB +".

Le pays voit donc les taux d’intérêt sur les marchés financiers augmenter et sa dette continue de grimper.

La seule solution pour sortir de la crise : la croissance. Mais la croissance ne se proclame pas, elle s’obtient grâce à des mesures qui finiront par plonger les Grecs dans l’austérité.

En décembre 2009, Giórgos Papandréou annonce les premières mesures d’austérité pour réduire le déficit du pays. Un premier plan de rigueur dans lequel on retrouve une réduction de 10% des frais de l’Etat, le gel du recrutement des fonctionnaires et la privatisation des propriétés foncières de l’Etat.

Mais la Grèce ne s’en sort toujours pas et est menacée de défaut de paiement. Elle demande alors l’aide de l’Europe et du Fonds Monétaire International en avril 2010. Le FMI et de nombreux pays européens se mettent d’accord en mai pour aider la Grèce. Une enveloppe de 110 milliards est débloquée : 80 milliards de la part de la zone euro et 30 milliards de la part du FMI.

Une aide plus que bienvenue mais qui s’accompagne aussi de conditions dont certaines toucheront directement les citoyens grecs : fin du treizième mois dans la profession publique, TVA relevée à 23% ou encore hausse des taxes. Des mesures qui ne plairont pas et qui poussera à plusieurs reprises le peuple grec à descendre dans la rue contre les mesures d’austérités imposées.

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En dehors de la rue, ce second plan de rigueur ne convainc pas non plus les marchés financiers. La note Grecque passe dans la catégorie spéculative en évoluant de "BBB + " à "BB + ", une première pour un pays de la zone euro, et la péninsule voit les portes des emprunts se refermer.

L’austérité ne suffit pas

Malgré les nombreuses mesures visant à réduire les dépenses et à remplir les caisses, la hausse de la dette continue.

En juillet 2011, la zone euro apporte une nouvelle fois de l’aide à la Grèce. Un second plan pour éviter une contagion de la crise au reste de l’Europe. Une enveloppe de 237 milliards d’euros est débloquée, ce qui représente la moitié de la dette de la Grèce envers des créanciers privés.

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Mais ici aussi, les pays de l’euro zone veulent des garanties et la Grèce doit montrer son effort. Entre 2010 et 2015, 9 plans d’austérité seront actés. Une politique d’économie qui est toujours difficilement perçue par la population, qui estime qu’elle doit faire des efforts pour une mauvaise gestion du pays dont ils ne sont pas responsables.

Néanmoins, les efforts ne suffisent pas. Entre 2010 et 2015, la dette n’a fait qu’augmenter, passant de 130% à 184%.

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Les négociations sont difficiles, s’enlisent, mais les membres de l’Eurogroupe arrivent à un accord avec de nouvelles mesures d’austérité : licenciements rendus plus faciles, diminution de 25.000 postes de fonctionnaires, recul de l’âge de la pension, et diminution de ses montants… Un ensemble des mesures qui ne satisfait ni le président grec, ni les Grecs eux-mêmes.

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Faillite virtuelle et Grexit

Le 30 juin 2016, la Grèce est officiellement en défaut de paiement, en état de faillite virtuelle. Tsípras ferme les banques, les filles se forment devant les distributeurs et les retraits sont limités.

Le président organise alors un référendum. La population est invitée à s’exprimer sur le nouveau plan d’austérité de la zone euro. C’est le "Non" qui l’emporte et l’idée d’un "Grexit" se renforce dans les esprits.

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Mais se retirer de l’Europe présente de nombreux risques et Alexis Tsípras reprend les négociations avec les membres de la zone euro. Le 13 juillet, le "Grexit" est écarté et un 3e plan d’aide de 80 milliards d’euros est acté, avec de nouveaux des mesures d’austérité.

Le texte sera finalement adopté malgré une opposition de plusieurs membres de parti d’Alexis Tsípras, qui démissionnera ensuite avant d’appeler à de nouvelles élections anticipées, au cours desquelles il sera réélu.

Depuis 2015, la dette grecque n’est plus sous les projecteurs mais reste pourtant bien présente. Les mesures d’austérité ont continué, l’âge de la retraite est passé à 67 ans, les retraites des fonctionnaires ont été diminuées, la TVA est passée de 23% à 24%, les taxes ont augmenté et d’autres ont été créés.

Entre 2009 et 2015, les impôts ont augmenté de 53% en moyenne alors que les salaires ont diminué de 20 à 30%. Le chômage s’est aggravé, passant de à 12% de la population à 25% sans emploi avant de drastiquement diminuer après 2015.

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Une épine hors du pied mais la crise est toujours là

Aujourd’hui, la Grèce rembourse toujours progressivement ses créanciers. Le pays a réalisé de nombreux progrès dans la gestion de son économie, ce qui explique notamment l’acquittement de sa dette contractée au FMI, une marque de sérieux sur la scène internationale. Sa note de cotation s’est aussi stabilisée même si les institutions financières restent prudentes pour le futur.

Le pays a continué à servir sa dette ces dernières années, sans pour autant réussir à la réduire. Celle-ci a été relativement maîtrisée depuis 2011. La République hellénique a veillé à rassurer ses investisseurs pour lui permettre de continuer à emprunter à de bonnes conditions. Mais la crise du coronavirus et la politique du "quoi qu’il en coûte" ont donné un coup de frein à son redressement économique, comme à toutes les économies du monde.

Comme la plupart des pays européens, la Grèce a dépensé énormément d’argent public dans la guerre qu’elle a mené contre le virus, ce qui a fait bondir la dette à un niveau record de 237% de son PIB. Le pays à subit un choc négatif avec le Covid et devra reprendre ses efforts pour contrôler son endettement

Cette crise appelle donc à une attention particulière pour ne pas voir émerger une nouvelle crise économique. Mais face aux conséquences de la guerre en Ukraine, la mission risque d’être un sacré jeu d’équilibriste.

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