Le phénomène nous arrive des Etats-Unis où, au sortir de la crise Covid, des millions de travailleurs ont décidé de quitter leur boulot parce qu’ils n’y trouvaient plus de sens, parce qu’ils estimaient recevoir trop peu en retour de ce qu’ils investissaient dans leur travail. Mais de quoi cette " grande démission est-elle le nom ? " Vit-on le même phénomène chez nous en Belgique ? Qui sont ceux qui démissionnent ? Et que font ceux et celles qui ne peuvent pas démissionner ? Le PODCAST "Déclic – Le Tournant" vous propose 45 minutes de témoignages et d’analyses sur un enjeu qui questionne la place que nous accordons au travail dans nos vies.
Premier arrêt chez Martin de Patoul, dans sa petite boulangerie artisanale, à Beauvechain. Martin n’est boulanger à temps plein que depuis peu. Avant, il travaillait dans la finance, il émettait des actions et des obligations pour une institution bancaire, mais ce travail faisait, au fil du temps, de moins en moins sens pour lui : "En fait je me retrouvais de moins en moins dans ce que je faisais… J’avais l’impression que ma fonction en tant que telle, ne servait à rien. Et donc je me sentais inutile, j’avais besoin d’autre chose."
D’émetteur d’actions à boulanger
Il est donc passé d’un boulot sur des marchés financiers que l’on dit de plus en plus déconnectés de l’économie réelle, à un boulot très terre à terre, connecté à un de nos besoins les plus vitaux : "Ce qui me plaisait, quand j’ai découvert la boulangerie, c’était le pain ! Le pain en tant que tel. En tant que besoin primaire. Le fait de pouvoir faire un produit qu’on mange au quotidien, un produit de base avait beaucoup de sens… et aujourd’hui mes enfants comprennent mieux ce que je fais dans la vie…".
Martin n’est pas le seul à avoir voulu quitter ce monde de la finance. Pour le podcast, nous avons aussi reçu le témoignage de Laurence Quittelier qui, après avoir fait 23 ans de carrière dans une grande banque du pays a décidé de bifurquer : " La perte de valeurs du monde bancaire par rapport à mes valeurs personnelles a commencé à me peser… surtout après la crise de 2008, les grandes fusions… j’ai l’impression que l’on a perdu le sens du client ".
"Un décalage entre mes valeurs personnelles et mon travail"
Du coup, en 2017, elle décide de changer de voie. "c’est après avoir reçu ma fiche de pension qui me disait que je devais encore travailler pendant 20 ans… je ne me suis pas vue rester encore 20 ans dans ce boulot". Elle embrasse alors un nouveau projet : celui de retaper l’ancienne poste de son village pour le transformer en petit hôtel familial. C’est aujourd’hui chose faite, l’hôtel a ouvert il y a quelques mois.
Le cas de Manoël est parlant lui aussi : Avant la crise Covid, il travaillait comme ingénieur dans une entreprise qui fabriquait des armes. La crise sanitaire est pour lui un déclic, il ne se reconnaît plus dans un tel travail et a besoin d’une activité plus en adéquation avec ses valeurs : " j’ai donc rejoint une autre entreprise liégeoise (John Cockerill) et je m’occupe aujourd’hui de construire de nouvelles filières dans l’hydrogène vert. Rétrospectivement je me dis que même si la crise sanitaire a été un moment difficile, pour moi elle a été un électrochoc qui m’a réveillé et m’a poussé à trouver un job plus en adéquation avec mes aspirations " explique Manoël.
Pour le sociologue Marc Zune (UCLouvain), on assiste, au travers de ces histoires singulières "à une demande de plus en plus appuyée – chez les travailleurs à capitaux culturels élevés – de voir leur entreprise, l’organisation où ils travaillent plus en adéquation avec leurs valeurs. Valeurs de respect, de reconnaissance, mais aussi, de plus en plus, de faire quelque chose pour le changement climatique".
Pour ce spécialiste en sociologie du travail "c’est un vrai défi pour le monde du travail qui d’habitude traite surtout de la justice sociale : est-ce que j’ai un bon salaire, est-ce que mes conditions de travail sont les bonnes… etc. Aujourd’hui, on a de nouvelles demandes : au niveau des valeurs, au niveau du partage vie professionnelle – vie privée, qui je suis ? Comment je peux m’exprimer moi en tant qu’être singulier ? Et jusqu’ici les instances ne sont pas réglées pour traiter ces problèmes-là."
ET pour aller plus loin sur ces enjeux, découvrir beaucoup d’autres témoignages, prenez le temps d’écouter les 45 minutes de " Déclic – Le Tournant " votre podcast consacré aux grandes questions de sociétés sur les tournants qui se profilent devant nous…