Le monde entier cherche des solutions à la crise climatique. Les promesses et les engagements de réduire les émissions de gaz à effet de serre sont nombreux. En France, les députés examinent de façon très sérieuse la possibilité de supprimer certaines lignes aériennes intérieures pour autant qu’il existe une alternative en train d’une durée inférieure à 2h30. Cela concernerait par exemple les vols entre Paris et certaines villes comme Nantes, Lyon ou Bordeaux. Mais des exceptions pour les trajets en correspondance seraient possibles, ce qui réduirait du coup très nettement la portée de cette mesure.
Professeur de transport et logistique à la Louvain School of Management de l’UCLouvain, Bart Jourquin considère que cela pourrait être une bonne idée : "Tout doucement, on commence à se rendre compte que le transport aérien à courte distance a probablement plus d’effets néfastes que d’effets positifs. C’est donc peut-être une bonne idée, en tout cas pour la planète, si l’on sait qu’en moyenne, sur un trajet de 1000 km, on est à 285 kg de CO2 par passager, et lorsque vous avez un trajet en avion de moins de 2 heures et demie et que vous prenez en compte le temps d’aller à l’aéroport, passer les contrôles de sécurité, etc., le train, qui va de point à point, va en réalité tout aussi vite".
Le problème n’est pas l’aviation en tant que telle mais l’usage que l’on en fait
Un avis que ne partage pas l’expert aéronautique Waldo Cerdan, qui estime quant à lui que cette interdiction au seul niveau français serait totalement anecdotique : "Quel est l’effet recherché par une telle mesure ? Si c’est au niveau de la lutte contre le réchauffement climatique, l’effet est tellement faible qu’il peut être considéré comme quasiment nul. En revanche, cela va avoir une incidence économique qui, même faible, n’a pas de raison d’être puisque les bénéfices tirés d’un autre côté sont tellement ridicules que cela n’a aucun sens. Une action telle que celle-là doit s’inscrire dans une stratégie, une stratégie veut dire une vision, et quelle est la vision du transport aérien en Europe et dans le monde ? Moi, je ne la vois pas. Le transport aérien souffre du même problème que beaucoup d’autres industries, c’est-à-dire qu’il y a aujourd’hui un conflit entre le développement économique qui a besoin d’énergie et un excès de consommation d’énergie qui produit, entre autres, des effets négatifs sur le climat. Il faut faire des choix, et le problème n’est en réalité pas l’aviation en tant que telle, mais bien l’usage que l’on en fait. Et cela déborde largement le fait de se dire que l’on pourrait interdire les vols intérieurs dans un seul pays, ce qui est vraiment anecdotique".
Risque d’une concurrence faussée
Une telle mesure serait-elle acceptée par l’Union Européenne ? En juin 2020, un porte-parole de la Commission européenne avait précisé qu’il existe un règlement qui permet aux Etats membres de limiter, voire d’interdire des vols en cas de sérieux problèmes environnementaux, et en particulier lorsqu’il y a des alternatives de transport. Mais il avait ajouté que cela supposait une série de conditions importantes, par exemple le fait que ces mesures doivent être non discriminatoires et proportionnées à l’objectif poursuivi. Pas question donc de fausser la concurrence, or, selon Waldo Cerdan, c’est exactement ce qui se produirait : "Interdire les vols intérieurs dans un pays va créer des distorsions par rapport à d’autres moyens de transport, et cela n’a en outre aucun sens de faire cela uniquement au niveau français ou même européen, puisque le problème est mondial. Une stratégie qui consisterait à prendre des mesures à un niveau local ne pourrait qu’aboutir à accroître une distorsion de compétitivité entre les compagnies européennes et les compagnies d’Asie ou du Moyen-Orient".
Actuellement examiné en commission, le texte – en réalité l’article 36 du projet de loi climat – devrait être soumis à la fin du mois à l’ensemble des députés français.