"La distanciation de 1m50, c’est de la foutaise" : vrai ou faux ?

L’éternuement provoque un nuage de microgouttelettes. Mais à quelle distance ces microgouttelettes sont-elles encore potentiellement infectieuses ?

© Getty Images

Jean-Luc Gala, professeur à l’UCLouvain et spécialiste des maladies infectieuses, était interrogé ce mercredi 15 avril par la RTBF sur les mesures de confinement. Lors de cet entretien, cet habitué des terrains épidémiques notamment dans le cadre d’Ebola, a jeté un pavé dans la mare concernant la distanciation sociale et le respect du "1m50" recommandé par les autorités entre deux personnesSelon Jean-Luc Gala, ce "1m50 de distanciation sociale, c’est de la foutaise".

Ces affirmations sont-elles avérées ? Y a-t-il des éléments tangibles qui permettent de remettre en cause cette distance préconisée ?

Une grande partie des études et travaux sur la question semblent s’accorder pour dire que la distance qui permettrait de s’approcher du risque zéro de contamination entre deux personnes par voie directe est autour des huit mètres. Même après un éternuement violent, aucune microgouttelette ne semble en mesure de franchir cette distance.


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Autre conviction globalement partagée : ces microgouttelettes perdent de leur pouvoir infectieux avec la distance mais aussi en fonction de la charge virale de celles-ci.

Plus les mircogouttelettes sont petites, plus elles sèchent dans l’air. Mais on ne sait actuellement pas jusqu’à quel point la charge infectieuse peut se maintenir dans ces microgouttelettes quand elles sèchent dans l’air.

Équilibre entre risques encourus et réalité sociale

Par ailleurs, les conditions dans lesquels deux personnes se trouvent lors de l’interaction ont très certainement un impact sur la distanciation sociale requise. Si une personne infectée par le Covid-19 présente des symptômes lourds avec éternuements (qu’il ne contient pas dans son coude) et est dans un endroit peu aéré, le risque n’est pas le même que s’il s’agit d’un échange avec un patient asymptomatique en extérieur, par exemple.

Cette distance de 1m50 fait donc l’objet d’un large débat et de plusieurs études scientifiques. Mais des recherches plus approfondies seraient nécessaires pour évaluer avec précision la distance idéale à respecter lors de nos échanges en face-à-face dans le cadre de la pandémie de coronavirus actuelle.

La justification de la décision de fixer la distanciation sociale à 150 cm tient donc d’un équilibre entre risques encourus et réalité sociale. Pour éviter tous risques, une distance de huit mètres entre deux personnes rendrait les interactions sociales qui doivent encore avoir lieu particulièrement compliquées.

Explications du professeur Gala

Mais revenons à notre point de départ. Pour Jean-Claude Gala, la distanciation sociale d’1m50, ça ne fonctionne pas. Dans l’interview accordée ce mercredi 15 avril sur La Première, il explique : "La distanciation de 1m50, c’est de la foutaise. On sait bien que c’est une distance qui est absolument minimale et qui ne correspond à rien".

Pour appuyer ses propos, le professeur indique : "Il y a plein de modèles de mobilisation extrêmement intelligents, notamment de société qui ont travaillé pour la navette spatiale, qui ont clairement montré que la diffusion du virus allait bien au-delà de ce fameux 1m50, qui par ailleurs n’est déjà pas extrêmement bien respecté par la population. Ce virus, selon les conditions climatiques, atmosphériques et environnementales, peut parfois se porter ou se transmettre jusqu’à sept ou huit mètres de distance. Donc, cette distanciation de 1m50, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant".

Quels sont donc les différents modèles et études qui permettent d’étayer les propos du professeur Gala ? Qu’en dit l’OMS ? Y a-t-il plusieurs sources qui permettent d’accorder du crédit à cette thèse. D’autres études qui n’iraient pas dans le même sens ?

L’OMS, moins "stricte" que les autorités belges sur le "social distancing"

L’OMS est moins "drastique" au niveau des mesures préconisées de distanciation sociale que les autorités belges (notamment). Sur son site internet, l’Organisation Mondiale de la Santé recommande de :"Maintenir une distance d’au moins 1 mètre avec les autres personnes, en particulier si elles toussent, éternuent ou ont de la fièvre", alors que les recommandations en Belgique sont plus élevées d’un demi-mètre.

Par contre la justification de cette distance, est bien la propagation des microgouttelettes : "Lorsqu’une personne infectée par un virus respiratoire, comme la COVID-19, tousse ou éternue, elle projette de petites gouttelettes contenant le virus. Si vous êtes trop près, vous pouvez inhaler le virus", précise l’OMS.

Un documentaire de la NHK sur la propagation des microgouttelettes

Une expérience menée au Japon par la NHK déjà relayée sur le site de la RTBF met en évidence le lien entre propagation potentielle du virus et la distance entre deux personnes.

À la demande de la télévision japonaise, NHK, l’organisme national de radiodiffusion du Japon, des scientifiques de l’Association japonaise pour les maladies infectieuses ont étudié et filmé la propagation des postillons et des microgouttelettes. Ils ont également voulu savoir si ces éléments étaient contagieux ou pas, et ce, afin de mieux conseiller la population dans le cadre de la pandémie du nouveau coronavirus, Covid-19.

Les gouttelettes transportent-elles le virus ?

Dans ce documentaire diffusé le 26 mars 2020, le Professeur Kazuhiro Tateda, Président de l’Association japonaise pour les maladies infectieuses estime qu’il est possible que ces microgouttelettes propagent le virus. "Les microgouttelettes transportent beaucoup de virus, nous les produisons lorsque nous parlons fort ou respirons fortement. Les gens autour de nous les inhalent et c’est ainsi que le virus se propage. Nous commençons à voir ce risque maintenant."

D’ailleurs, la distance préconisée par les autorités japonaises est de deux mètres, soit 50 centimètres de plus qu’en Belgique.

On ne sait pas jusqu’à quel point le virus reste infectieux quand les gouttelettes sèchent

Interrogé par la RTBF, le Professeur belge Thomas Michiels se montre plus nuancé. Selon lui, la vidéo japonaise n’apporte pas de réponse pertinente et scientifique sur cette question primordiale : "Jusqu’à quel point ces microgouttelettes peuvent-elles transporter le virus infectieux ? Plus les gouttelettes sont petites, plus elles sèchent dans l’air. On ne sait pas jusqu’à quel point le virus reste infectieux quand les gouttelettes sèchent. Or c’est une question très importante. Mais pour l’instant, on n’a pas de réponse scientifique."

La propagation des microgouttelettes au-delà du mètre 50 ne semble donc pas faire débat, mais la portée de ces microgouttelettes et leur pouvoir infectieux, oui.

Une étude du MIT corrobore la thèse de Jean-Claude Gala

Pourtant, une publication scientifique datée du 26 mars 2020 d’une docteure du MIT (Massachusetts Institute of Technology) corrobore la thèse de Jean-Claude Gala. Selon les observations rapportées par Lydia Bourouiba, professeure associée et active notamment dans les domaines de l’épidémiologie, de la contamination et de la transmission de maladies, "En fonction des diverses combinaisons de physiologie et d’environnement d’un patient, telles que l’humidité et la température, le nuage de gaz et sa charge utile de gouttelettes porteuses d’agents pathogènes de toutes tailles peuvent se déplacer de 7 à 8 mètres".

Les recommandations pour une distance sociale de 1 à 2 m émises par l’Organisation mondiale de la santé ou les autorités nationales, selon le document, "peuvent sous-estimer la distance, l’échelle de temps et la persistance avec laquelle le nuage et sa charge pathogène utile se déplacent, générant ainsi une gamme d’exposition potentielle sous-estimée pour un travailleur de la santé".

À noter, qu’ici encore, le conditionnel est de mise.

Un "social distancing" questionné aussi par le Dr Van Ranst

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Le virologue Marc Van Ranst se pose aussi la question de la distance sociale de 1m50 suite à cette étude du MIT. Est-il sûr de croiser quelqu’un "qu’à" un mètre et demi de distance ? " Chaque fois qu’une mesure est prise, vous devez prendre une mesure qui puisse l’être ", répond M. Van Ranst. "A huit mètres, toute sorte d’interaction s’arrête. Mais quoi qu’il en soit, il s’agit là d’une vision en progrès. De plus en plus de pays vont commencer à en tenir compte."

Mais malgré cette distance beaucoup plus longue et donc potentiellement beaucoup plus difficile à respecter par la population, le Dr Van Ranst se veut rassurant : "La plupart des gouttelettes émises ne volent pas à plus d’un mètre et demi. Et la plupart du temps aussi, les Belges ont bien intégré la technique qui consiste à tousser ou éternuer dans le creux de son bras pour éviter la dispersion."

Qu’en est-il des postillons lorsque nous parlons ou que nous respirons fort, comme au jogging ? Le virologue estime que "lorsque nous respirons normalement, et lorsque nous parlons, le nombre de virus que nous émettons est plus restreint."

Modélisation 3D des éternuements

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Ansys, une entreprise américaine éditrice de logiciels de simulation numérique impliquée dans le développement des navettes spatiales a réalisé une simulation numérique qui indique que les mesures de distanciation sociale sont insuffisantes pour être vraiment efficaces. Cette modélisation 3D qui vise à reproduire des éternuements et la propagation des gouttelettes responsables de la transmission du virus lors d’une interaction entre plusieurs individus et durant la pratique d’un sport. C’est, a priori, cette simulation que le Dr Gala évoquait dans son interview.

La modélisation démontre que les gouttelettes peuvent être expulsées jusqu’à 28 mètres par seconde lors d’une toux ou d’un éternuement. L’étude suggère aussi que l’éloignement entre deux personnes statiques devrait être d’au moins deux mètres.

Thierry Marchal, directeur santé chez Ansys, explique sur le site de Futura Santé : "Après 1,5 mètre ou 2 mètres, la majorité des gouttelettes, en matière de volume rejoignent le sol. Le risque de contamination est moindre, mais le risque nul n’existe pas toutefois".

L’enquête suggère aux sportifs, qui par définition respirent plus fort durant l’effort, de respecter des distances plus importantes entre chaque individu : un coureur devrait respecter une distance de trois mètres minimum et les cyclistes de 10 mètres.

Étude d’ingénieurs civils

Et d’ailleurs cette pratique du sport et les risques d’attraper ou de transmettre le virus lors de la pratique d’une activité physique à l’extérieur ont fait l’objet d’une étude par plusieurs chercheurs en ingénierie civile de l’Université des Technologies d’Eindhven, en collaboration avec la KU Leuven et Ansys, l’entreprise américaine éditrice de logiciels de simulation numérique qui a fait la simulation 3D évoquée ci-dessus.

Cette étude suggère que la distance d’1m50 préconisée par les autorités serait insuffisante lorsque l’on se trouve dans le sillage d’une autre personne. Si celle-ci marche à 4 km/h, il faudrait laisser au moins cinq mètres d’écart. Derrière un joggeur qui court à 14,4 km/h, au moins dix mètres. Les chercheurs conseillent de pratiquer les activités en duo, côte à côte plutôt que l’un derrière l’autre.

Vous devez rester hors du sillage de la personne 

Bert Blocken, qui est le professeur belge en ingénierie civile à la Tu/e et à la KU Leuven responsable de la publication, a précisé les conclusions pratiques de son étude à nos confrères de La Libre : "Ce qu’on indique, c’est la distance à garder lorsque vous êtes dans le sillage de quelqu’un. Quand vous bougez à côté de quelqu’un, il y a deux choses que vous devez faire. Vous devez rester hors du sillage de la personne car les gouttelettes volent derrière la personne et restent pendant un moment dans l’air. Si vous ne pouvez pas éviter de rester dans son sillage, dans les petits chemins par exemple, vous devez laisser une plus longue distance que celle d’1 m 50. Si le virus est effectivement transmis par les gouttelettes c’est important de les éviter".

Les recommandations de ces chercheurs ont eu une portée internationale et l’étude qui a été publiée très rapidement a fait l’objet de critiques car elle n’est pas passée par la case de la "peer review", l’évaluation par des pairs. Cette étape a été grillée pour éviter un processus qui peut prendre six à huit mois, a justifié le chercheur qui indique d'ailleurs que s’il s’est trompé, il démissionnera de ses deux postes de professeur.

Impact majeur des conditions

Des chercheurs finlandais ont, eux aussi, modélisé un scénario dans lequel une personne tousse dans une allée entre deux rayons, comme ceux que l’on trouve dans les épiceries. Ils ont tenu compte des conditions de ventilation pour mener leur recherche.

Dans la situation étudiée, le nuage de microgouttelettes se propage en dehors du voisinage immédiat de la personne qui tousse et se dilue au cours du processus. Cependant, cette dispersion peut prendre jusqu’à plusieurs minutes. "Une personne infectée par le coronavirus peut tousser et s’éloigner, mais laisse ensuite derrière elle de très petites particules aérosol portant le coronavirus. Ces particules pourraient alors se retrouver dans les voies respiratoires d’autres personnes à proximité", explique le professeur adjoint de l’université d’Aalto, Ville Vuorinen.

Les résultats préliminaires indiquent que les particules d’aérosol portant le virus peuvent rester dans l’air plus longtemps qu’on ne le pensait au départ. Pour ces chercheurs, il est important d’éviter les espaces publics intérieurs très fréquentés. Cela permet également de réduire le risque d’infection par les gouttelettes, qui restent la principale voie de transmission du coronavirus.

Cet autre modèle renforce la conviction que les conditions climatiques, atmosphériques et environnementales ont bien un impact sur la propagation potentielle du coronavirus lors des interactions directes entre les hommes.

Sujet JT sur la distanciation sociale et les joggeurs de Pascal Scimé

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