Scène

"La Chute" d'après Albert Camus aux Martyrs

Lorent Wanson dans "La Chute"

© Alice Piemme

CRITIQUE ***

Lorent Wanson bouleversant dans l’excellente adaptation de Vincent Engel.

Lorent Wanson dans "La Chute"
Lorent Wanson dans "La Chute" © Alice Piemme

On connaît le Wanson metteur en scène, celui qui depuis 30 ans, donne la parole aux oubliés de la société, traverse les continents pour s’immerger dans d’autres cultures, mélange les genres, se confronte aux classiques du répertoire… On connaît beaucoup moins le comédien … Sa dernière apparition date de 2005;  dans "La Mouette" de Tchekhov montée par Jacques Delcuvellerie, il était Treplev,  le jeune écrivain idéaliste et révolté contre une société bourgeoise réactionnaire qu’il accuse de ne pas reconnaître son talent.

"Bonsoir, vous croyez m’avoir déjà rencontré … " Cheveux lissés, barbe dévorant son  visage fatigué, mains enfoncées dans les poches du veston trop large, il nous fait face, debout mais pour combien de temps? Des chaises sont éparpillées et un piano occupe un coin de la scène. Nous sommes dans un bar d’Amsterdam. Chez Camus, c’est à un inconnu de passage que Jean-Baptiste Clamence livre sa confession. Ici, c’est nous, spectateurs, qu’il prend à témoins mais dont il semble fuir le regard. Aujourd’hui "juge-pénitent" comme il se définit lui-même, il a été autrefois à Paris un avocat célèbre, champion des nobles causes, chevalier blanc persuadé de détenir la vérité. Et puis un soir sous un pont, un cri : une femme est sur le point de se noyer et il ne fera pas un geste pour la sauver. Là commence sa propre descente aux enfers : il va remettre en question ses comportements passés, et notamment la légitimité même de ce qu’il croyait être bonté et générosité. "J’ai compris qu’aider les autres augmentait d’un degré l’amour que je me portais" et "Je n’aspirais qu’au pouvoir et à la domination". Aucun remède, ni l’amour ni la débauche ne parvient à le détourner des souvenirs qui le hantent. Reste la fuite : les canaux d’Amsterdam, pareils aux "cercles de l’enfer", le genièvre et le Zuiderzee.

Lorent Wanson dans "La Chute"
Lorent Wanson dans "La Chute" © Alice Piemme

Dans ce voyage au plus profond de la conscience, Lorent Wanson est tout simplement bouleversant. On retrouve chez l’acteur la même passion, la même exigence, la même sincérité que chez le metteur en scène. Comme le rôle de Treplev, celui-ci lui colle au corps. Il s’approprie magistralement la complexité du personnage de Clamence, à la fois émouvant et pathétique, lucide mais parfois complaisant dans son autoflagellation, solitaire mais assoiffé d’altérité vraie (" je n’ai plus d’amis, rien que des complices "). En quête de vérité, … mais où la trouver ? Et l’on ne peut s’empêcher d’entendre, à travers les mots de Camus, ses propres doutes et interrogations. Qui renvoient aux nôtres, bien sûr …

Si le roman de Camus atteint ce degré d’intensité, c’est aussi grâce à l’adaptation de Vincent Engel, grand lecteur et spécialiste de l’écrivain. Etre fidèle à l’original, nous dit-il, ce n’est pas forcément le respecter à la virgule près, mais le "pasticher" comme le recommandait Camus lui-même : resserrer, tailler, recomposer, supprimer les passés simples et les subjonctifs imparfaits, ennemis de l’oralité …

Lorent Wanson a convoqué sur le plateau deux complices : la comédienne Viviane Dupuis en fille de bar, muette mais agissante (clin d’œil aux " Ambassadeurs de l’ombre", son projet emblématique de l’an 2000 en collaboration avec ATD Quart Monde), et le pianiste Fabian Fiorini, qui met tout son talent de compositeur-arrangeur à  accompagner ou contrepointer le pessimisme radical du propos. Purcell, Bach ou des chansons d’amour apportent ainsi leur note de tendresse, de mélancolie ou d’apaisement. Et l’on n’oubliera pas les derniers moments où l’acteur, debout sur une chaise, accompagné au clavier, chante le sublime "La nuit je mens" d’Alain Bashung.

En pratique

PRATIQUE

" La Chute " d’après Albert Camus

Jeu : Lorent Wanson et Viviane Dupuis

Conception : Fabian Fiorini et Lorent Wanson

Adaptation : Vincent Engel

Piano : Fabian Fiorini, Renaud Crols et Alain Franco (en alternance)

A voir au Théâtre des Martyrs jusqu’au 13 février

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